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L’homme augmenté ou de l’intelligence artificielle sans idéologie ni chimère

par Philippe Poivret

L’intelligence artificielle (AI) est l’un des sujets d’angoisse du temps présent. Va-t-elle supplanter et dépasser l’intelligence humaine ? Et serons-nous soumis à cette intelligence qui acquiert chaque jour des compétences nouvelles ? A tel point que nos cerveaux humains ne pourront plus ni suivre ni emmagasiner autant d’informations que l’intelligence artificielle conçue pourtant par des cerveaux humains. 

Pour tenter de répondre à ces questions qui n’auront de réponse que dans quelques mois, années ou dizaine d’années, Raphaël Gaillard, normalien, professeur de médecine à l’université Paris Cité et directeur du pôle psychiatrie de l’hôpital Sainte-Anne, a publié un essai intitulé « L’homme augmenté » dans lequel il confronte son expérience de praticien avec les neurosciences et le numérique sans oublier une culture littéraire classique et pas seulement. 

La première interrogation qui se pose est celle qu’Elon Musk développe avec son idée de connecter le cerveau humain à une puce pour augmenter ses capacités et rester plus performant que la seule intelligence artificielle. Mais nous dit Raphaël Gaillard, les différentes capacités du cerveau humain étant chacune régies par une zone bien spécifique du cerveau humain, il ne sera jamais possible de connecter toutes les zones à une seule puce. Et interrogation encore plus profonde, une fois la connexion cerveau-puce établie, comment le cerveau humain va-t-il réagir et intégrer ces nouvelles capacités ? Rien ne dit que les capacités du cerveau humain seront augmentées et non pas bouleversées ou détruites par cet ajout. 

Cette connexion qui a un intérêt majeur pour restaurer une fonction perdue suite à l’ablation d’une tumeur, ou suite à un traumatisme ou un accident vasculaire cérébral existe déjà et représente un progrès considérable dans le traitement de ces déficits moteurs. Se pose toutefois la définition de la frontière entre réparation et augmentation des capacités physiques et intellectuelles chez un sujet sans handicap. Est-il légitime d’augmenter ces capacités chez un individu sain ? Et dans quel but ? La question est posée.

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Il existe une autre piste pour améliorer les performances   de nos cerveaux : celle des drogues et psychostimulants parmi lesquels le cannabis et autres psychédéliques comme la psilocybine. Henri Michaux est convoqué pour son témoignage de la sensation de dévitalisation suite à la prise de cet alcaloïde actif des champignons hallucinogènes tout comme Baudelaire qui parle de « bienveillance molle, paresseuse, muette, et dérivant de l’attendrissement des nerfs » par le haschisch. Raphaël Gaillard discute de l’intérêt thérapeutique notamment en psychiatrie de l‘utilisation de ces différentes substances. Et il en discute, en scientifique qui ne conclut qu’après un raisonnement et des expériences validées. L’addiction arrive très vite, condamnant définitivement la large diffusion de ces pratiques.

Plus loin et plus avant dans cet essai, l’auteur intitule l’un de ses chapitres : Y-a-t-il un psychiatre pour soigner l’I.A ? Volontairement provocatrice, la question se justifie par « la propension de l’I.A. à construire de toutes pièces une réponse ne correspondant à aucune réalité » Ce qui revient à dire que l’I.A. peut inventer et argumenter sur quelque chose qui n’existe pas et qui ne peut pas exister comme, nous dit Raphaël Gaillard, un « neurone à glutamate ». En plus, il faudra une énorme quantité d’énergie pour faire fonctionner l’I.A. ce qui ne manquera pas de poser très vite des problèmes compte tenu de la quantité limitée d’énergie à notre disposition. Ces deux facteurs sont des facteurs limitants de la fiabilité et du développement de l’I.A.

Si la première hybridation cerveau-machine existe depuis peu, il en est une autre qui existe depuis bien longtemps, qui est fondamentale pour l’esprit humain et qui n’est rien d’autre que l’écriture. En effet il y a, avec la lecture et l’écriture, une hybridation entre le cerveau et une suite de signes qui n’ont aucun sens pris individuellement mais en acquièrent un, une fois que ces signes ont été mis en place dans un ordre bien défini. L’intelligence humaine a donc, pour le moment, un temps d’avance.

Reste la comparaison entre ce que produit l’I.A. et ce que produit l’intelligence humaine dotée plus ou moins mais toujours au moins un peu, de ce qu’on nomme le talent voire le génie. Raphaël Gaillard donne l’exemple d’une suite de Bach dont on connait le caractère mathématique. Une suite de Bach devrait donc pouvoir se programmer et l’I.A. devrait être capable d’en écrire une série infinie. Or, il n’en est rien. Il manque à l’I.A. le léger décalage que seul un esprit humain peut donner à ses créations. Ce qui est vrai pour la musique, l’est aussi pour les autres arts. Et le second facteur est lui aussi propre à l’esprit humain : l’interprétation d’une œuvre dépend de la façon dont que chaque musicien jouera, chaque peintre verra et chaque écrivain comprendra ce qu’il joue, peint ou décrit. Ces trois facteurs donneront une tonalité, un style, un charme propre à chaque interprète, peintre, autrice ou auteur Ces trois facteurs sont tous trois inaccessibles à une machine aussi perfectionnée soit-elle et ils le resteront toujours.

Au terme de la lecture de « L’homme augmenté », on peut être au moins partiellement rassuré quant à l’avenir de l’humanité face aux progrès actuels et futurs de l’Intelligence Artificielle. On apprend aussi, au fil des pages que la lecture multiplie les connexions des neurones de notre cerveau, qu’elle améliore les performances en mathématiques, qu’apprendre une langue même morte facilite l’apprentissage des autres langues et que la marche stimule la créativité. Il reste donc à fermer l’ordinateur et à partir sur les chemins profiter de la beauté de ce qui nous entoure, où que nous soyons, et à profiter de la vie dans toute sa magie. 

L’homme augmenté 
Raphaël Gaillard

éditions Grasset, 2024, 352 pages, 22 euros

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