Paris 1874 : Inventer l’impressionnisme,
au musée d’Orsay du 26 mars jusqu’au 14 juillet 2024
Il y a cent cinquante ans, une trentaine d’artistes, de tous horizons, se réunissaient pour organiser une exposition indépendante d’où naitra l’impressionnisme.
L’évènement célébré aujourd’hui par le Musée d’Orsay avec l’exposition Paris 1874 : Inventer l’impressionnisme nous propose de poser un regard nouveau sur une sélection de cent-cinquante-sept œuvres et documents d’archives, dont quatre-vingt-neuf peintures, sept sculptures, cinquante-trois œuvres d’arts graphiques ayant figuré à l’exposition impressionniste de 1874. Les commissaires de l’exposition ; Sylvie Patry et Anne Robins à Paris et Mary Morton et Kimberly A. Jones à Washington en mettant en perspective cette sélection d’œuvres « impressionnistes » avec des peintures plus académiques montrées au Salon de cette même année, tentent de faire revivre et de souligner le choc visuel des œuvres exposées par les impressionnistes cette année-là, mais aussi de le nuancer.
Le climat dans lequel se déroule la première exposition impressionniste est marqué par le souvenir de la guerre franco-Allemande de 1870 et de l’insurrection révolutionnaire de la commune l’année suivante. Considérablement dégradée par ces évènements dramatiques, la capitale se reconstruit et reprend les grands travaux entamés pendant le Second Empire, sous l’égide du baron Haussmann, préfet de la Seine, comme le percement des grands axes de circulation, l’édification de gares, la création d’espaces verts, ou la construction du nouvel Opéra. C’est au cœur de Paris, dans ce quartier complètement remodelé avec ses grands boulevards, son monde des affaires, du luxe et des spectacles, que se tient du 15 avril au 15 mai 1874, dans l’ancien atelier du photographe Nadar, au 35 boulevard des Capucines, la première exposition impressionniste, ouverte en nocturne et éclairée au gaz, pour attirer une clientèle plus large. L’exposition sera vue par environ 3500 visiteurs.
Trente et un artistes en colère dont Monet, Renoir, Degas, Morisot, Pissarro, Sisley, Caillebotte, Boudin ou encore Cézanne se sont réunis, en toute indépendance, hors des circuits officiels et du système du Salon dont ils sont souvent exclus, pour exposer, en toute liberté, environ deux-cent œuvres sélectionnées par les artistes eux-mêmes, sans la sanction d’un jury, ni l’entremise d’un marchand. Les œuvres de cette exposition la « Société anonyme[1] » ont été accrochées par leurs soins sur les murs tapissés de laine « brun-rouge », dans sept ou huit salles disposées sur deux niveaux, en pleine lumière, desservies par un ascenseur.
L’exposition de 1874 présentait des œuvres éminemment éclectiques et inclassables, d’une étonnante variété de sujets et de styles d’où se dégage cependant un désir commun : celui de faire carrière, en parallèle, de la voie officielle, et d’affirmer leur liberté. Une façon de s’émanciper ainsi du Salon, grande exposition officielle dominant la vie artistique parisiennes, et gardienne de la tradition académique. À une époque marquée par les bouleversements politiques, économiques et sociaux, les impressionnistes proposent un art en prise avec la modernité dont le poète Baudelaire en 1863 fait une composante du beau.
Les critiques seront violentes et seule une poignée de peintures de Sisley, Monet, Renoir et Cézanne trouveront preneur. A la différence des peintres académiques, ces artistes peignent des tableaux clairs et lumineux, traduisant dans une touche rapide et enlevée, leurs impressions fugitives ressenties devant le motif. Ils s’intéressent aux couleurs vives, à la lumière, aux scènes de la vie quotidienne et aux paysages. Grâce à l’invention du tube de peinture souple, ils sortent de l’atelier pour peindre à l’extérieur. Le critique Louis Leroy du quotidien Charivari donnera à ce mouvement le nom « impressionniste », voulant tourner en dérision le tableau de Monet Impression soleil levant (1872). L’incompréhension du public peut s’expliquer par le décalage qui s’est creusé en dix ans entre ce qu’il voit sur la toile et ce qu’il voit autour de lui car il n’a pas encore pris la mesure du bouleversement de l’art opéré par Manet[2] d’abord, puis par les impressionnistes dix ans plus tard[3]. Avec la naissance de la peinture moderne, l’histoire, la narration, la fiction, ont disparu et ne demeure que la peinture, seule[4].
Le 1er mai 1874, quinze jours après la première exposition « impressionniste », le Salon officiel ouvre ses portes, au Palais de l’industrie et des Beaux-Arts, avenue des Champs Élysées. Soigneusement sélectionnés par un jury sous l’égide de la Direction des Beaux-Arts, plusieurs milliers d’œuvres sont présentées sous une lumière crue, dont 2000 peintures accrochées bord à bord sur deux rangs voire trois rangs dans les vingt-quatre salles de l’exposition. Parmi les sujets traités, de nombreux paysages de Pelouse, Harpignies, Daubigny, ou Corot, des sujets religieux peints par Bonnat, Bouguereau, ou Puvis de Chavannes, historiques dont des scènes de guerre de Detaille ou Maignan, mythologiques, des femmes nues, des paysans, des portraits léchés à mille lieues des toiles des futurs impressionnistes. Un Salon dont Zola, critique d’art et romancier, écrira qu’il n’est « ni meilleur ni pire que les Salons des autres années [5]. »
Cependant parmi tous ces peintures « académiques » on trouve des œuvres tout à fait radicales comme Le Chemin de fer (1873) de Manet qui, invité, quelques semaines auparavant par ses confrères à exposer au 35 boulevard des Capucines, a décliné l’invitation, préférant rester au Salon, seul véritable champ de bataille, selon lui, pouvant mener au succès. D’autres artistes[6] font le choix d’exposer simultanément leurs œuvres à l’exposition de la Société anonyme et au Salon afin de multiplier leurs chances d’être vus, et de vendre, mais aussi parce que la ligne de partage entre tradition et avant-garde est en 1874, encore très poreuse, ce qui peut expliquer le choix de certains artistes d’être présents sur deux fronts.
La troisième exposition des impressionnistes ouvre ses portes, le 4 avril 1877 dans un vaste appartement situé au 6 rue Le Peletier, grâce à la détermination et au financement de Gustave Caillebotte, à la fois peintre et mécène. On pouvait y voir 250 œuvres de 18 artistes dont deux femmes, Berthe Morisot et la marquise de Rambures, une amie de Degas. Cette exposition qui succède aux expositions de 1874 et 1876 qui furent décevantes d’un point de vue commercial, ont eu au moins le mérite d’installer l’idée qu’un nouveau mouvement était né qui accordait une primauté à la célébration de la vie moderne. Ainsi pour la première fois et unique fois, les artistes qui exposent en ce printemps 1877, se déclarent « impressionnistes ». Cinq autres manifestations collectives suivront jusqu’en 1886. Au total huit autres expositions de peintres impressionnistes seront organisées entre 1874 et 1886 et à partir des années 1890 le mouvement sera supplanté par le post-impressionnisme.
Cette exposition organisée par le musée de d’Orsay en partenariat avec la National Gallery of Art de Washington[7]sur l’exposition de 1874, montre que l’impressionnisme, en remettant en question les traditions, a ouvert la voie à de nouvelles approches esthétiques. Les impressionnistes ont introduit une nouvelle manière de peindre, en privilégiant l’observation directe du paysage, des couleurs et de la lumière, et en renonçant à la précision du détail au profit de l’atmosphère et de l’émotion. Ils ont aussi popularisé la peinture en plein air qui devient une pratique courante chez les artistes modernes. De plus l’impressionnisme a favorisé l’exploration des thèmes quotidiens et contemporains comme les scènes de la vie urbaine ou rurale, les loisirs, les paysages et les portraits s’opposant ainsi à la préférence de l’académie pour les sujets historiques et mythologiques. Enfin ce mouvement a laissé une empreinte durable sur l’histoire de l’art, préparant le terrain pour l’avènement des mouvements post-impressionnistes et moderne comme le symbolisme, le fauvisme et le cubisme.
Plus qu’un simple mouvement artistique, l’impressionnisme est d’abord l’affirmation de la liberté d’expression et de l’individualité qui perdure encore aujourd’hui dans le monde de l’art.
[1] De cette exposition il ne subsiste que des témoignages écrits et son livret.
[2] Edouard Manet, Le déjeuner sur l’herbe (1863) et L’Olympia (1863).
[3] Claude Monet, Impression soleil levant, (1872).
[4] Gaëtan Picon, 1863, Naissance de la peinture moderne, Folio, Essais. Éditions Gallimard, 1988.
[5] Émile Zola, Lettres de Paris – Le Salon 1874.
6] La danseuse de Degas, Bal masqué à l’opéra de Manet, La loge de Renoir, Le boulevard des Capucines de Monet.
[7] Où elle sera présentée du 8 septembre 2024 au 19 janvier 2025.
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Illustration de l’entête: Impression soleil levant. Claude Monet. Musée Marmottan Monet, Paris