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Michel Fraisset, dans l’intimité aixoise de Paul Cézanne

par Pétra Wauters

Qui ne connait pas Michel Fraisset, lui qui est devenu en quelque sorte le gardien de Cézanne et gère l’atelier des Lauves dont il possède toutes les clés pour ouvrir des perspectives ambitieuses et diversifiées. Quel chemin parcouru et quelle fidélité et quelle passion autour du peintre de la Sainte Victoire

Il a rédigé de nombreux ouvrages sur le patrimoine régional, mais a également créé des festivals et des rencontres autour de la BD. Assurément Michel Fraisset a ce don de multiplier avec enthousiasme les petits ponts entre différentes formes d’arts. A telle enseigne, la bastide du Jas de Bouffan ré-ouvrira progressivement ses portes à partir de l’été 2025, et il sort prochainement un livre « Paul Cézanne sous le soleil de Provence », à paraître aux éditions des falaises.

Aujourd’hui directeur du plus grand Office du tourisme de France, ses fonctions sont multiples et Cézanne n’est jamais bien loin. Il nous parle de son parcours dans une interview exclusive pour WUKALI.

Michel Fraisset

Vous-même étiez, tout comme Cézanne, élève au lycée Mignet. En tant que lycéen, est-ce que vous vous intéressiez déjà à lui ?
Je savais qui c’était ! Je savais que le Collège Bourbon, car il s’appelait ainsi à l’époque, avait accueilli des élèves et des professeurs de marque : Cézanne, Zola, Pagnol

J’étais étudiant en histoire de l’art lorsque avec une amie, j’ai mis en place une association « A la Rencontre de Cézanne ». C’était en 1981 et le constat était désolant à l’époque, à savoir que ce prophète n’était pas du tout connu dans son pays. Le musée Granet ne disposait pas encore des peintures à l’huile qui y seront déposées par l’Etat en 1984, grâce à Jack Lang. Cézanne était complètement inconnu, sinon par le lycée ou le cinéma ou encore par le garage qui porte son nom ! Peu d’Aixois savaient qui était cet artiste. Il s’agissait de remettre Cézanne au cœur de sa ville et fort heureusement, les institutions ont fait par la suite leur travail.

Olécio partenaire de Wukali

C’est donc ainsi qu’a débuté la reconnaissance de Cézanne ?
Je pense que le vrai déclencheur ce fut l’incendie qui a ravagé les paysages autour de la Sainte-Victoire en 1989. La grande expo organisée l’année suivante par Denis Coutagnes (ancien conservateur en chef du patrimoine en charge du musée Granet de 1980 à 2008) sur la thématique de la Sainte Victoire a connu un succès retentissant. Ce fut un véritable électrochoc pour tous. Cette montagne, tout le monde l’a vue brûler, le motif de Cézanne est parti en fumée et cela a duré plusieurs jours. Il y a eu à ce moment une prise de conscience collective.

Vous avez été directeur des Affaires Culturelles de la ville de Pertuis. En 1990 vous avez crée dans cette ville le Festival de la Bande dessinée, une association BD et théâtre de rue.
Tout à fait. Cette manifestation qui connut un beau succès s’adaptait parfaitement à l’urbanisme de la ville. L’ensemble des places accueillait les représentations théâtrales, des chapiteaux étaient montés pour les manifestations qui s’organisaient autour de la bande dessinée.

Vous êtes arrivé à Aix en 1997 pour gérer l’Atelier de Cézanne. Quelques années plus tard vous mettez en place un nouvel événement autour de la BD : « Les rencontres du 9è art ».
Ce nouvel événement n’était pas du tout le prolongement du festival de Pertuis. On a voulu créer quelque chose de différent à Aix. Une manifestation qui s’appuyait sur la Cité du livre, le lieu de la lecture et du livre dans la ville. Tout ceci en connexion avec les réseaux des librairies, des musées. C’est donc un format complètement différent.

En 2015, vous êtes nommé à la direction de la communication de l’Office du tourisme. Une fonction qui s’ajoute à celle de la direction des sites de Cézanne. Vous avez écrit également de nombreux ouvrages sur la région. Vous aimez créer des passerelles entre les arts.
J’essaie effectivement de faire du lien, de tisser des passerelles, de faire en sorte que les disciplines et surtout ceux qui les pratiquent puissent se rencontrer. Je pense que l’on s’enrichit les uns des autres. Joindre la Bande dessinée avec les arts plastiques, le cinéma, le théâtre de rue, cela donne du sens à chacun. Passer de Cézanne à la BD ou la direction de l’Office du tourisme, pour moi, c’est en lien direct.

Pouvez-vous nous parler de cet événement, « Nouveaux regards » qui offre sa chance aux jeunes artistes.
« Nouveaux regards » à l’atelier Cézanne existe depuis 16 ans. Depuis, le projet a grossi puisque nous ne sommes plus seulement deux partenaires autour de cet événement, l’atelier de Cézanne et l’Ecole d’Art, mais nous accueillons d’autres partenaires comme le « 3 bis f », lieu d’arts contemporains, l’association « Mécènes du sud », avec le réseau des chefs d’entreprises Aix-Marseille qui a rejoint le projet en offrant notamment des résidences rémunérées pour des jeunes artistes. Le but est de leur mettre le pied à l’étrier et de faire ce que la ville n’avait pas fait à l’époque où Cézanne peignait de son vivant ; le reconnaître tout simplement et lui donner une chance de s’exprimer dans sa ville.

Lors de l’édition 2015 par exemple sur 20 étudiants suivis tout au long de l’année, un jury constitué de différentes personnalités du monde des arts et de la culture, en avait retenu 6 ou 7 dans de multiples disciplines que développent l’Ecole d’art : le dessin, la peinture, la vidéo, la photo, la robotique, la sculpture…

Parmi les manifestations organisées sur Aix, quelle est celle qui vous a le plus marqué ?
Tout le monde a été marqué par l’année Cézanne 2006. Nous avions tous poussé nos limites, aussi bien les personnes qui avaient travaillé sur les projets que les lieux mêmes qui accueillaient les visiteurs, en passant encore par la qualité des projets proposés. Il ne s’agissait pas seulement d’une exposition au Musée Granet, c’est toute une saison artistique et culturelle qui se mettait en place dans différents lieux de la ville, aux carrières de Bibémus, au Jas de Bouffan, au pied de la Sainte Victoire… Soit 300 projets et un million deux cent mille visiteurs !

L’atelier est-il tel que Cézanne l’a connu ?
On essaie de faire en sorte que ce site reste le plus authentique possible. Il y a cette valeur en Provence qu’on nous reconnaît volontiers, celle de l’authenticité ! Ce lieu par bonheur a été épargné. On ne l’a jamais restauré à outrance. Mais en tout cas, il est dans son jus ! A l’époque, il s’agissait d’un atelier sur la colline des Lauves, fréquenté par un artiste qui venait y travailler tous les jours. Tous ceux qui sont venus voir Cézanne peindre reconnaissaient qu’il était au milieu d’un grand désordre ; tout était éparpillé, pinceaux au sol, des toiles qui séchaient dans un coin : un désordre rangé ! Ce n’était pas un lieu de vie et de création, contrairement à l’atelier de Monet ou de Renoir, mais uniquement un lieu de travail.

Cézanne 2025, l’événement dont le monde entier parle !

A retrouver dans WUKALI :

https://wukali.com/2024/12/01/2025-aix-en-provence-celebre-paul-cezanne/31783/

Selon vous, pourquoi, 120 ans après sa mort, parle t-on toujours du mystère cézannien ?
Comme pour tous les grands artistes, il y a eu une réalité de l’homme d’une part, et un mythe qui s’est créé. La réalité devait être différente. On a forcé le trait de caractère. Ce qui est indéniable, c’est que Cézanne reste celui qui incarne le grand virage de l’art contemporain. Il y a eu un avant et un après Cézanne. C’est la quête de tous les artistes, car c’est toujours très compliqué de rendre les choses simples. C’est quelqu’un qui a cherché, et qui a trouvé. Il a adapté ses théories, il a beaucoup pensé son art, et réussi, pinceau à la main.

Atelier des Lauves

Quels sont les évènements qui vous ont marqué et se sont déroulés à l’atelier ces dernières années ?
On a accueilli à l’atelier des expositions d’artistes, vivants ou non, en lien avec les thèmes abordés dans l’œuvre de Cézanne. Nous avons aussi eu des rendez-vous plus « grand public », avec des projections cinéma très conviviales en plein air qui ont lieu pendant l’été. Elles se font par rapport à des thématiques qui traversent différents films et ces séances connaissent de plus en plus de succès. Nous avons notamment pu présenter le travail d’un photographe allemand, Willi Maywald, qui a rencontré tous les grands artistes du XXè siècle et les a photographiés dans leurs ateliers : Kandinsky, Derain, Dufy, Picasso, Matisse, Léger, Sonia Delaunay pour n’en citer que quelques-uns. Ils sont tous là, immortalisés. Ce qui était important pour moi, c’était de les voir dans leur lieu de travail pour faire le lien avec l’atelier de Cézanne. Le photographe a également réalisé des clichés des créations des plus grands stylistes d’après-guerre, Jacques Fath, Dior, Chanel avec tout le côté sublime de cette mode intemporelle des années 50, avec ces magnifiques chapeaux.

On y a associé dans ces temps fort, des commerçants, des magasins de mode et d’acessoires, afin qu’ils réalisent grâce à ces clichés, un parcours dans la ville autour de ce grand photographe.

On a aussi tenu le projet, dans le cadre des « Rencontres du 9è art » de présenter le travail d’un dessinateur néerlandais, Typex, qui a illustré la vie de Rembrandt, formidable ! On avait ainsi choisi dans son œuvre toutes les représentations faites de l’atelier du peintre hollandais, pour, là encore, faire écho à l’atelier de Cézanne.

Photo du film, Cézanne et moi de Danielle Thomson avec Guillaume Gallienne et Guillaume Canet

Vous avez travaillé en étroite collaboration avec la scénariste Danielle Thompson. C’était dans quelles circonstances ?
Oui effectivement et c’était à l’occasion d’un film qui avait pour titre « Cézanne et moi », avec Guillaume Gallienne, qui interprète Cézanne et Guillaume Canet dans le rôle de Zola.

Bastide du Jas de Bouffan. Photo Michel Fraisset

Vous avez dû faire tous les circuits Cézanne
En effet, je voulais par moi-même repérer les sites. Cela permet de se poser des questions, d’échafauder des théories. Le circuit qui m’a posé le plus de problème c’était celui des repérages sur les motifs de l’Estaque car les paysages du golfe et de la rade de Marseille défigurés sont parfois méconnaissables.

Par ailleurs, j’ai pu ainsi me rendre compte que Cézanne était très économe en pas. Quand il trouvait un motif, il tournait sur lui-même et il le prenait à 360° ! Il se déplaçait très peu. Quand il avait un point de vue, il le gardait.

Vous êtes directeur de l’office du tourisme d’Aix-en-Provence. Les touristes sont attirés par la ville, mais sans doute aussi par Cézanne.
Il y a quantité de raisons pour lesquelles on décide de venir à Aix. On sait déjà que c’est le cœur de la Provence. C’est une belle ville, rassurante, toujours animée. Il n’y a pas de dimanche. On y vit avec passion tous les jours de la semaine. C’est une ville universitaire, dynamique, où il y a une belle effervescence, une joie de vivre. Les terrasses, les marchés et tous les lieux culturels sont aussi très investis. L’intelligence de la ville a été aussi de créer un forum culturel avec des lieux qui n’existaient pas. On s’est souvent plaint qu’Aix était une « belle endormie », avec des festivals l’été, mais pas grand chose en hiver. Mais depuis quelques années, ce n’est plus le cas. Aix a vraiment réussi ses métamorphoses et puis Cézanne 2025, quel bonheur, Aix au centre du monde !

Illustration de l’entête : Paul Cézanne (1839-1906), Les Joueurs de cartes, entre 1890 et 1895. Huile sur toile, 47 x 56,5 cm. Paris, musée d’Orsay. Photo © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt

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