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Le droit n’évolue-t-il que par la contestation, réflexion de juriste

par Pierre de Restigné

Le Siècle des Lumières et les grands penseurs comme Locke, Hobbes, Spinoza et autres Montesquieu, Diderot, Rousseau, Voltaire ont développé l’idée d’une représentation de l’intérêt général à travers des institutions dites démocratiques en référence à la démocratie athénienne qui n’a qu’un très lointain rapport avec ce que nous connaissons de jour, depuis que l’apartheid a été banni en Afrique du sud. Quoiqu’il en soit, ces institutions sont basées sur le principe que le débat d’idées et la contestation ne peuvent se faire que sans violence et dans un cadre institutionnel prédéfini. D’ailleurs, n’oublions jamais que démocratie ne rIme pas avec liberté de contester, il suffit de penser à la Corée du Nord, à la Russie et à toutes les démocraties dites « a-libérales » qui tendent à se développer sur tous les continents, à l’exception, pour l’instant de l’Océanie.

Depuis toujours, enfin depuis la mise en place de telles institutions en Occident, des groupes, toujours minoritaires, les ont critiquées au motif qu’elles ne permettaient pas de s’exprimer correctement, qu’elles étaient aux mains d’une « élite », etc. et que par voie de conséquence, elles ne permettent pas d’instituer une vie plus juste et solidaire.  D’où la multiplication, en notre beau pays de France, de ZAD, Place publique et autres Gilets jaunes.

A travers une interprétation intéressante de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, l’auteur de cette étude, Dominique Rousseau (juriste et professeur de droit constitutionnel, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature de 2002 à 2006), développe l’idée que les révoltes, sous certaines conditions, permettent de faire progresser le droit positif et la légalité. Parmi ces conditions se trouvent celle d’inscrire le mouvement contestataire dans le cadre institutionnel car seul lui est créateur de droit. Le droit à l’avortement, l’égalité Homme/Femme, et j’en passe, n’ont pu aboutir en droit qu’après de longues années de contestation de l’ordre établi, mais dans le cadre institutionnel. Un mouvement contestataire qui ne s’inscrit pas dans les institutions servant à la fabrication du droit est voué à disparaitre ou à devenir totalement marginal et ses demandes, aussi légitimes soient-elles, sont destinées à passer dans les oubliettes de l’histoire. Bien sûr reste la violence pour les imposer, mais c’est une autre histoire.

L’Histoire nous montre que les évolutions des institutions démocratiques ont été le plus souvent la conséquence d’une minorité allant contre les aspirations de l’immense majorité du pays. Et pas toujours par la violence. Deux exemples : La Révolution française a été initiée dans le calme, sans violence, par les élus des Etats-Généraux, or à cette époque plus de 95% de la population était rurale, et il n’y avait qu’un laboureur (donc déjà un membre de « l’élite » de la « classe » paysanne) élu député. Et que dire de la loi de 1875 qui institue officiellement la III République. Elle est votée par une assemblée très majoritairement royaliste ! Les électeurs, les Français voulaient un roi et, sans mouvement contestataire, ils ont eu un Président de la République. Heureusement que le mandat impératif défendu par certains n’a jamais existé, nous ne serions pas en République. Or et à de très rares exceptions près, en France, les révolutions entraînant des changements de régime, dont celle de 1848 souvent citée par l’auteur, ont pour source des révoltes urbaines purement parisiennes. L’histoire nous montre que les contestations provenant de la province finissent généralement en quenouille. Pensons aux guerres de Vendée ou aux révoltes des canuts lyonnais qui se sont souvent achevées dans des flots de sang. 

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La contestation émane avant tout d’une minorité, qui, ne pouvant ou ne voulant pas s’exprimer dans le cadre légal, profite d’une opportunité pour imposer ses idées à la majorité. Ce passage se fait parfois avec violence, et dont le résultat n’est pas obligatoire pour obtenir plus de droits et plus de libertés pour les citoyens, c’est plutôt l’inverse. À cet égard dans l’histoire de nos démocraties occidentales la Révolution française se termine par l’Empire qui est à la base une dictature et les Etats-Unis d’Amérique ont connu la Guerre de Sécession qui fit environ 1 million de victimes et j’en passe! Il faut lire et relire Lénine (Qu’est-ce que l’Etat ? Que faire ?), pour comprendre que quand les contestataires prennent le pouvoir hors cadre institutionnel, alors le risque est l’installation d’institutions non démocratiques. Remettre en cause radicalement les institutions c’est prendre le risque de mettre en place la dictature de la minorité par la majorité.

 Il est fondamental que les règles institutionnelles évoluent avec le temps, qu’elles s’enrichissent, voire qu’elles abandonnent certains aspects qui n’ont plus lieu d’être (par exemple les articles 76 et 77 de la Constitution française relatifs à la Nouvelle-Calédonie sont devenus obsolètes). Il est un fait, dans les démocraties de type occidental, les institutions évoluent rarement à cause de la violence, mais par de la contestation qui opère dans le cadre légal.

Se pose ainsi la question de connaître quelles sont les véritables intentions des initiateurs des mouvements contestataires. Je ne fais pas référence aux participants de ces mouvements qui généralement sont de bonne foi et ne s’aperçoivent pas qu’ils sont manipulés par des personnes ayant un but politique. Ainsi le mouvement des Gilets jaunes en est un bon exemple. Il a été lancé par un « post » sur les réseaux sociaux, un parmi des milliers d’autres, mais grâce aux algorithmes et autres « trolls » le mouvement a pu voir le jour. Et comme par hasard dés les premières occupations de rond-points et autres barrières de péages on a vu fleurir des slogans antisémites et antimaçonniques. Quoi d’étonnant quand les premiers leaders autoproclamés du mouvement (à de très rares exceptions près), se sont avérés êtres plus que très proches des partis d’extrême-droite voire des suprémacistes. Ce n’est qu’après que ce mouvement a été complètement récupéré par l’extrême-gauche. Et que dire de « Place Publique » dont les animateurs (ceux qui disposent du micro et qui donc donnent (et suppriment) la « libre parole ») étaient membres de groupuscules trotskistes. Il est très, très facile à l’ère médiatique et avec une bonne utilisation des algorithmes des réseaux sociaux pour faire croire qu’une idée très minoritaire est, de fait, une idée partagée par la majorité.

Contesté, oui, mais il est toujours utile de percevoir d’où provient cette contestation car parfois elle peut cacher un changement radical de société, bien loin de l’idéal républicain.

En plus, certains concepts sont tellement imprécis que leur formulation en règle de droit est quelque peu difficile.

Le droit à la biodiversité, soit, mais quelle biodiversité ? Prenons un exemple : les marais poitevins : il faut défendre sa biodiversité spécifique, soit, mais au nom de quoi ? De quel principe ? On ne fait que défendre une biodiversité créée par l’homme par la destruction de la précédente, action faite par les moines de Maillezais il y a à peine un millénaire. Que faire avec la montée des eaux de l’Océan Atlantique (Niort était un port sur l’Atlantique au temps des Romains) ? Faut-il sauvegarder les marais en luttant contre la Nature ou la laisser agir (ce qui aura pour conséquence la création d’une nouvelle biodiversité proche de celle que les hommes ont détruite) ? Vouloir ériger en droit absolu la défense de la biodiversité est, de fait, une façon de la figer, de refuser toute évolution, dont celle de la nature. Même si l’idée part d’une démarche humaniste fort respectable, la conséquence est le pire des conservatismes. La contestation n’est pas qu’une marche vers plus de démocratie et de liberté, elle peut être aussi l’instrument de l’immobilisme et d’un retour vers le passé (souvent totalement fantasmé). L’histoire nous en offre une foultitude d’exemples, de la contre-révolution aux suprémacistes blancs, en passant par le pétainisme.

Il y aurait encore beaucoup de chose à dire et à développer à partir de ce court texte qui ne peut laisser tout citoyen responsable indifférent.

Penser, Décider, Agir
Les contestations
Dominique Rousseau

éditions Belopolie. 10€

Illustration de l’entête: photo gilets jaunes: Charles Roberge/ REA/ Redux. The New Yorker

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