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Immigration, naturalisation, c’est quoi être français

par Philippe Poivret

 C’est quoi Être Français ? Voila bien une question que beaucoup se posent alors que pour d’autres la question ne se pose même pas. La France ayant été de tout temps un pays d’immigration, la question pourrait se poser pour la majorité des Françaises et des Français. Voyons donc de quoi il retourne au travers du récit d’un immigré venu du Moyen-Orient.

Ici, c’est un homme de trente-cinq ans, émigré syrien, Omar Youssef Souleimane qui raconte son parcours depuis son arrivée en France en 2012. Il a alors le statut de réfugié politique et le garde jusqu’en novembre 2021, date à laquelle, les larmes aux yeux, il ouvre une enveloppe dans laquelle il trouve une lettre signée du président de la République lui disant que la nationalité française lui est accordée. Offerte serait plus juste, pour lui il s’agit d’un cadeau longtemps espéré, longtemps attendu, toujours repoussé mais qui fait de lui maintenant un citoyen français. Ce mot de citoyen est celui dont il est le plus heureux et le plus fier : il va pouvoir donner son avis, voter ce que, jusqu’à présent il n’a jamais pu faire. Il fait maintenant partie de la République française. 

Dans « Être Français », titre du livre qu’il a publié en septembre de cette année, Omar Youssef Souleimane raconte son intégration que d’autres appelleront assimilation. Intégration ou assimilation, les deux thermes sont aujourd’hui dépassés. Il s’agit plutôt du vivre ensemble, intégré de toute façon, assimilé ou non, que veut dire ce terme ? Avoir perdu tout souvenir de ses origines et de de sa culture maternelle ? Le voudrait-on, il est impossible d’oublier la culture dans laquelle nous sommés nés. Il faudra donc vivre avec la culture originelle et celle du pays d’accueil. Qui lui devra tolérer cette autre culture sans la nier ni l’occulter. Et ce vivre ensemble, cet apprentissage de l’autre tant de la part de l’arrivant que de celles et ceux qui vivent sur place, est bien ce que raconte Omar Youssef Souleimane. 

Tout commence par l’apprentissage de la langue. Etape indispensable et pourtant trop négligée puisque les nouveaux arrivants ne bénéficient pas de vrais cours de français en bonne et due forme. Tout se limite à un discours officiel de bienvenue que nul ne comprend sauf à être né dans un pays qui pratique notre langue. Mais ces pays sont souvent d’anciennes colonies, et le Français y a de moins en moins sa place quand la France n’est pas carrément rejetée et bannie par les autorités du pays en question. Apprendre notre langue suppose un travail long et difficile. Aidé c’est déjà compliqué, seul ça l’est encore plus. Mais c’est la première des conditions comme le rappelle Omar Youssef Souleimane. Il faut écouter parler dans la rue, à la télévision, à la radio et essayer de lire tout ce qui peut tomber sous le regard. Petit à petit, l’apprentissage se fait mais l’accent, lui, ne sera jamais parfait et trahira une origine étrangère pendant longtemps si ce n’est à vie. Des associations proposent des cours collectifs, effort louable pour faciliter le vivre ensemble. « Être Français, c’est pour le réfugié que je suis, avant tout être lié par la langue ». La langue, le français est bien le premier lien avec le pays d’accueil même si la langue d’origine reste présente au plus profond. En parlant de la langue française Omar Youssef Souleimane nous dit « je pense et je rêve dans cette langue, mais je pleure en arabe ». Ce qui est vrai pour l’arabe quand il s’agit de la langue maternelle, l’est probablement aussi pour toute autre langue voire pour un dialecte. En Italie, où les langues régionales et les dialectes sont bien présents et vivants, ne dit-on pas que la langue locale est la langue du cœur et des émotions quand l’italien officiel est celui de la télévision et des documents administratifs. 

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Une fois la langue maîtrisée, il reste encore bien des problèmes. Notre réfugié syrien a le goût et le talent de se faire des relations, des amis et a une vraie affection pour notre langue et notre culture. Il lisait Eluard et Camus traduits en arabe quand il vivait au Moyen-Orient. Et c’est pour ça qu’il a choisi la France comme pays où émigrer. Si les problèmes rencontrés par un émigré sont une évidence, il est intéressant et parfois assez surprenant de voir comment cet immigré voit la France et les Français. Omar Youssef Souleimane a le mérite de la franchise et ne craint pas de froisser ni de fâcher certains. 

Il fustige une gauche qui vit dans le déni. Il ne comprend pas celles et ceux qui choisissent l’abstention lors du vote en affirmant que Macron ou Le Pen sont une seule et même chose, se retrouve face à une militante qui compare Macron à un dictateur alors que lui sait très bien ce qu’est une dictature et que cela n’a rien à voir avec un confinement imposé par une épidémie. Récupéré par l’extrême droite ? Il n’en est pas question : Zemmour refusant tous les prénoms étrangers n’est pas prêt de le récupérer. Et une militante pro-Mélenchon se voit sèchement quittée en raison de son absence de discussion.

Son expérience, ses origines et ce qu’il a vécu, font d’Omar Youssef Souleimane un intervenant de choix dans les collèges et lycées. Invité dans multiples établissements scolaires de la banlieue parisienne., il raconte dans un chapitre intitulé fort justement « Les enfants séparés de la République » sa rencontre avec des élèves, garçons et filles, qui ne se reconnaissent pas dans notre République et ne sont pas loin de soutenir les terroristes. Ces jeunes ont du mal à comprendre son attachement et sa reconnaissance pour la France qui l’a accueilli et sorti d’une société dirigée par un dictateur. Et lui a aussi du mal à comprendre que tous ces jeunes réagissent de cette façon et qu’ils défendent ou rêvent d’une société dont il connait tous les travers et qu’il a délibérément quittée sous la menace. 

Invité dans divers salons et festival littéraire, il découvre la France et notamment Nancy dont il dit « que c’est une jeune femme portant une robe de cocktail : l’architecture flamboie ». Joli et pertinent regard, pas très éloigné de la poésie qu’Omar Youssef Souleimane connait pour avoir écrit plusieurs recueils en arabe. Et pour avoir découvert, lu et aimé Christian Bobin, dont l’écriture est un enchantement sans fin.

Reste le problème si actuel et si polémique des racines. Venu d’une culture en dehors de l’Europe, Omar Youssef Souleimane ressent bien cette absence de racines européennes mais il cherche à combler ce manque tout en gardant ses propres racines syriennes et arabes. Il écrit au milieu de son livre « Je cherche à me créer des souvenirs d’une enfance quelque part en France. Des racines sur lesquelles je pourrais revenir » et poursuit à la fin avec « C’est vrai que l’on se sent deux personnes à la fois, que l’on a deux langues, deux esprits. On est rejeté là-bas et parfois mal compris ici. Mais cette identité multiple, difficile à supporter, nous rend plus tolérant, plus ouvert, surtout lorsque l’on considère l’avenir comme un arbre planté dans la terre d’accueil » On n’est pas très loin d’Abdellatif Laâbi, poète marocain qui écrit en français et a écrit « « Homme de l’entre-deux/qu’as-tu à chercher/le pays et la demeure/Ne vois-tu pas qu’en toi/c’est l’humanité qui se cherche/et tente l’impossible ? ».

Il reste à penser et surtout à vivre comme toutes ces femmes et tous ces hommes de l’entre-deux qui cherchent à concilier deux cultures ce qui, au lieu d’être un poids, une douleur ou une malédiction devrait être une richesse. Pour cela, il faudra que celles et ceux qui se trouvent de chaque côté de l’entre-deux soient capables de s’ouvrir à la richesse de l’autre tout en restant eux-mêmes et en gardant leurs propres racines. 

Ecrit dans un français parfait avec un style parfaitement fluide, ce livre est plein d’un espoir de voir dans un avenir peut-être pas si éloigné et qui ne se compte pas en générations, toute une richesse s’épanouir dans une République et une France enfin apaisée et sûre d’elle, de sa langue, de sa culture et de ses racines. 

Être français
Omar Youssef Souleimane 

éditions Flammarion. 19€

Précédent article sur la poésie d’Omar Youssef Souleimane publié dans Wukali le 1 mars 2023

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