Comtesse Jeanne de Valois, Jeanne de Valois Saint-Rémy, Jeanne de La Motte Valois, peu importe comme on la nomme, c’est toujours la principale protagoniste de l’affaire du collier de la Reine, qui fit tant de mal à la monarchie à la fin de du XVIIIèmesiècle, et l’objet de centaines de romans, films, pièces de théâtre, d’études historiques plus ou moins sérieuses.
Jeanne, était descendante d’un bâtard d’Henri II dont les ancêtres ont consciencieusement dilapidé le patrimoine, son père parachevant cette œuvre familiale. D’un côté, une noblesse d’origine prestigieuse, et du côté de sa mère, une domestique, n’hésitant pas à se prostituer, et qui n’eut aucun scrupule à abandonner ses enfants après la mort de son mari. Une enfance difficile, c’est certain, mais contrairement à ce qu’elle a dit, écrit, pas aussi miséreuse que ça, car son appartenance à la noblesse n’a jamais été vraiment mise en doute, et en plus les Valois Saint-Rémy étaient connus comme issus de sang royal.
Sa vie est un vrai roman, de sa naissance dans ce qui restait du château de Fondette en Bourgogne, à sa mort en exil à Londres après sa flétrissure sur l’échafaud et son évasion de la maison de correction de la Salpêtrière. Un mari, Nicolas de La Motte, pire escroc qu’elle, un de ses multiples amants (et non moins ami de son mari), Louis Rétaux de Villette, aussi amoral que le couple, un cardinal ambitieux, naïf et nul, Louis de Rohan-Guémené, Cagliostro et bien sûr Marie-Antoinette. Rien que du beau monde pour faire un bon roman, sauf que ce qui se passa en cette fin du XVIIIème siècle, est bien réel.
Jacques Bressier, l’auteur de cette biographie, s’est essentiellement basé sur les mémoires que Jeanne de Valois a écrits en Angleterre pour s’expliquer. Enfin, s’expliquer, plutôt pour donner sa vision de son histoire quitte à modifier, voire à inventer certains passages. Mais c’est en quelque sorte normal, surtout pour une personne ayant son caractère et son ego démesuré. En effet, elle est quelque peu aveuglée par son désir de vengeance et par une haine profonde contre ceux qui, selon elle, auraient dû, non l’aider, mais la reconnaitre selon son rang, c’est-à-dire membre de la plus haute noblesse de France (avec, bien sûr, tous les privilèges qui s’y attachaient). En soit, elle pense comme beaucoup de personne de notre époque : elle est irresponsable, ce qu’elle a fait, c’est par nécessité, pour faire reconnaître ce qu’elle croyait être ses droits. En outre, si tout ne s’est pas passé comme cela aurait dû (enfin, de son point de vue), c’est de la faute des autres (ses complices, Rohan, la Reine, ses parents, la société, et j’en passe). Une vraie complotiste ! Et puis elle fait partie des championnes hors catégorie pour la diffusion des fausses nouvelles. On dirait maintenant une créatrice de « fake news ». Son imagination pour atteindre ses buts ou pour déverser sa haine est sans limite, allant même à croire que ce qu’elle invente est la réalité.
Mais c’est aussi une personne de son époque : elle se réfugie en Angleterre et écrit tout le mal qu’elle pense sur la France, ses dirigeants, ses institutions. Elle n’est pas la seule, loin de là que l’on pense à Voltaire, au chevalier d’Éon et à tant d’autres. Une façon comme une autre pour contourner la censure, se positionner comme une victime, mais aussi de se faire (grassement) payer pour que ses écrits ne soient pas publiés. Avec un paradoxe qui est loin de la gêner tant elle vit dans un monde parallèle fait de haine et de rancœurs. À telle enseigne, au début de la Révolution, elle salue la chute de l’arbitraire royal dont elle fut victime selon elle (elle a été condamnée non parce qu’elle passait son temps à escroquer son entourage ou parce qu’elle avait volé un collier, mais parce qu’on ne voulait pas reconnaitre son rang). Ainsi elle se dit fervente partisane pour la liberté et l’égalité des droits alors qu’elle passa son temps à essayer d’obtenir privilèges et pensions ! Il faut reconnaître qu’elle est loin d’être seule dans ce cas à cette époque.
Ainsi Jacques Bressier, en s’appuyant sur ses mémoires nous livre presque une hagiographie de Jeanne de Valois. Beaucoup d’éléments du côté de sa défense, relativement peu du côté de l’accusation. Pour autant, même s’il essaie de nous faire pleurer au début de la vie de son héroïne (comme elle l’a fait dans ses mémoires alors que bien des éléments sont faux), il n’en demeure pas moins qu’il prend du recul pour pouvoir apporter des explications au niveau du caractère, de la personnalité de Jeanne de Valois.
Ainsi une femme ayant une très haute idée de ses origines, d’une immense égoïsme, quelque peu monomaniaque tellement elle est prise par son idée de grandeur et par sa volonté de se venger de toute personne qui ne l’aide pas comme elle le veut. Une femme dépressive, totalement inconsciente de ce qu’elle fait. Et que dire de son cynisme, de son art de la manipulation, de son absence de toute morale. Pour elle la fin justifie les moyens, peu importe le mal qu’elle peut faire, peu importe la conséquence de ses actes. Il faut coucher pour obtenir, elle couche ! Il faut mentir, elle ment ! Ce qui est certain c’est qu’elle est une excellente comédienne et plus d’un (et pas que le naïf Rohan), s’est laissé prendre à son jeu. Mais elle est trop sûre d’elle jusqu’à l’insouciance.
Ainsi, après le vol du collier, au lieu de partir pour se faire oublier, elle dépense sans compter aussi bien à Paris qu’à Bar-sur-Aube, elle a réussi à devenir ce qu’elle croit être, plus rien n’a d’importance et son origine doit lui servir pour être au-dessus des lois, elle est certaine que maintenant, personne n’osera l’attaquer. Sauf que son plan repose sur une impunité qu’elle n’avait pas, qu’elle jouait un rôle, et que dans le monde réel, tout n’était pas comme elle avait fini par croire que c’était. Et de fait quand il est apparu qu’elle était loin d’être une confidente, la dame de confiance de la Reine, tout son univers s’est effondré.
Il en ressort un portrait plein d’humanité d’une femme quelque peu détestable tant elle était aveuglée par son estime de soi, son égoïsme et sa haine.
Je ne vais pas aller sur les inventions qu’elle a pu faire sur son enfance : oui, elle a connu la misère, mais elle n’a jamais mendié à Paris puisqu’elle habitait à Boulogne (soit en périphérie de la capitale, à cette époque).
La marquise de Boulainvillers poussée par son mari, ne l’a pas mise dans une pension sordide, mais dans un de ses établissements pour les rejetons des nobles désargentés (ce n’était pas l’école de Saint Cyr, bien sûr, mais quand même une institution qui ne recueillait que des élèves de « l’élite sociale »).
Elle en veut à ceux qui lui donnent une pension de 800 puis une autre de 700 livres, ce qui « la laisse dans la misère », en oubliant qu’avec 1 500 livres de rentes annuelles elle fait partie des plus riches de la société de l’époque. Mais comme l’idée du travail lui est totalement inconnue (comme à son mari) elle ne pense qu’à devoir vivre avec un train de vie luxueux et dispendieux, à la hauteur du rang qu’elle doit à son royal ancêtre. Elle n’en a jamais assez, et c’est pour cela qu’elle veut de plus en plus d’argent et qu’elle devient, il faut bien dire le mot, une escroc de très très haute volée.
Même sa mort à Londres est sujette à caution : empoisonnée par les sbires de Lois XVI qui avait peur de ses révélations dans ses mémoires ? Beaucoup plus vraisemblablement, c’est du moins la thèse officielle retenue par bien des historiens, défenestrée alors qu’elle tentait de fuir ses créanciers (son mari, réfugié en Angleterre alors qu’elle était à la Bastille, avait dilapidé la fortune tirée de la vente des diamants du collier et en plus avait fait énormément de dettes). C’est nettement moins « glamour » et « héroïque » que l’empoisonnement !
Alors comme le titre cette biographie : Jeanne de Valois : criminelle et martyre ? Criminelle, sans aucun doute, vu l’étendue de son œuvre délictuelle, peut-importe le régime politique, elle aurait encouru les foudres de la loi et aurait été condamné. Martyre : sûrement pas à cause du système politique de son temps qui l’a traitée comme il traitait les escrocs et les voleurs, et encore avec une certaine mansuétude, car ce qu’elle risquait c’était la peine de mort. Le fait qu’on ne lui ait pas affligé tant à démontrer que son appartenance à une lignée royale fut prise en compte.
Martyre, oui, si l’on veut, mais martyre d’elle-même, de son égoïsme, de son insouciance, de son irresponsabilité, de sa haine, de ses rancœurs.
Sincèrement, quand je lis sa biographie, quand j’essaie d’analyser avec du recul, les fondements de sa personnalité, je finis presque par penser que Jeanne de Valois est très moderne et que, de fait, elle correspond à l’archétype de personnages qui deviennent de plus en plus nombreux dans notre pays.
Jeanne de Valois
Criminelle et martyre
Jacques Bressier
éditions L’Harmattan. 24€
Illustration de l’entête: Portrait d’une femme dit de Jeanne de Valois comtesse de La Motte, par Elisabeth-Louise Vigée Lebrun (1755-1842). Photo Sotheby’s
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