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Le musée de Treblinka, l’impossible musée de l’indicible

par Pierre-Alain Lévy

Treblinka. chuchotement inaudible, glas, agonie, tocsin, glacial, effroi, silence de pierre, de cendres et de poussière. Camp d’extermination où pendant la Seconde Guerre mondiale ont péri 925 000 Juifs ainsi qu’un nombre inconnu de Polonais, de Tsiganes et de prisonniers de guerre soviétiques.(Cliquer ). Dans la liturgie juive, il existe une prière régulièrement lue, on y prononce les noms de Treblinka, Maïdanek, Auschwitz, lieux de géhenne1, un kaddish2, prière pour les morts, noms devenus imprononçables, Sisyphe de notre mémoire ravagée, inconstante, meurtrie. Un musée mémoriel est en voie d’achèvement

D’abord établi comme camp de travail forcé, Treblinka devint l’un des trois centres de mise à mort mis en place dans le cadre de l’Opération Reinhard également appelée Aktion Reinhard ou Einsatz Reinhard (Cliquer).

En novembre 1941, sous les auspices de la SS et la police du district de Varsovie, dans le gouvernement général, fut créé un camp de travail forcép our les Juifs appelé Treblinka, puis Treblinka I. Les lieux servaient également de camp de « formation au travail » pour les Polonais non juifs ( Cliquer)qui avaient violé, aux yeux des Allemands, la discipline du travail. Ces deux catégories de détenus se trouvaient dans des unités séparées et étaient, pour la majorité, affectées à une carrière voisine.

En juillet 1942, les autorités de l’Opération Reinhard terminèrent la construction d’un centre de mise à mort, nommé Treblinka II. Prévu pour l’extermination des Juifs de Varsovie ( Cliquer) Treblinka II se situait dans le district de Varsovie du gouvernement général. Cependant, parce qu’il faisait partie de l’Opération Reinhard, c’est Odilo Globocnik, chef de la SS et de la police du district de Lublin, qui en avait la gestion.

L’idée d’un musée à Treblinka remonte à 1947. Il ne restait rien ou si peu. Les nazis avant l’arrivée des troupes soviétiques s’étaient efforcés d’effacer toutes traces de leurs crimes. Les autorités du camp avaient détruit les baraquements, massacrés les derniers prisonniers, évacué leur personnel. Ainsi avaient ils transformé le vaste terrain en domaine agricole et semé des lupins…

Formant un trapèze de 400 sur 600 mètres (l’équivalent de presque 34 terrains de football), le site du centre de mise à mort était densément boisé et à l’abri des regards. Des branchages entrelacés dans la clôture de fils barbelés et des arbres plantés autour servaient à le camoufler. Des miradors de 8 mètres de hauteur étaient placés sur le périmètre et aux quatre coins.

Le centre de mise à mort se divisait en trois sections : la réception, les habitations, et la zone d’extermination. C’est dans la deuxième que se trouvaient les logements du personnel allemand et des gardes, ainsi que des bureaux, une clinique, des entrepôts et des ateliers. Une partie comprenait également les baraquements des prisonniers juifs sélectionnés parmi les nouveaux arrivants pour fournir la main-d’œuvre nécessaire à la fonction du camp : l’extermination de masse.

Olécio partenaire de Wukali
Tri à l’arrivée du train
Sources: Yad Vashem

L’idée d’un mémorial sur le site mit de nombreuses années à germer, il fallut attendre 2018. Il n’existait alors sur le lieu qu’une très modeste maison qui avait collecté quelques éléments de mémoire et d’archives et recevait les visiteurs.

Kurt Franz, commandant du camp, un fouet à la main . Sources: Deviantart

La direction du centre de mise à mort Treblinka II se composait d’un petit nombre de SS allemands et de fonctionnaires de police, entre 25 et 35 hommes. Comme les autres centres de l’Opération Reinhard, la majorité des employés allemands faisaient partie du programme d’euthanasie Aktion T4 (Cliquer).

Le premier commandant de Treblinka II était le Dr Irmfried Eberl, un médecin qui avait gazé des patients en sa qualité de directeur médical aux centres d’« euthanasie » de Bradenburg et de Bernburg. Sa mauvaise gestion du camp entraîna son renvoi le 26 août 1942, six semaines seulement après son arrivée. C’est Franz Stangl, transféré du centre de mise à mort de Sobibor, qui le remplaça. Cet ancien agent de la police criminelle (Kripo) avait été directeur administratif adjoint aux centres de mise à mort et d’« euthanasie » de Hartheim et de Bernburg. Après la révolte des prisonniers de Treblinka le 23 août 1943 (Cliquer), un troisième commandant lui succéda, Kurt Franz, un ancien cuisinier dans les centres d’« euthanasie » de Hartheim, Brandenburg, Grafeneck et Sonnenstein ainsi qu’au centre de mise à mort de Belzec. Il assura ses fonctions à Treblinka II jusqu’à la liquidation du site en novembre 1943.

À Treblinka I, le camp de travail, le capitaine SS Theodor van Eupen fut affecté au poste de commandant de 1941 à 1944. Contrairement à Treblinka II, où la fonction dépendait des autorités de l’Opération Reinhard et de l’Aktion T4, celle de Treblinka I était directement rattachée à la SS et à la police de Varsovie. Placée sous la coupe des autorités allemandes se trouvait également une unité de gardes auxiliaires comprenant 90 à 150 hommes, anciens prisonniers de guerre soviétiques de diverses nationalités ou civils ukrainiens sélectionnés ou recrutés pour le poste. Tous étaient formés au camp de Trawniki, spécialement aménagé par la SS et la police de Lublin.

De récentes études géo-radar utilisant notamment la technique d’imagerie lidar des sous-sols de Treblinka, menées par Caroline Sturdy Colls, une universitaire britannique professeure en archéologie de l’Holocaust à l’université de Huddersfield près de Leeds (Cliquer) et en collaboration avec Sebastian Różycki de l’université de technologie de Varsovie, ont permis de découvrir de nouvelles preuves de l’existence de chambres à gaz et de grilles de crémation. Lire le projet d’étude ( Cliquer)

Dessin de Boris Taslitzky réalisé à Buchenwald

Des convois de 50 ou 60 wagons s’arrêtaient d’abord en gare de Malkinia. Par groupe de 20, ils étaient ensuite dirigés vers le centre de mise à mort. Les gardes ordonnaient aux victimes de se rendre dans la zone de réception où se trouvaient la voie de garage et le quai, ainsi qu’un bâtiment ressemblant trait pour trait à une petite station normale avec son horloge en bois, ses faux panneaux et horaires de trains.(Cliquer)

Juifs sur l’umschlagplatz montant dans un train en partance pour Treblinka. Varsovie (Pologne), 1942. USHMM, avec l’aimable autorisation de Żydowski Instytut Historyczny (Institut historique juif de Varsovie).

Les SS et les policiers allemands annonçaient aux victimes qu’elles étaient arrivées dans un camp de transit et devaient remettre tout objet de valeur.

La zone de réception disposait également d’une « place de la déportation », un endroit clôturé comportant deux baraquements dans lesquels les déportés —hommes d’un côté, femmes ( Cliquer) et enfants (Cliquer) de l’autre —devaient se déshabiller. C’est aussi là que se trouvaient de vastes entrepôts où étaient stockées les affaires des prisonniers à trier et envoyer en Allemagne via Lublin.

Dans la zone d’extermination, un passage couvert et camouflé appelé le « boyau » (Schlauch en allemand) menait de la zone de réception aux chambres à gaz (Cliquer), dans la zone d’extermination, qu’un panneau mensonger annonçait comme étant des douches. Les victimes, nues, devaient s’y rendre en courant. Une fois les portes hermétiquement verrouillées, un énorme moteur diesel installé à l’extérieur diffusait du monoxyde de carbone, tuant tous les prisonniers.

Au cours de cette année 2025 les recherches se concentrent sur le site nommé « der Schlauch » (le tube), un passage camouflé qui conduisait de la zone de réception clôturée de barbelés aux chambres à gaz. Le bâtiment en cours de construction permettra de recevoir le public,avec des lieux aptes à recevoir des conférences ainsi que des salles d’exposition bien entendu. A cet effet seront exposées des statues de Samuel Willenberg

Il est arrivé au camp en octobre 42 parmi 6000 autres Juifs polonais venant du ghetto d’Opatów.  Il est le seul à avoir survécu

Les détenus juifs créèrent un mouvement de résistance à Treblinka au début de l’année 1943 (Cliquer). Quand les opérations du camp furent presque terminées, ils craignirent de voir le site démantelé et d’être tués. Aussi, à la fin du printemps et à l’été 1943, les responsables de la résistance choisirent la révolte (Cliquer). Le 2 août, les prisonniers s’emparèrent discrètement d’armes dans l’armurerie, mais furent découverts avant de pouvoir prendre le contrôle du camp. Des centaines d’entre eux se précipitèrent vers la porte principale pour tenter de fuir. Beaucoup furent abattus à la mitrailleuse. Plus de 300 parvinrent à s’échapper, mais deux tiers d’entre eux furent repris et fusillés par les SS, la police allemande et les unités militaires. Sur ordre d’Odilo Globocnik, chef de la SS et de la police à Lublin, les SS et les policiers allemands firent démanteler le site par les survivants, puis les exécutèrent une fois la tâche accomplie.

Voir la bande annonce du film Le Fils de Saul réalisé par László Nemes, Grand Prix du Jury du Festival de Cannes 2015,. Rare film à avoir su traiter avec exigence de l’abomination nazie et d’un fait d’histoire

Des travaux de construction d’un nouveau pavillon sont en cours et ils devraient être terminés en novembre 2025. Y seront exposées notamment des oeuvres de Samuel Willenberg

La révolte. Bronze de Samuel Willenberg

Samuel Willenberg, fut prisonnier dans ce camp et participa à la révolte du 2 août 1943, il fut l’un des rares survivants. Après s’être évadé du camp, il s’est rendu à Varsovie, où il est devenu actif dans la clandestinité. Pendant l’insurrection de Varsovie, il a combattu dans le bataillon « Ruczaj ». En 1950, il a émigré avec sa mère et sa femme en Israël. Malgré ses expériences traumatisantes en temps de guerre, il est retourné avec sa femme Krystyna dans leur pays natal jusqu’à la fin de sa vie (il est décédé en 2016).

Les sculptures émouvantes de Samuel Willenberg ont voyagé dans toute la Pologne. Elles ont été exposées, entre autres, sur des sites commémoratifs – d’anciens camps allemands. Il convient de rappeler l’exposition unique en plein air sur le site du musée de Treblinka à l’occasion du 80e anniversaire de la révolte des prisonniers à laquelle Samuel Willenberg a participé.

Conformément aux dernières volontés de l’artiste, la collection de sculptures devrait trouver sa place dans le nouveau centre d’exposition et d’éducation en cours de construction sur le site du musée du camp allemand d’extermination et de travail nazi (1941-1944) de Treblinka.

Tous les textes encadrés sur fond jaune sont repris de l’Encyclopédie multimédia de la Shoah

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