Après Quand les dieux rôdaient sur la terre de Pierre Judet de la Combe ( lire notre critique), voilà, sous la plume de Pierre Sauzeau, un nouvel ouvrage au titre explicite Le Grand livre des mythes grecs, à croire que c’est un thème à la mode en cette fin d’année 2024. N’allez surtout pas croire que ce second ouvrage soit en quelque sorte superfétatoire. Loin de là, c’est plutôt un complément au premier livre cité. Bien sûr les mythes, les histoires (enfin les diverses versions des histoires) sont les mêmes : Troie finit par être prise grâce à la ruse d’Ulysse et de son cheval, Chronos est toujours émasculé par son rejeton Zeus. Les auteurs d’Homère à Pindare, d’Hésiode à Sophocle en passant par Eschyle, et avec quelques romains en plus : Ovide, Virgile… sont aussi fidèles. Il y a des constantes !
Non ce qui change c’est leur présentation et surtout leur mise en valeur, voire leur analyse. Nous passons du global au détail, du général au particulier, de l’analyse savante (sans être pédante, loin de là), à l’anecdotique (qui est la base d’analyses généralistes au niveau de la nature humaine), d’un style professoral (au bon sens du terme) teinté d’humour, à un style plus adapté aux lecteurs moins au fait de la civilisation de la Grèce classique, mais aussi avec énormément d’humour et de sérieux scientifique. Je n’en veux pour preuve que les nombreuses questions que pose l’étymologie de bien des noms, enfin de prénoms de Dieux, Nymphes et autres héros et simples mortels. Rien qu’à l’écoute d’un nom le locuteur de l’époque savait à qui il avait affaire, le destin contenu dans un nom… Tout un savoir que nous avons perdu.
Pierre Sauzeau, à l’érudition remarquable, nous guide dans l’univers, dans ce vrai labyrinthe des divers mythes grecs. Bien sûr les plus connus : Chronos mangeant ses enfants, Prométhée, les 12 travaux d’Héraclès, Jason et la Toison d’Or, le fil d’Ariane, la Guerre de Troie, l’Odyssée d’Ulysse avec ses sirènes, son Cyclope, Circée et tout le reste, Œdipe, Antigone, Orphée, etc. Mais pas que, car la mythologie grecque est beaucoup plus riche. A l’exception des spécialistes et de certains amoureux de cette mythologie, qui connait ou qui se souvient de Procuste, Tithônos, Prixos et Hellé, Ixion, Amynomè ou encore Déjanire ou Trézène ?
© 2017 GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Adrien Didierjean
Tous ces mythes nous décrivent un monde violent, parfois cruel. Les incestes sont monnaie courante. On n’hésite pas à servir à manger des enfants (ceux de l’hôte ou ceux de l’invité). On massacre, écrabouille, découpe les membres et j’en passe dans l’horreur…
Les filles sont enlevées, violées, abandonnées, victimes de leurs agresseurs, mais aussi parfois de la jalousie des femmes de ces derniers (pensons à Héra). Cela ne veut pas dire qu’elles ne sont que des jouets servant à assouvir les pulsions des hommes aux quelles elles sont soumises, loin de là. Elles savent être supérieures aux hommes, imposer leur volonté : Antigone, bien sûr, mais aussi Electre, Athéna, Pénélope et que dire de Médée qui au-delà de l’horreur de son geste est une des héroïnes les plus complexes, les plus « humaines » de la mythologie, nettement plus attachante, ayant une personnalité bien plus « affirmée » que son ectoplasme de mari, Jason qui, hors le fait qu’il est né « dans une bonne famille », n’accomplit pas des exploits « extraordinaires » (sans les Argonautes et Médée, jamais il n’aurait pu ramener la Toison d’or). Même Hélène est ambigüe : soit elle est victime d’au moins deux rapts : Thésée et Pâris, mais elle est pleine de sagesse, voire de ruse (ayant compris que le cheval est un piège, elle imite la voix des épouses de ceux qui sont à l’intérieur pour les faire sortir), et, en quelque sorte, toujours fidèle à son époux … du moment.
De fait, la mythologie grecque, si elle nous a fait, et peut-être fait encore et toujours, rêver, si elle est un des piliers de notre culture occidentale, n’est-ce pas parce qu’elle ne fait que décrire les constantes de toute société humaine, de notre nature humaine ? La société a évolué, les monstres et les héros ont disparu après la Guerre de Troie, le viol est condamné et puni, le phénomène « me-too » a quelque peu assagi les rapports femmes/hommes, même s’il reste encore beaucoup à faire, mais les interrogations existentialistes que se posaient nos lointains aïeux sont les mêmes que celles que nous nous posons aujourd’hui.
Laissons-nous emporter par le talent de compteur de Pierre Sauzeau, pour nous replonger dans un passé pas si lointain que ça. Et puis chez votre libraire pour vos cadeaux songez à demander ce livre !
Le grand livre des mythes grecs
Pierre Sauzeau
éditions Les Belles Lettres. 29€90
Illustration de l’entête: Hydra et Hérakles. J. Paul Getty Museum, Malibu. Californie. Type Caeretan noir Hydria
Attribué au peintre de l’aigle ca. 525 av.J-C. Période Archaïque
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