C’est une grande exposition consacrée à Alphonse Mucha (1860-1939), grand maître de l’Art nouveau, qui vient de s’ouvrir à Aix-en-Provence. Elle se tient à l’Hôtel de Caumont, célèbre centre d’art aixois, jusqu’au 24 mars 2024. Elle est organisée en collaboration avec la Fondation Mucha.
On suit avec bonheur le parcours thématique et chronologique de l’exposition, en compagnie de Tomoko Sato, conservatrice de la Fondation Mucha et commissaire de l’exposition. Présents également au vernissage, Marcus Mucha, arrière-petit-fils de l’artiste et directeur exécutif de la Fondation et Madeleine Balansino, responsable des expositions de l’Hôtel de Caumont-Centre d’Art.
La joie de vivre
Tout chez Marcus Mucha , l’arrière petit-fils, exprime la joie de vivre. Le jeune quadragénaire affiche un superbe sourire et son enthousiasme est communicatif. « Le travail que je fais me rend heureux » nous confie-t-il. Il nous rappelle que sa famille tchèque a dû vivre en exil. Lui-même est né en Angleterre, sa mère est anglaise et il a fait ses études à Londres. En 1989, la Révolution de velours passe par là : Marcus et les siens peuvent rentrer au pays.
Avant de devenir le directeur exécutif de la Fondation Mucha, l’arrière-petit-fils de l’Alfons Mucha est un jeune producteur qui connait rapidement le succès à Hollywood. Quand on pense que Marcus y a révélé des stars de cinéma et de la télévision, on comprend qu’il est l’homme de la situation à Prague : « Mon père m’a annoncé il y a environ 10 ans, qu’il souhaitait prendre sa retraite. J’ai donc accepté avec bonheur de poursuivre son action à la Fondation Mucha. J’aide à préserver l’héritage artistique de mon arrière-grand-père et je suis enthousiaste de partager son art avec des gens du monde entier. »
Et de toute évidence, l’art d’ Alfons Mucha parle à tous. Ses femmes gracieuses, parées de fleurs, d’éléments de la nature, de rubans et ses lignes courbes et harmonieuses dessinent les contours de l’Art Nouveau.
Madeleine Balansino nous explique que pour le jeune Morave, 1887 est une date importante. « Mucha arrive à Paris. Il était refusé aux Beaux-Arts de Prague mais accepté aux Beaux-Arts de Munich où il débute ses études. Une fois à Paris, dans le cadre de son cursus artistique, il va se former à l’Académie Julian ». Mucha se lie d’amitié avec Paul Sérusier et son cercle d’amis, les futurs nabis. Dans la première salle, on découvre des autoportraits superbes de l’artiste, où il se met en scène dans des costumes slaves, un parti pris, bien évidemment.
« On peut dire que dès le départ, Mucha se construit une conscience politique engagée où l’affirmation de l’identité des peuples slaves occupe une place centrale », précise encore Madeleine Balansino.
Dans la salle suivante, on plonge dans le Paris de la Belle Époque. L’artiste travaille comme illustrateur pour des revues, afin de subvenir à ses besoins et il va connaitre une aventure incroyable, un grand moment qui va changer sa vie : sa rencontre avec la « Divine » Sarah Bernhardt. _
Nous nous trouvons devant une affiche extraordinaire et l’ambiance feutrée des lieux ajoute à son aura. Marcus Mucha nous explique qu’« avec Gismonda, mon arrière-grand-père trouve une composition et un style qu’il renouvellera dans ses futures œuvres. Il travaillait à Paris, mais ne connaissait pas encore le succès. Tout va changer grâce à Sarah Bernhardt qui était alors à l’apogée de sa gloire. Ce qui est « amusant » si je puis dire, c’est que les billets pour la nouvelle pièce ne se vendaient pas. Selon l’actrice, il fallait créer une nouvelle affiche ». Aucun affichiste de renom n’étant disponible en raison des fêtes de fin d’année, on fait appel à Mucha, le seul disponible. L’imprimeur n’aime pas l’affiche que Mucha vient de créer. Il lui recommande même de rentrer chez lui ! Heureusement, l’imprimeur la montre à la grande actrice » nous dit encore Marcus Mucha, et Sarah Bernhardt porte un tout autre regard sur ce travail. Elle demande au jeune homme de revenir à Paris. Elle l’invite dans sa loge. Alfons Mucha craint un peu la Diva. Il fait froid sur Paris, Mucha avance doucement dans la neige, presque à reculons vers son rendez-vous ». C’est L’actrice elle-même qui lui ouvre la porte et lui dira : « Monsieur Mucha, vous m’avez rendue immortelle ! »
Désormais, on peut parler de la naissance du « style Mucha », un style qui surprend le public. Sarah Bernhardt s’exclamera encore en voyant l’affiche : « Ah ! Que c’est beau ! Dorénavant, vous travaillerez pour moi, près de moi. Je vous aime déjà ». Mucha réalisera six autres affiches pour le Théâtre de la Renaissance soit:
La Dame aux La camélias (1896),
Lorenzaccio (1896),
La Samaritaine (1897),
Médée (1898),
Hamlet (1899),
La Tosca (1899)
Il conçoit des décors, des costumes, des bijoux des pièces de Sarah Bernhard, qui lui offre un contrat de 6 ans. ( Voir l’article consacré dans WUKALI à la tragédienne)
Et nous, devant ses affiches raffinées, on est hypnotisés. On s’étonne de ce nouveau format tout en hauteur, grandeur nature . On est séduit par ses tons pastel. « Alors que les affichistes de l’époque utilisaient des couleurs vives, Mucha utilise des dorés, des bronzes, des argentés confirme Marcus Mucha. « Le graphisme est étonnant », nous fait remarquer Tomoko Sato, conservatrice de la Fondation. « Mucha utilise des mosaïques en arrière-plan, et aussi des motifs dorés, de somptueux bijoux, tout cela témoigne de l’inspiration byzantine de l’artiste. On retrouve encore le motif du cercle dans de nombreuses affiches » ajoute-t-elle.
Mucha s’intéresse à la photographie
C’est un médium tout nouveau. On découvre un petit cabinet photographique intitulé « le théâtre photographique de Mucha ». Notre regard contemporain apprécie l’inventivité. Mucha, à l’époque, ne considère pas la photo comme un objet d’art. Il l’utilisera comme un processus de création qui prépare à ses œuvres futures. Il met en scène ses modèles (dont sa fille, Jaroslava), les habille avec des costumes le plus souvent slaves. Il utilisait aussi la photo comme on le fait de nos jours pour immortaliser des moments. Sur l’une d’elles, on découvre de Paul Gauguin au piano, dans l’atelier de Mucha. Il se prend aussi souvent lui-même en photo. Tomoko Sato souligne encore l’importance pour l’artiste de réaliser des autoportraits en tenue slave, afin de marquer son identité et son attachement à cette culture.
On s’attarde encore sur des vidéos, des extraits d’« Hamlet » et de « La Dame au Camélia ». Chose rare, les deux affiches correspondantes leur font superbement écho.
On s’intéresse encore aux séries, des panneaux décoratifs qui reprennent les grandes caractéristiques des affiches mais destinées plus particulièrement au marché de l’art. « On est dans le « boom de la lithographie, qui permet aux artistes de se faire connaitre grâce à des reproductions en masse » commente encore Madeleine Balansino. Sont traités quelques sujets universels comme les moments de la journée : le matin, le soir, le jour, la nuit, ou la série des fleurs et encore la série des Arts.
Cette exposition permet de redécouvrir le maître de l’Art nouveau, qui est toujours une source d’inspiration pour la création d’aujourd’hui mais aussi elle nous raconte son histoire, son ambition humaniste.
Mucha un pionnier de la publicité
On retrouve le plus souvent des femmes et des fleurs dans les compositions qu’il réalisera pour diverses industries : celle du biscuit Lefèvre-Utile, celle du champagne Moët & Chandon, ou encore celle du simple papier à cigarette Job qui deviendra un symbole de la féminité et de la volupté !
On connait Mucha, pour son côté joyeux et brillant, sa période lumineuse. Il y aura d’autres phases plus mystérieuses dans sa carrière : philosophiques, ésotériques, et même politiques. Il est fasciné par l’esthétique et la mystique de l’Église catholique et se laisse porter par des valeurs spirituelles et humanistes. A la recherche d’une vérité universelle, Mucha est un artiste philosophe convaincu que son art peut participer à l’avènement d’un monde meilleur.
Mucha intrigue aussi. « Il sera initié dans une Loge du Grand Orient de France et participera au cercle théosophique. » commente Madeleine Balansino. Ce cercle théosophique constitue en quelque sorte la symbiose d’une pensée moderne qui unit différents éléments des religions hindouiste et bouddhiste en un mélange qui nous parle de la sagesse divine et de la réincarnation. Il fera des « expériences » avec le colonel Albert de Rochas et illustrera la couverture du livre « Le sentiment, la musique et le geste ». Rochas dans ce livre explique l’importance de leur découverte et le rôle du modèle sous l’hypnose. On peut « imaginer « ces expériences d’hypnose dans l’atelier de Mucha, au milieu de centaines d’objets.
Lina de Ferkel, médium, sera l’un de ses modèles. Lorsque le peintre se met à jouer du piano ou de l’harmonium, la jeune hypnotisée réagira par des soubresauts, son regard perdu dans le vide.
L’histoire nous rappelle qu’en 1939, Mucha est arrêté en tant que franc-maçon. Interrogé par la Gestapo. Il décède quelques jours plus tard, le 14 juillet.
On termine le parcours par sa série de peintures monumentales à la gloire de l’histoire de son peuple, œuvre maitresse de toute sa vie. Après avoir livré son « Épopée slave » , l’artiste sera couvert d’honneur. À Caumont, on assiste à une projection numérique, les œuvres originales, trop fragiles et monumentales ne pouvant pas voyager. Un spectacle musical superbe qui intègre des focus sur des détails. C’est fascinant. Par ailleurs, la musique est bien choisie : Smetana, Dvorjak…
On ne connait pas encore le programme 2024 des Carrières de Lumières, mais on pourrait facilement imaginer Mucha, Maître de l’Art Nouveau sur hauts murs du site, une autre façon de mettre à l’honneur cet artiste prolifique et visionnaire. En attendant, l’exposition de Caumont est juste incontournable !
Illustration de l’entête: Marcus Mucha devant un de ses tableaux préférés, « Chant de Bohême », photo Petra Wauters
Vous souhaitez réagir à cette critique
Peut-être même nous proposer des textes et d’écrire dans WUKALI
Vous voudriez nous faire connaître votre actualité
N’hésitez pas, écrivez-nous : redaction@wukali.com