Edvard Munch est un peintre norvégien (1863-1944) et de ces artistes dont l’expression artistique nous trouble, et met à mal notre sensibilité quand éclatent sur ses toiles les démons qui le persécutent. Il n’est pas le seul, Van Gogh, bien entendu, est aussi de ceux-là comme bien d’autres. Son oeuvre cependant est d’une grande variété et ses portraits demeurent malheureusement encore assez mal connus. Pendant bien longtemps il fut difficile voire impossible de parler de la maladie psychiatrique et de ses effets non seulement sur les patients qui la subissaient, mais aussi sur l’ensemble de la société. Observons en tout cas que l’art, ou plus précisément la création artistique, se révèle être un espace de liberté absolue, peinture (comme tel le sujet de cet article), mais aussi la littérature. L’art est universel et se moque des catégories, fussent-elles médicales et qui plus est, parler de Munch ne se résume pas à la psychiatrie, loin de là!
Le temps même où nous vivons (devrions-nous nous imposer de le reconnaître), est mal à l’aise pour évoquer ce sujet. Alors si dans quasiment tous les pays occidentaux, nous manquons de médecins, de psychiatres notamment, et de lieux de soin pour accueillir, écouter et soigner les patients, peut-être donc ce ne serait ni le fruit du hasard, ni de la nécessité ! Qu’il est difficile, douloureux et cruel d’être différent ! Les recherches et les découvertes conduites tant à la fin du XIXè et au début du XXè ont ouvert la voie. En France, le professeur de médecine et académicien J-M Charcot, pour la maladie psychiatrique, puis bien plus tard le psychiatre suisse Eugen Bleuler au début du vingtième siècle pour la schizophrènie, apportent les premiers éléments scientifiques pour comprendre cet univers. Mentionnons bien entendu (au risque de heurter quelques doctrines et écoles dogmatiques), le rôle important de Sigmund Freud, et donc de la psychanalyse, pour complémenter ce tableau.
Il convient cependant de dissocier temporairement psychanalyse et analyse esthétique pour nous concentrer exclusivement sur la découverte de ces portraits trop mal connus de Munch telle nous y invite l’exposition qui se déroulera à Londres au printemps prochain et que nous vous présentons en avant-première.
La personne tout comme l’œuvre artistique d’Edvard Munch ne se circonscrivent point dans cette seule séquence, et si Le Cri (Cliquer) sous ses multiples aspects a fait le tour du monde, la découverte d’une oeuvre faite de nombreux portraits est particulièrement variée.
En France le musée d’Orsay de septembre 2022 à janvier 2023 avait consacré une très riche exposition à Edvard Munch. C’est au tour de Londres et de la National Portrait Gallery en 2025 de poursuivre ce travail d’analyse au coeur même de l’histoire de l’art.
Munch le portraitiste
C’est à l’occasion d’une conférence de Presse à Londres que vient d’être dévoilée l’exposition qui sera consacrée à Edvard Munch et qui se tiendra à partir du 13 Mars 2025 à la National Portrait Gallery. Ce sera même la première exposition au Royaume-Uni à se concentrer exclusivement sur Munch en tant que portraitiste, avec des œuvres inédites au Royaume-Uni telles que les portraits de l’avocat Thor Lütken et du physicien Felix Auerbach réalisés par Munch.
L’œuvre de Munch sera explorée à travers les portraits de sa famille, de ses compagnons de bohème, de ses mécènes et de ses amis, des années 1880 jusqu’aux années 1920.
Avec plus de 40 œuvres, l’exposition est organisée de manière thématique et chronologique, entraînant les visiteurs dans un voyage en quatre parties à travers la famille proche de Munch, ses interactions avec les artistes d’avant-garde qu’il fréquente, ses mécènes et collectionneurs, et enfin ses confidents les plus proches, les « gardiens ».
Les visiteurs découvriront d’abord les premiers portraits de famille de Munch, réalisés dans les années 1880 et 1990. Ces images intimes, souvent peintes sur de petits morceaux de carton de manière naturaliste, introduisent des concepts clés que l’on retrouve dans l’ensemble de l’œuvre de l’artiste. Evening (1888) sert de prototype aux œuvres symbolistes que Munch a créées dans les années 1890. Elle montre la sœur de Munch, Laura, lors de vacances en famille, juste un an avant qu’elle ne soit définitivement hospitalisée pour schizophrénie, capturant ainsi son sentiment d’aliénation par rapport à son environnement. Andreas Munch Studying Anatomy (1886) est une première expression de la fascination qu’a toujours eue l’artiste pour la médecine et les médecins, ainsi que pour l’idée de la mort qui allait hanter et traverser l’ensemble de son œuvre.
Après avoir quitté le domicile familial pour suivre des études artistiques formelles au milieu des années 1880, Munch s’est intégré à la scène bohème de Kristiania (l’ancien nom d’ Oslo ). C’est là qu’il fréquente tout un réseau d’artistes et d’écrivains, dont le principal était l’anarchiste Hans Jæger, dont le portrait domine cette section. Les échanges de Munch avec les cercles bohèmes de Kristiania, de Paris et de Berlin ont été son aiguillon et lui ont permis de s’ouvrir en tant qu’artiste, le conduisant vers un style plus expressif qu’il a appelé « l’art de l’âme ». À Berlin, Munch a rencontré l’écrivain et dramaturge polonais Stanisław Przybyszewski, dont la monographie de 1894, Das Werk des Edvard Munch, a été la première publication à promouvoir Munch au niveau international et à suggérer l’idée de « l’âme nue » comme étant fondamentale dans son œuvre. Le portrait de l’avocat Thor Lütken est un tableau particulièrement fascinant de cette section. Jamais exposée auparavant au Royaume-Uni, la manche de Lutken, située sur le bord inférieur, se double d’un paysage au clair de lune habité par deux figures mystérieuses évoquant l’amour et la mort.
La troisième section de l’exposition examine la relation de Munch avec ses mécènes et collectionneurs. Au début du XXe siècle, Munch était l’un des artistes les plus exposés en Europe. De retour à Berlin en 1902, il gagne le soutien d’un groupe de collectionneurs riches et influents, dont le mécénat rehausse encore son profil. C’est à cette époque que Munch commence à recevoir des commandes, ce qui marque un tournant dans le style de ses portraits, qu’il peint dans des couleurs vives et audacieuses pour refléter le dynamisme de ses modèles.
Parmi ces portraits, citons celui du physicien allemand Felix Auerbach, commandé en 1906, qui s’adresse au spectateur comme s’il s’agissait d’une conversation. La broche (1902), lithographie de Munch représentant la violoniste Eva Mudocci, née à Brixton, qui apparaît à la fois sensuelle et mystérieuse, dégage un sentiment de chaleur similaire. Alors que les portraits symbolistes à « tête flottante » de Munch ont tendance à se concentrer sur des figures créatives masculines, ce portrait de Mudocci est un rare exemple de femme dépeinte de cette manière.
Après une dépression et de graves crises en 1908, Munch a été admis dans une clinique psychiatrique privée à Copenhague, dirigée par le Dr Daniel Jacobson. Lorsque Jacobson demanda un portrait, Munch choisit de le faire poser dans une position puissante qui faisait écho aux portraits emblématiques d’Henri VIII par Holbein, peints dans des couleurs vives et tourbillonnantes, comme s’ils étaient engloutis par les flammes.
Après sa guérison en 1909, Munch s’installe définitivement en Norvège, son retour étant facilité par un groupe d’hommes qu’il appelait ses « sauveteurs » ou « gardiens » – des amis proches et des soutiens qu’il a trouvés parmi les écrivains, les artistes et les mécènes. Ce groupe est mis à l’honneur dans la dernière section de l’exposition. Parmi les œuvres clés figurent les portraits en pied de Jappe Nilssen, du peintre Ludvig Karsten et de l’écrivain Christian Gierløff.
Ces sauveteurs étaient si importants pour Munch qu’il refusait de se séparer de leurs portraits qui les remplaçaient lorsqu’ils n’étaient pas là. Cette section met également en lumière les modèles qui ont régulièrement posé pour Munch, comme Birgit Prestøe dans Modèle assis sur le canapé (1924) et Sultan Abdul Karem dans Modèle au foulard vert, notamment le seul modèle non-européen à avoir été peint par Munch.
Madame Alison Smith, directrice des collections et de la recherche à la Wallace Collection à Londres, a pu ainsi conclure cette présentation par ces mots: «Tout au long de sa vie, Munch a cherché à pénétrer derrière les masques de ceux qu’il représentait, utilisant une peinture expressive pour révéler les sentiments et les motivations profondes. Cette exposition offre une occasion unique d’apprécier son travail de portraitiste, tant du point de vue de sa relation personnelle avec ses modèles que de la manière dont il les a représentés». On ne peut mieux dire et nous avons déjà hâte d’admirer ces portraits !
Les portraits de Munch
Londres. National Portrait Gallery
à partir du 13 mars 2025
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