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La momie de Ramsès II pharaon d’Égypte irradiée et sauvée en France grâce aux rayons Gamma

par Pierre-Alain Lévy

Nous le connaissons bien Ramsès II, il est même devenu (si j’ose dire), un vieil ami de la France, un personnage qui certes, s’il ne nous est pas familier -un monarque de l’antiquité égyptienne – partage avec nous quelques souvenirs, comment dire, rayonnants !

Le Caire, Le Bourget, Paris, Saclay, quelques étapes d’une résurrection. L’histoire, l’art et la science, les temps mêmes comme des eaux mêlées, en coalescence, en fusion, soudés, rassemblés. Revenons donc quelques années en arrière…

Une détermination farouche

Au tout début, en 1976, Christine Desroches-Noblecourt, alors conservateur en chef au département d’égyptologie du musée Louvre, prépare une exposition consacrée à Ramsès II, pharaon de la XIXème dynastie ( né vers 1304 / 1301 av. J.-C. et mort vers 1213 av. J.-C). Lors d’une visite de travail préparatoire au musée égyptien du Caire elle constate que la momie de Ramsès qui y est exposée se dégrade à vive allure. Le bouclier abdominal (comme le disent les spécialistes), est fissuré en plusieurs endroits. Des experts sont missionnés depuis Paris pour se rendre au Caire et examiner avec leurs collègues égyptiens la dépouille du grand souverain figée dans l’éternité cireuse du temps

Depuis sa découverte en 1881, la momie repose dans un cercueil moderne en chêne clair, fermé d’un couvercle en verre. Son visage émerge des linceuls de lin qui le recouvrent. Elle a été conservée à la verticale pendant un certain temps ce qui n’a pas été forcément la meilleure chose à faire. Le squelette, la structure osseuse, semble en bon état cependant «des travaux de consolidation sont jugés aussi urgents que nécessaires. Il faudrait stabiliser la tête, réhydrater le cou, soutenir le thorax, renforcer l’épaule gauche par de la résine et faire des injections spéciales à l’épaule droite, car la clavicule s’est décrochée du sternum et l’humérus a percé l’épiderme… ».

Mais ce qui inquiète aussi particulièrement les égyptologues et autres spécialistes, c’est manifestement l’infestation interne du corps de la momie par des insectes, voire par des micro-organismes, une infestation récente au demeurant. Il faut traiter, et d’urgence !

Olécio partenaire de Wukali
Photographie de la momie de Ramsès
Source : document CEA

Respect à la personne du pharaon d’Égypte

Question fondamentale qui traverse le champ de l’histoire de l’art jusqu’à l’éthique, mais qu’est-ce donc qu’un objet de fouille au delà de sa définition tangible, qu’est-ce qu’une antiquité, et qu’en est il quand l’artefact d’histoire et de culture n’est autre qu’un corps humain conservé dans l’éternité du temps, autrement dit : une momie?

Question sous-jacente : comment investiguer dans un corps humain sans le dégrader, le désacraliser, le réifier, voire le profaner ?

Seuls des Français pouvaient répondre à une telle interrogation existentielle, et leur diagnostic fut d’excellence. Traiter en interne par une exposition à des rayonnements gamma qui de l’extérieur, comme les rayonnements ionisants, et sans nulle manipulation corporelle du corps, ni aucune intervention inquisitoriale à caractère quasi chirurgical, pourrait seule et à jamais supprimer tous risques infectieux ou à caractère parasitaire. Nulle profanation donc, c’est sans le moindre doute la meilleure et la plus éthique de toutes les solutions de traitement envisagées.

Le CEA entre en scène

Avant que d’aller plus loin dans le récit, est-il ici besoin de rappeler que la France est dans le monde au coeur de la recherche en physique nucléaire depuis la découverte par Marie Curie de la radio-activité en 1898, ce qui lui a valu en 1903 le prix Nobel. Il n’est pas inutile de rappeler au demeurant que la radio-activité est d’abord un phénomène naturel que l’on rencontre par exemple à l’état géologique en France tant en Bretagne que dans le Limousin sur les terres de granit faut-il le préciser.

Le Commissariat à l’Énergie Atomique est créé par ordonnance par le général de Gaulle le 18 octobre 1945. Frédéric Joliot, prix Nobel de chimie en 1935, et Raoul Dautry, l’un en charge de la recherche scientifique, l’autre pour l’administration et le développement, deviennent les premiers architectes de cette institution (Cliquer) scientifique en devenir. Tous les champs de la physique nucléaire sont étudiés. Les centres de recherche du CEA se multiplient en France et se spécialisent. Le plus grand, Saclay près de Paris, mais aussi Bruyères-le-Châtel, Marcoule, Caen, Grenoble et d’autres très nombreux encore ainsi que bien entendu des collaborations d’excellence avec le monde académique et universitaire. La première mission du CEA alors est la défense.

Il convient de souligner que la physique nucléaire couvre tous les champs de l’activité humaine et si elle s’est fait surtout connaître du grand public par l’utilisation qui en a été faite dans le domaine militaire, elle est pleinement valorisée dans moult autres aspects du quotidien, celui de l’énergie bien entendu, mais aussi celui de l’imagerie médicale par exemple et tant d’autres insoupçonnés. Quant à la radioactivité proprement dite, sa durée de vie ( demi-vie) peut aller, selon le radionucléide employé, d’un temps infiniment long (milliards d’années), à quelques heures (Technétium). Nous percevons là toute la difficulté de la vulgarisation scientifique qui est bel et bien, et au delà même du thème de cet article, le sujet sociologique et scientifique fondamental de notre temps

Christiane Desroches Noblecourt

Christine Desroches-Noblecourt parfaitement informée de l’état de la recherche, propose aux autorités françaises et égyptiennes de traiter la momie de Ramsès II et de la faire venir en France. Il s’agit de débarrasser la dépouille des infestations internes larvaires sans profaner un seul instant le cadavre, sans intervenir brutalement au mépris de l’état des organes et de l’intégrité du corps

Les tribulations égyptiennes de la momie de Ramsès II

Ramsès II a trouvé sa place dans l’histoire et sa mémoire demeure. Fils de Séthi Ier il fut tout d’abord un grand bâtisseur et est à l’origine de la construction de nombreux temples, notamment celui d’Abou Simbel. Ce même temple sauvé des eaux du Nil et du barrage d’Assouan alors en construction, plus de 3500 ans après la mort du pharaon par Christiane Desroches-Noblecourt qui mobilisera l’UNESCO à son chevet. Ce fut un roi guerrier, et l’on connait cette célèbre représentation gravée dans la pierre où on l’aperçoit sur son char de guerre combattant les envahisseurs hittites à la bataille de Kadesh.

Néfertari

Il n’est de femme qui n’accompagne un grand homme, ce sera donc Nefertari pour qui d’ailleurs il fera construire le temple d’Abou Simbel où on la voit représentée à ses côtés.

Le grand voyage dans la barque solaire vers les rives de la mort, ce mythe d’Osiris, sera avant tout pour Ramsès II une odyssée terrestre ! Après qu’il s’en fut rejoindre , après sa mort survenue en 1213 av. J-C, son corps momifié fut transporté jusqu’à Thèbes par le Nil et déposé dans un tombeau dans la Vallée des rois. Deux cent ans plus tard l’Egypte est en proie à de grands désordres et doit faire face aux invasions libyennes, sa tombe est profanée par des pillards en recherche de trésors métalliques. Par sécurité la momie de Ramsès II est déposée près de celle de son père Séthi Ier, pourtant la momie sera dégradée par les envahisseurs puis remise en état plus tard par les Grands prêtres. Des procès-verbaux en hiératique écrits successivement sur le sarcophage de bois où la momie fut déposée après sa première restauration attestent de ces nombreux déplacements.

Temple d’Abou Simbel. Bas relief de Ramsès II conduisant son char.
Photo Olaf Tausch, 2019, Wikimedia Commons

Tempus fugit

Au dix-neuvième siècle apparaissent les prémices de l’égyptologie, l’expédition en Égypte de Bonaparte fut un déclencheur évident qui attisera la curiosité. Nombre de voyageurs français (Cliquer) parcourront la vallée du Nil, Champollion bien évidemment, mais aussi le leste et coquin Vivant Denon, Prisse d’Avennes (connu en Égypte sous le pseudonyme de Edris Effendi), Maxime Du Camp avaient montré la voie.

Le Sphinx et la pyramide de Keffren pris en photo par Maxime du Camp (1822-1894)

Dans les années 1870, des pillages ont lieu et l’on découvre des antiquités égyptiennes vendues sous le manteau sur le marché du Caire. L’égyptologue français Gaston Maspéro, alors  directeur du Service des Antiquités de l’Egypte alerte les autorités et un réseau de trafiquants est alors démantelé. Le 11 juillet 1881 les momies furent extraites de leur cachette, sous protection armée, et transportées au Musée des antiquités nouvellement créé.

Le Pacha d’Egypte ordonna le déshabillage de la momie de Ramsès II. En 1907, Pierre Loti visita le Musée et constata la présence de champignons sur les téguments de la momie de Ramsès II. Il précise qu’un bain complet au mercure fut réalisé pour tenter d’endiguer sa prolifération ( Sources: Agnès et Thibault Monier). 

Trois chefs d’état, une égyptologue, une équipe de scientifiques

Un pharaon Ramsès II, deux chefs d’état, le président égyptien Anouar el-Sadate et Valéry Giscard d’Estaing, président de la République française sont alertés sur l’état critique de la momie royale. Un protocole scientifique va se mettre en place pour la prise en charge de la momie dans des laboratoires français

Ramsès II de chair et de pierre pour l’éternité des temps

C’est un Transat affrété par l’Armée de l’air française qui accueille le 26 septembre 1976 le vieux souverain en route pour recevoir des traitements. Anubis s’incline devant Esculape. L’arrivée de l’aéronef militaire sur le tarmac de l’aéroport du Bourget et le dispositif mis en place est spectaculaire et pour le moins unique. En effet il s’agit de recevoir pas moins et avec honneur un souverain étranger, la République Française s’auréole de gloire.

Le tapis rouge a été déroulé au bas de la passerelle d’embarquement, la Garde républicaine en tenue d’apparat est là. Le président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, est venu en personne accueillir son homologue d’outre-méditerranée, d’outre-tombe oserais-je. À ses côtés, l’ambassadeur d’Égypte en France M. Naguib Kadry, et bien entendu Christiane Desroches Noblecourt, l’égyptologue passionnée et résolue, la professeure disserte et appréciée de ses étudiants à l’École du Louvre, venue à la rencontre de l’homme de sa vie.

La caisse de bois où très précautionneusement a été placée la momie est débarquée des soutes de l’avion, les honneurs sont rendus, les hymnes nationaux joués. Sous les nuages et le ciel pluvieux de l’aéroport de Paris ce jour-là, les drapeaux tricolores claquent au vent du sud chargés d’histoire. Un cortège se forme, direction le Palais du Trocadéro et le musée de l’Homme, la résidence française du pharaon pendant son séjour parisien.

C’est dans un laboratoire du musée de l’Homme que la momie est réceptionnée. Une équipe pluri-disciplinaire de scientifiques a été rassemblée et attend le divin pharaon. Comme pour une autopsie, les premiers constats sont pratiqués, la momie mesure 1,72m, et ne présente aucune trace de traumatisme ante-mortem. Seule, béante, s’ouvre la brèche d’éviscération au niveau du flanc gauche.

L’ambassadeur d’Egypte Naguib Kadry et Christiane Desroches-Noblecourt assistent à l’ouverture du sarcophage du pharaon Ramsès II
(Photo by STAFF / AFP)

Ramsès II était leucoderme, c’est à dire blanc de peau, et ses cheveux étaient roux. Son profil d’aigle au nez bourbonien est caractéristique, son menton court lui donne un air sévère. Les oreilles percées devaient supporter les lourdes boucles d’oreille en or, un des rares objet du trésor parvenu à nous en dépit des vols et profanations. L’avant-bras gauche est posé sur l’avant bras droit, contrairement à la disposition rituelle inverse.

Les rapports d’analyses démontrèrent que :

  • contrairement à ce qui est évident pour nombre d’autres momies, la « maladie » de Ramsès II n’était pas de nature bactérienne
  • peu d’insectes furent trouvés, du fait de l’action des insecticides utilisés périodiquement au Musée du Caire
  • des millions de pollens furent mis en évidence, provenant de la contamination moderne de la momie, mais surtout de leur présence au sein des onguents à base d’huiles essentielles utilisées par les embaumeurs, beaucoup de pollens lourds des céréales cultivées dans le Delta, pollens de camomille, platane, tilleul, sauge, renoncule mais aucun pollen de plantes d’eau du Nil
  • Des grains de sable d’origine désertique et marine collés aux cheveux prouvent que la préparation de la momie avait été réalisée à proximité de la capitale du Nord, dans le Delta
  • la momie, ses linges et son sarcophage étaient colonisés par des champignons qui provoquaient la dégradation lente mais continue de la dépouille.

Pour endiguer ce processus, il était donc indispensable de détruire les colonies de cryptogames, et donc la stérilisation de la momie s’imposait. C’est là que le CEA intervient et propose une irradiation au rayonnement Gamma γ, un usage parfaitement adapté. Tout se fait de l’extérieur de l’objet traité et dans ce cas d’école la momie n’est pas chahutée. La pile de Saclay n’avait jamais connu telle affluence. La fine fleur de la recherche médicale et scientifique française au chevet du souverain d’Égypte, du grand art, du cousu main… !

En outre les examens complémentaires effectués démontrèrent que Ramsès souffrait d’une spondylarthrite ankylosante, on observe pareillement une fracture au niveau de la première phalange du troisième orteil gauche avec un cal de cicatrisation.

Visage momifié de Ramsès II

Quant à ce qu’il convient d’appeler la sphère bucco-dentaire elle est particulièrement affectée et du vivant du pharaon ses dents devaient selon les spécialistes le faire souffrir. Observons sur ce point (et en faisant un saut historique de plus de deux millénaires), que l’on découvrira la même chose quand sera exhumé et identifié le crâne du roi Henri IV dans la basilique de Saint-Denis voilà peu d’années et que sa mâchoire et la sphère bucco-dentaire donc seront scrupuleusement radiographiées.

L’équipe de scientifiques réunie autour de la momie de Ramsès II.
Photo Getty

L’art et la culture sauvés par la science. Il y aurait tant de bel et bon à dire sur l’utilisation de la physique nucléaire dans le domaine des arts : l’irradiation Gamma, les bois gorgés d’eau, les polymères durcis, l’utilisation des synchrotrons, le programme Nucléart mis en place par le Cea, une technique respectueuse et non-invasive. Nous saurons y revenir dans d’autres articles ciblés.

La momie est sévèrement protégée, elle sera transportée sous escorte jusqu’au Centre de recherche nucléaire de Saclay pour subir quelques irradiations soit 160.000 curies pendant 12h 40 mn.

Le 10 mai 1977, après ses déambulations cliniques parisiennes, Ramsès II retrouve sa terre d’Égypte. Sauvé !

Jamais l’intérêt du public n’a cessé, et tout particulièrement en France autour de ces grands pharaons, autour de l’égyptologie. L’un des plus intéressants souverains, notamment dans l’histoire de l’art, étant Aménophis IV Ashkenaton de la XVIIIème dynastie (NDLR notre préférence subjective j’en conviens !).

Ramsés II et ses trésors font briller les yeux des publics qui se précipitent en foule aux expositions consacrées, la dernière en date, L’Or des pharaons, ayant eu lieu à La Villette à Paris en 2023.

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