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L’Égypte des Pharaons, les Orientalistes Ingres, Delacroix, Gérôme aux Carrières de Lumières

par Pétra Wauters

Spectacle long 2024, l’Egypte

Le plaisir est réel, celui d’être immergé dans un tourbillon d’images et d’histoires, d’être transporté à travers les époques et les cultures. L’art et l’histoire se fondent dans un spectacle saisissant. 

Les projections à 360° offrent une nouvelle dimension permettant aux spectateurs d’être littéralement entourés par les créations et les récits du passé. Le voyage est captivant, audacieux. Et quelle meilleure toile de fond que les carrières elles-mêmes, avec leurs murs imposants, leurs histoires, et leur atmosphère minérale, pour accueillir ce spectacle grandiose ? 

Pleureuses. Fresque figurant dans la tombe du Ramose, XVIIIème dynastie.

On pourrait presque toucher du doigt les vestiges de l’Égypte antique ou sentir le souffle des dieux dans le tourbillon des images. Le spectateur est invité à se perdre et à se laisser emporter par le flux des siècles.

Le rêve fait partie du voyage et ces moments où l’on flotte entre réalité et légende, où l’on se sent si petit face à l’immensité de l’histoire, sont précieux et nourrissent notre imaginaire.  

Olécio partenaire de Wukali

Le spectacle court consacré aux orientalistes 

Un spectacle tout aussi fascinant. Au XIXème siècle, les peintres occidentaux sont attirés par les mystères de l’Orient, ouvrant ainsi les portes d’un nouveau monde exotique. Inspirés par la lumière éblouissante du Sud et les motifs spectaculaires de l’architecture orientale, des artistes renommés tels que Delacroix, Gérôme et Ingres entreprennent une expédition picturale vers ces contrées lointaines.

Jean Léon Gérôme (1824-1904). Le charmeur de serpents. circa 1870
Clark Art Institute. Massachusetts, USA

Entretien avec Virginie Martin, directrice artistique

  • Cette nouvelle projection immersive proposée par Culturespaces est accompagnée d’une exposition sur les peintres orientalistes du 19ème siècle.  Qui est à l’origine de ces deux programmes ? 
Virginie Martin
Directrice artistique

Les thématiques des expositions sont définies par Culturespaces, à l’écoute de la demande du public qui fréquente les différents sites. 

Le sujet de l’Art égyptien durant l’antiquité́ fascine.  Il offre l’opportunité́ d’aborder une civilisation et d’étendre le spectre : peinture, sculpture,  bas-reliefs, architecture. Toujours dans la continuité́ des grands maitres de l’histoire de l’art, le courant artistique des orientalistes permet de poursuivre ce voyage dans les splendeurs de l’art en Orient. 

  • Que pouvez-vous nous dire du processus créatif de ce spectacle ? Ce projet sur l’Égypte parait compliqué à mettre en place., et les deux thématiques sont particulièrement riches. Pour les Maîtres hollandais 2023 le défi parait différent. 

Ainsi chaque exposition a sa propre dynamique créative, et les challenges sont différents. Effectivement,  les deux sujets 2024 sont très riches et vastes et il a déjà fallu trouver l’angle narratif et séquencer le parcours. Le réalisme des maîtres hollandais permettait de créer aisément de véritables « décors » Immersifs. C’est une peinture qui aujourd’hui peut paraitre plus sérieuse et moins accessible alors qu’au 17ème siècle, elle était d’une grande modernité́. Grâce à l’animation et au travail musical, on peut transmettre cette contemporanéité́ du Siècle d’or.

Quant à l’exposition sur l’Égypte antique qui nous intéresse cette année, le défi était tout autre. Il a fallu à partir d’images, d’éléments architecturaux, sculptures, bas-reliefs et peintures, composer ces décors, illustrer parfois une matière inexistante.

Ouvriers sur la construction d’un temple, détail, fresque murale de la tombe de Rekhmirê, vizir sous Thoutmosis II et Amenhotep II, vers 1450-1350 avant J.-C., Vallée des Nobles, Sheikh Abd el-Gournah

De prime abord, j’avais cette sensation d’une civilisation à l’esthétique immuable dans le temps, très minérale. Lors de l’écriture du synopsis et tout au long de la création de l’exposition avec les équipes, il m’est apparu que l’histoire des pièces d’art et la mythologie offraient un potentiel narratif incroyable. C’est finalement tout l’aspect invisible des chefs-d’œuvre qui inspire le mouvement, tel que le percevaient les Égyptiens durant l’antiquité́ ; leurs croyances et coutumes donnent vie à ce qui semble aujourd’hui gravé ou peint dans la pierre. C’est une ode à l’esthétique sur près de 3 000 ans d’histoire qui prend vie grâce à l’animation, et qui est soutenue par l’expression musicale dans un lieu incroyable que sont les Carrières de Lumières. 

  • 3000 ans d’histoire :  Les choix iconographiques ne devaient pas être évidents à faire 

C’est exact. L’exposition présente plus de 300 images d’œuvres existantes, non retouchées en raison de leur remarquable état de conservation. Elle vise d’abord à dévoiler des icônes collectives telles que les pyramides, les temples mythiques, les trésors et sarcophages.

  Ma sélection est également influencée par des sujets qui me touchent, comme les pleureuses, ce chœur de femmes annonçant la mort du défunt en groupe, ou encore la Genèse de l’univers selon les dieux de l’ennéade et l’évocation organique des bijoux en or incarnant la chair des dieux.

  • D’où proviennent les images utilisées et comment avez-vous imaginé la « mise en scène » ? 

Pour cette exposition, j’ai été aidée par des iconographes pour obtenir des images d’œuvres en très haute résolution, parfois directement auprès des musées. La sélection finale a été validée par Jean-Guillaume Olette- Pelletier, notre conseiller scientifique. Plutôt que de suivre une présentation chronologique, j’ai choisi de placer le visiteur à hauteur d’homme, racontant ainsi le cycle de la vie, de la naissance des premiers hommes jusqu’à l’au-delà, à travers différentes époques autour d’un thème commun.

Carrières des Lumières 2024
Amenophis IV Ashkenaton et Néfertiti

L’exposition dévoile encore deux moments forts sur le plateau de Gizeh, face à la grande pyramide et au sphinx, et une progression physique dans le temple de Karnak. Deux vidéos réalisées en traveling continu au cœur du jeu Assasin’s Creed Origins édité́ par Ubisoft, renforcent l’immersion physique dans des simulations 3D de monuments scientifiquement documentés. 

Aussi, pour finir sur un tout autre univers, nous présentons des photos d’une des découvertes archéologiques les plus spectaculaires qu’est la cité engloutie de Thônis-Héracléion, qui nous immerge dans la baie d’Aboukir grâce aux photos exclusives de l’archéologue Franck Goddio

  • La bande sonore s’est faite simultanément ou bien l’avez-vous pensée dans la toute dernière étape ? 

Cette année, la création de la bande sonore a débuté très tôt, par un travail simultané avec la création visuelle, ajusté jusqu’à la fin du processus créatif. Des effets de sound design ont été ajoutés pour accentuer l’immersion. Nous avons choisi des morceaux évoquant l’Égypte et ses paysages, comme des thèmes de films comme Lawrence d’Arabie ou Dune, et des opéras comme Aïda de Verdi. Des choix plus audacieux ont également été faits pour soutenir l’émotion, le mystère et la tension, avec des titres comme « Angel » de Massive Attack ou « Stairway to Heaven » de Led Zeppelin. Pour illustrer la construction des pyramides, une composition sur mesure a été créée pour rendre l’édification plus spectaculaire. L’émotion procurée par la musique a guidé la sélection finale pour que la magie opère avec le visuel.

Avez-vous beaucoup lu sur le sujet ? 

Je crois que c’est un sujet d’histoire que la plupart abordent au cours du parcours scolaire. Le mystère de cette civilisation est grandiose, sans précèdent. L’esthétique marque les esprits, fascine petits et grands. Mes premiers souvenirs d’histoire remontent justement à cette époque. En tant qu’architecte avec un DEA, j’ai étudié les monuments mythiques et suivi des cours approfondis en histoire de l’art, notamment sur l’art égyptien antique. C’est évidemment une exposition nourrie de nombreuses lectures et documentée pour transmettre, par l’émotion, un pan de l’histoire qui nous concerne tous. Une histoire marquée par des prouesses architecturales, le talent artistique incroyable des artistes, des connaissances médicales et des croyances uniques. Il reste encore beaucoup à découvrir sur cette civilisation qui s’est construite une identité esthétique unique, immuable, hors du temps, ce qui en fait un sujet passionnant pour moi et pour beaucoup d’autres. Les scientifiques n’ont percé que 20 % de cette civilisation, il reste 80 % à découvrir. C’est ce mystère qui fascine encore et toujours.

Buste de Néfertiti. Berlin, Neues Museum
  • Comment avez-vous travaillé avec l’égyptologue Jean-Guillaume Olette- Pelletier ?

La rencontre s’est déroulée lors de la phase finale de la création afin de s’assurer que les choix iconographiques et le contenu présenté étaient scientifiquement corrects et fidèles au parcours narratif. Nous avons tout examiné en détail : peintures, cartouches. Jean-Guillaume Olette-Pelletier a également contribué à l’écriture du contenu pédagogique et à l’application smartphone pour fournir des clés de compréhension du parcours immersif, enrichissant ainsi l’expérience avec des informations précieuses non disponibles dans les livres. Son expertise a véritablement renforcé l’exposition.

  • L’exposition propose-t-elle un contenu pédagogique ? 

En effet, un contenu pédagogique accompagne le parcours de l’exposition, offrant des informations complémentaires, des frises chronologiques pour situer les événements historiques, une carte des sites présentés, et des photos de tombeaux ou temples pour contextualiser l’iconographie. Quelques textes fournissent des repères historiques et géographiques essentiels pour une expérience enrichie, que ce soit sur place ou chez soi via l’application des Lumières.

  • Quelles sont les thématiques qui vous touchent le plus ?  

Les expositions immersives sont une expérience individuelle et collective à la fois dans un espace qui a une importance capitale, car il crée un environnement hautement sensible. J’essaie dans l’écriture de toucher toutes les sensibilités. Il y a ceux qui ont envie de voir du spectaculaire, et ceux qui apprécient davantage la finesse dans l’Art. Pour ma part, ce sont peut-être précisément des thématiques moins emblématiques, mais bien plus esthétiques qui me touchent.  Les coutumes des pleureuses sont étonnantes, l’or qui incarne le divin est une séquence qui me tient à cœur tant je trouve l’artisanat de bijoux spectaculaires. Il y a encore la représentation de contorsionnistes féminines dans les cortèges sacrés sur les peintures murales. C’est finalement la finesse du détail et l’expression esthétique des artisans durant l’antiquité́ qui m’émeuvent le plus au milieu des pyramides et des temples mythiques. 

Pectoral en forme de faucon solaire aux ailes déployées. Tombe de Toutankhamon
Musée égyptien du Caire
 CULTNAT, Dist. GrandPalaisRmn / Ayman Khoury
  • Dans la séquence courte, comment avez-vous procédé́ pour sélectionner les peintres parmi les orientalistes? 

Pour la sélection Orientalistes,  j’ai mis à l’honneur en premier lieu les chefs-d’œuvre permettant d’isoler des thèmes forts pour structurer le parcours. Nous avons notamment mis l’accent sur Delacroix, Gérôme, Constant, Ingres, ainsi que d’autres grands noms tels que Renoir, Charles-Théodore Frère et Vernet, tous illustrant ce courant artistique.
Nous avons choisi à la fois des artistes très connus et des moins connus du grand public, tels que Ziem et Léon Cogniet.

Carrières de Lumières 2024

Nous avons sélectionné les œuvres en tenant compte de leur potentiel pour la vidéoprotection. Les peintures orientalistes, avec leurs jeux de lumière et de contraste, se prêtent parfaitement à cela. La sélection finale permet aux visiteurs de s’immerger dans des paysages arides sous une lumière écrasante ou à l’ombre des moucharabiehs1, créant des jeux de clair-obscur. Les atmosphères des œuvres et les ambiances qu’elles dégagent les réunissent autour d’un thème commun, offrant la sensation d’un décor unique où se mêlent de grands noms de la peinture orientaliste. Cette lumière offre un véritable voyage sensoriel, éveillant les sens par la couleur, les motifs, les parfums d’épices qui semblent émaner des toiles. Le spectacle se poursuit grâce aux carnets de Delacroix qui croque remarquablement les sujets et les sensations nouvelles lors de ses voyages. Ensuite, nous sommes transportés dans un rêve par une œuvre de Lecomte de Nouy, nous invitant à déambuler depuis les toits d’une médina jusqu’à un souk imaginaire. Nous découvrons ensuite la vie fantasmée des sultans dans leur palais aux motifs incroyables, avant d’être abandonnés dans le désert en quête d’une oasis.  Nous sommes surpris par des félins. Le voyage se termine en apothéose avec une ode à la femme orientale, irréelle et fantasmée par les peintres, qui semble s’évaporer sous nos yeux dans un dernier souffle avant de se réveiller.

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  1. Moucharabiehs : ouvertures décoratives murales dans l’architecture des arts de l’Islam qui permettent de voir de l’intérieur sans être vu de l’extérieur ↩︎

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