18h25 ce dimanche 7 juillet 2024, 2ème tour des élections législatives en France, je rédige plus de deux heures avant les premiers sondages. Chacun d’entre nous attend fébrilement les résultats. Ici à Metz comme dans toutes les circonscriptions électorales du pays. Car ce n’est pas une élection comme les autres, certes non! D’abord la dissolution qui pour le moins nous a surpris. Soyons clairs, nul doute que le tohu bohu observé à l’Assemblée Nationale ne contribuait pas à la sérénité des débats et l’utilisation certes constitutionnelle du 49.3 ne pouvait perdurer. Ce n’était peut-être point le bon moment pour convoquer de nouvelles élections, cependant force est de constater que ce pari risqué et courageux diront certains, dangereux diront d’autres, a payé !
Nous connaissons depuis belle lurette la faiblesse constatée des partis politiques traditionnels et ils n’ont pas attendu, souvenez-vous, l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, pour démontrer leurs incapacités dans un temps qui pourrait sembler aux plus jeunes préhistorique. Ainsi François Mitterand jouait avec le Front National de Jean-Marie Le Pen ( « jouait« , retenez bien le mot!). Le parti gaulliste instrumentalisé par Jacques Chirac faisait la part belle aux « odeurs« , une manière de faire pour récupérer un électorat populaire qui peu à peu devenait sensible aux logorrhées racistes du parti d’extrême-droite.
Sous la cohabitation Chirac-Jospin, première alerte quand Lionel Jospin en 2002 avec 16,18% des voix est éliminé dès le 1er tour et que l’alternative est incarnée par le tournoi Chirac-Le Pen, le cher « peuple de gauche» n’avait pas pris ses responsabilités et il manqua à Lionel Jospin 194.000 voix pour distancer Le Pen. 194 000 voix soit en chiffre statistique correspondant à un peu plus de 2 électeurs abstentionnistes sur l’ensemble des bureaux de vote en France… Un peu plus de 2 électeurs qui n’ont pas rempli leurs devoirs citoyens et bousculèrent ainsi les résultats de l’élection ! Ce phénomène rare observé au niveau du pays se produisit ailleurs qu’en France, soit quelques années auparavant aux élections présidentielles américaines de 2000 quand le candidat démocrate Al Gore fut au coude à coude avec G.W Bush dans l’état de Floride et malgré les recours devant la Cour suprême fut battu !
François Hollande, président de la République avait déclaré qu’il ne se représenterait pas s’il ne réussissait pas à faire baisser les chiffres du chômage. Le chômage (doit on de façon ahurissante le rappeler aujourd’hui), étant devenu un phénomène de masse dont aucun parti ni candidat n’avait alors réussi à le faire baisser. Bernard Tapie avait alors percé dans l’opinion, homme nouveau et providentiel, mais ce fut un pétard mouillé. Les chiffres élevés du chômage en France, gangrenèrent au plan économique et sociale le pays ce qui faisait déjà les choux-gras de Le Pen père. Certes dans un pays où comme le disait le madré Charles Pasqua, «les promesses n’engagent que ceux qui les tiennent», c’était de grande imprudence. Mais le pire était à venir, les coups assassins contre François Hollande vinrent de l’intérieur même du Parti socialiste, on n’est trahi que par les siens ! François Hollande ne put donc se représenter.
Les partis politiques avaient perdu leurs grands leaders, Mitterand et Chirac dans les deux camps adverses, et ne restèrent alors que les seconds couteaux. Le Parti socialiste avait perdu son identité sociale, et le RPR, dernier avatar du gaullisme, avait tout oublié de l’idée de souveraineté et de ses valeurs ( guerre d’Irak à part) . À telle enseigne, nos armées et notre défense, ainsi que notre police déjà très affaiblies par des budgets indécents, sombrèrent définitivement avec Sarkozy.
C’est ainsi que Marine prit la suite de Jean-Marie
Marine Le Pen fit une réforme (d’aucuns diraient une révolution ) à l’intérieur même de son propre parti et gomma les traces les plus inquiétantes de l’identité de base de sa formation. Il fallait tuer le père, ce fut fait ! On changea de nom au Front national pour le remplacer par Rassemblement national. Chacun notera la ô combien différence sémantique, mais dans notre monde léger et quelque peu amnésique cela sembla suffire !
Elle fut des deux dernières élections présidentielles. Ainsi et comme de nombreux partis d’extrême-droite de par le monde, elle substitua une communication populiste et démagogique à une rhétorique tribunicienne apparemment obsolète ( mais ce n’était que discours et apparences). Si le père jubilait à semer du poil à gratter et promettait aux gémonies la fonction élective, la fille lorgnait quant à elle désormais vers la conquête du pouvoir en mettant au point un dispositif de communication et de désinformation pour le moins efficace. Tout promettre, s’introduire dans les interstices sectorielles se considérant en situation de fragilité (le monde agricole, les Gilets jaunes), jouer le national contre l’Europe, et «bien sûr» ( hélas «bien sûr») agiter le spectre du terrorisme, de l’immigration et de la xénophobie. Par dessus tout se faire élire, changer d’apparence, rentrer ainsi dans le champ du parlementarisme et récupérer ipso facto ses frais de campagne ! Surtout rembourser Monsieur Poutine, bienveillant protecteur du RN et qui lui permit d’obtenir l’appui financier de Moscou !
Une étude publiée voilà quelques jours par le journal Le Monde, rend compte preuves à l’appui de la pérennité des idées d’extrême droite au sein de l’organisation lepéniste et notamment de la présence agissante de tous ses cadres et conseillers politiques, ceux là même qui au demeurant ne sont pas mis sur le devant de la scène mais agissent dans l’ombre, les plus dangereux!
Il n’était pas besoin pour le RN de tambouriner sur ces thèmes identitaires ( terme que ce parti affectionne) car l’islamisme qui combat la France, la république et la laïcité, lui fournissait de quoi alimenter son discours. Pire encore c’est au coeur même de la gauche, au sein du parti de Jean-Luc Mélenchon qu’elle trouvait son plus habile soutien.
Les outrances scandaleuses et continuelles du sénateur de l’Essonne, toujours invectivant les autorités au premier rang desquelles le président de la république Emmanuel Macron, ainsi que ses insultes à l’encontre de la police et ses compromissions communautaristes lui fournissant volens nolens, le coup de pouce nécessaire. L’incapacité de cette gauche là soumise à la doxa trotskiste et flirtant avec l’islamisme et l’antisémitisme permit ainsi à l’extrême-droite de caracoler pendant longtemps, trop longtemps, en tête des sondages ! Mais aussi hélas une gauche républicaine qui ne sut pas mesurer les délitements de la société.
Il faut être malgache pour faire revivre les morts ! Ainsi en quelques années et pour le Parti Socialiste, non seulement Jaurès était mort et enterré, mais Blum et Mitterand aussi ! Un Parti socialiste vide de sens, devenu en quelques années une coquille vide, plus un syndic d’élus qu’un grand parti de masse qu’il a depuis la disparition de François Mitterand cessé d’être. Le coup de grâce fut donné il y a deux ans par la soumission du Parti Socialiste et de la Nupes au diktat de LFI. Soif de revanche pour Mélenchon, trotskiste enkysté pendant longtemps au PS, qui trouvait là le moyen d’asservir les socio-démocrates et de satisfaire son orgueil et son ego démesurés. Quant au Premier secrétaire du Parti Socialiste qui connait même son nom !
Zorro est arrivé !
La France est un pays paradoxal, fou de république, comme Hokusai était fou du dessin, fou de son histoire, de sa littérature, de sa langue mais admiratif de la monarchie anglaise ! Dans nombre de foyers français ainsi se préoccupe-t-on avec tendresse et envie de Charles III et des princes William et Harry ainsi que de leurs épouses, et le décorum de la monarchie britannique fait tournicoter nos têtes républicaines! Il est vrai, faut-il le souligner, que La Belle au Bois dormant est un conte français de Charles Perrault et que nous aimons en France les contes de fées !
Alors seul contre tous, franchement çà a de la gueule et quand Emmanuel Macron fait campagne pour l’élection présidentielle de 2017, renverse la table et est élu, alors là bravo l’artiste !
Tant et tant à faire pour reconstruire ce qui a été défait, donner foi dans la jeunesse, réindustrialiser la France et créer de l’emploi, combattre les inégalités, redonner du lustre à notre pays dans le concert des nations et puis réparer au coeur de l’état ce que les gouvernements et présidences successives avaient abandonné les uns après les autres, le travail était immense, tel fut depuis le chantier engagé.
La guerre en Ukraine était dans toutes les têtes au moment des différentes élections de 2022 et Emmanuel Macron négligea de faire profondément campagne sur le terrain. Mal lui en prit et la majorité relative dont il hérita ne permit au Premier ministre de gouverner que par le truchement du 49.3. La situation ne pouvait longtemps durer, fallait -il encore trouver le moment opportun pour dissoudre l’Assemblée Nationale et convoquer de nouvelles élections !
Un président hyper-actif
Sans remonter ni faire de comparaisons avec des présidences plus ou moins lointaines, observons le rythme d’activité d’Emmanuel Macron, Président de la république, soit son agenda et sans convoquer le temps long du mandat, observons a minima les dernières semaines de ces mois de mai et juin 2024 . Un chef de l’état toujours sur la brèche, pas une minute à soi, entre voyages à l’étranger, conférences et interventions diverses, personnalités et conseillers à rencontrer, visiteurs du soir, dossiers à lire et à travailler, décisions à prendre, conseils des ministres, arbitrages à effectuer. Le palais de l’Élysée est une ruche bourdonnante. Au four et au moulin, çà dérape en Nouvelle Calédonie un voyage immédiat est entrepris, deux jours sur place avant de revenir dard dard en métropole, aller en Provence, dans les Alpes puis dans l’Ouest sans compter les rencontres diplomatiques avec des chefs d’état, les rendez-vous internationaux, les hommages rendus, les voyages et les rencontres avec les Français sur le terrain. Banal, normal me direz-vous, pas tant que cela non, et c’est cela même être jupitérien!
Voici qu’arrivent les célébrations internationales et diverses autour du débarquement, la plus intéressante sans être au demeurant la plus médiatique étant celle commémorant le discours de Bayeux. Cependant plus important peut-être que le discours en soi, c’est la séquence de la rencontre ce jour là d’Emmanuel Macron avec la foule. Oublions la sémantique politique et concentrons nous plutôt sur la sociologie. Pour un observateur attentif, et quand on connait le goût du contact du président avec les Français (séquence poignées de main et selfies), force est de constater la bienveillance pour ne pas dire la chaleur humaine qui s’en dégage et le plaisir manifeste du chef de l’état à rester bousculant ainsi tous les protocoles au grand dam des services de protection. Une France chaleureuse, bienveillante, voire même affectueuse avec de longues séances de poses photographiques. Franchement du jamais vu et depuis longtemps ! Deux jours après c’est le résultat des Européennes et patatras tout s’écroule, le Rassemblement National a réuni sur son nom et contre l’Europe. La mise en perspective de ces deux événements antithétiques et si éloignés l’un de l’autre, de ces deux France est cependant particulièrement intéressante ! Car dans le domaine du politique l’on oublie souvent l’humanité affleurant dans chacun de ses acteurs.
Alors la dissolution dans tout cela, serait-ce ce trop-plein sensible, l’expression subliminale de la solitude absolue que confère la magistrature suprême de la république, une sorte de burn out comme l’on jargonne aujourd’hui, de dépression, loin de la politique, Jupiter devenu Phaéton ?
Soirée électorale après les sondages et les premiers résultats
Dès 20h pile les réseaux téléphoniques commencèrent à saturer, chacun voulait connaître les chiffres des sondages et surtout quel score faisait le Rassemblement National ici et là. Ce n’était pas la Grande peur des bien-pensants mais un sentiment d’inquiétude pour ne pas dire d’effroi qui traversait le pays et qui se répandait symétriquement dans toutes les capitales européennes à la perspective d’une majorité pour le parti de Bardella et Le Pen. Les premiers sondages constataient une défaite froide du Rassemblement National et la projection de la nouvelle majorité sur les bancs de l’Assemblée rassérénait les coeurs. Les premiers seront les derniers… on s’y croirait ! Ouf !
Comment comprendre cette percée de l’extrême-droite au premier tour, je connais tous les marqueurs, toutes les arguties, les forces et faiblesses des politiques et de leurs programmes, les attentes et les espoirs, les craintes et les rejets mais pour la première fois et quelques soient les angles d’attaque j’avoue avoir du mal à comprendre pourquoi aux Européennes ainsi qu’au 1er tour des législatives l’extrême-droite en France a rassemblé tant de voix ! Il faudra calibrer territoire par territoire, circonscription après circonscription, en examinant toutes les sociologies et disparités et personnalités élues ou battues pour se faire une claire idée, car oui, nous avons eu très peur ! Mais il faut aussi examiner plus loin et notamment le rôle des réseaux sociaux dans cette emprise populiste sur les esprits.
Bardella fait très peur, et derrière la froideur minérale de son apparence bcbg, un conformisme autoritaire à la Bertolucci
Le projet de l’extrême droite c’est fondamentalement et quelles que soient les apparences, la destruction de la République,« la Gueuse» comme elle est nommée dans leurs milieux, et ce ne sont pas que des mots ! Leurs programmes ne sont que des attrape-gogos, un os à ronger pour berner les populations les plus fragiles, l’objectif est ailleurs, tel est donc ce nouveau populisme.
Moscou oeil du cyclone
Ce n’est un secret pour personne, Marine Le Pen, fait les yeux doux à Moscou. Les interférences des services secrets russes et de leurs trolls sur la France sont nombreuses et commencèrent avant même l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. A l’époque la chaîne de télévision russe RT agissait comme une cinquième colonne en France. Elle a depuis été interdite de diffusion par l’Union européenne. La Russie veut déstabiliser l’Europe tout comme la France et son action prend des formes les plus variées au niveau basique de la société et de l’information via les réseaux sociaux tout comme ses attaques informatiques ciblées sur des sites industriels, des collectivités ou des hôpitaux. L’Europe puissance est sa hantise. Nous ne mentionnerons pas ni la déstabilisation des pays du Sahel ainsi que son soutien apporté aux factions islamistes en Afrique de l’Ouest, ni son rôle tout récemment (via un pays satellite) dans les événements tragiques de Nouvelle Calédonie.
Observons en tout cas que dans son soutien au Rassemblement National et à Marine Le Pen, le Kremlin de Poutine a échoué lors de ces élections françaises et l’on ne peut que s’en réjouir. Soulignons qu’il eut une activité souterraine dans le choix passé des Britanniques sur le Brexit et dans la défaite d’Hillary Clinton contre Trump !
Comment entrevoir les mois qui viennent
Dores et déjà le Président de la République devra désigner un Premier Ministre qui aura à présenter un programme de gouvernement et des alliances compte tenue de la nouvelle majorité. Une alliance rassemblant des hommes et des femmes de bonne volonté appartenant aux différentes formations. Certes des personnalités de grand talent sont apparues tel Raphaël Glucksmann et d’autres, mais pour remplir cette fonction il faudra à celui ou celle plus qui en sera chargé bien plus qu’un talent oratoire ou philosophique, mais une maîtrise de l’appareil d’état et une connaissance affinée du monde parlementaire et des arcanes politiques car oui il faudra conclure des alliances, faire des concessions, la part du feu pour avancer et faire voter des lois. Notre pays comme le dit une émission populaire a du talent, et dispose de personnalités d’expérience qui ont eu une responsabilité ministérielle : le socialiste Stéphane le Foll par exemple, ou l’ancien ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, Gabriel Attal bien sûr qui n’a pas démérité, loin de là et est capable d’obtenir un consensus, et bien sûr François Hollande inoxydable retrouvant son siège de député de la Corrèze. Ah ces Français !
Le retour des éléphants commenteront certains, des mammouths ajouteront d’autres, constatons que dans ces temps d’écologie à tous coins de rue, ces pachydermes à peau épaisse par définition en auront besoin pour éviter pièges, chausses-trappes et balles sifflantes dont sans nulles illusions ils seront la cible. Bref pour parler «djeune» ce sera quelque peu Rock and Roll ! La Constitution de la Vème République comme la République même, est une bonne fille et saura parfaitement s’adapter à un rééquilibrage avec un peu plus de parlementarisme et sans nuire aux prérogatives de l’Élysée. Le vent du boulet est passé pas loin et il sera indispensable de mettre en place avec équilibre un peu de scrutin proportionnel dans nos votes, ce qu’au demeurant la plupart des partis réclament depuis fort longtemps.
The Winds of change, les vents du changement comme disait, autre lieu autre temps, Winston Churchill, soufflent désormais sur la France et il nous appartient donc à nous tous, élus comme citoyens, de reconstruire ou solidifier les fondements de notre démocratie. Ainsi il apparait comme urgent de bâtir ce grand parti politique, cette union des démocrates qui rassemblera loin des chapelles, socio-démocrates et républicains gaullistes, écologistes et communistes , de faire un parti comme fut construit après guerre sous Charles de Gaulle le gouvernement d’Union nationale, sachant que de l’autre côté c’est une droite dure à l’image du Trumpisme qui va ruminer avec amertume sa défaite, et que la prochaine échéance décisive sera l’élection présidentielle de 2027. Nous aurons sans nul doute aucun l’occasion d’approfondir ce sujet. C’est à ces conditions seulement que la société française pourra se réconcilier avec elle-même et que la France pourra conserver son rang dans le concert des nations.
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