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Paradizoo de Antoni Casas Ros, une des pépites de la rentrée littéraire

par Émile Cougut

Il y a des auteurs qui ont un style, un vrai style qui leur est propre, c’est comme cela et non un style stéréotypé issu d’un (plus ou moins bon) atelier d’écriture, et puis il y aussi des auteurs qui savent manier plusieurs styles comme Antoni Casas Ros, chapeau bas !

Rappelons-nous Exercices de style de Raymond Queneau, n’est-ce-pas ! Oui, le même fait peut-être décrit totalement différemment tout en étant toujours le même fait. Mais je m’égare, car ce n’est pas exactement ce que vient de réaliser Antoni Casa Ros dans Paradizoo. De fait, ce court récit qui se divise en trois chapitres est écrit utilisant deux styles radicalement différents mais qui se complètent parfaitement, car entre la première partie ainsi que les deux autres, le contexte est différent. 

Traduit en huit langues, Antoni Casas Ros a été finaliste du prix Goncourt du premier roman, du prix Goncourt de la nouvelle, du prix Renaudot et a obtenu, en Espagne, le prix Syntagma pour son premier roman, véritable phénomène littéraire, « Le Théorème d’Almodovar » (Gallimard).

La première partie qui fait plus de la moitié du livre est constituée d’un seul et unique paragraphe. En fait, c’est la description du groupe vivant au Paradizoo constituée de leurs histoires personnelles, de leurs rencontres, leurs philosophies, leurs réflexions sur la vie plus que sur la société. Comment ne pas y voir l’inspiration dadaïste, plus que surréaliste d’ailleurs, les allusions au mouvement dadaïste sont nombreuses et Tristan Tzara référencé plusieurs fois.

Dire que la lecture est facile serait mentir, le lecteur doit faire l’effort de se plonger dans le récit, doit arriver à déterminer quel personnage écrit, pense, agit car il n’y a strictement aucune indication précise pour le savoir, et nous passons de Spoon à Smart ou à Transatlantique sans aucune indication. Pour autant, le premier étonnement passé, tout devient logique, fluide, quasiment évident.

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La seconde partie est l’histoire de Nancy, jeune officier de police, d’origine mohawk du côté de sa mère et qui a pour mission d’infiltrer le Paradizoo, mais très vite, essentiellement au contact de Spoon, elle retrouve ses racines et la culture maternelle. Là, le style est celui d’un roman « normal » : des paragraphes, des dialogues, une fluidité totale, un développement linéaire. Un style totalement différent de celui de la première partie. Une rupture totale, mais une rupture qui met, de fait, en lumière la première partie, qui la valorise. Pour arriver à cet équilibre, l’auteur fait montre d’une parfaite maîtrise de l’écriture et de sa complexité. On est loin du style stéréotypé, vendeur, car ne demandant strictement aucun effort pour le lecteur. Oui, Paradizoo est, par bien des aspects, un livre « difficile », donc un livre qu’il faut lire ne serait-ce que par le travail au niveau de l’écriture.

Quant à l’histoire, c’est celle avant tout de Spoon et de Sucette, deux jeunes femmes, en rupture avec leur milieu familial, qui se rencontrent par hasard au Mexique et qui entrent en contact avec les femmes du Chiapas et leur façon de vivre. Ce n’est pas une société libertariste telle que rêvée par certains milliardaires (essentiellement américains), mais plutôt sous bien des aspects une société anarchiste. D’ailleurs les deux jeunes femmes sont des lectrices de Bakounine et de Fourrier. De retour au Canada, elles fondent, un peu par hasard, le Paradizoo qu’elles souhaitent voir ressembler à un phalanstère. La Paradizoo se crée dans une ancienne brasserie appartenant à Rachma, jeune pianiste travaillant à un concours international des pièces de Rachmaninov. Petit à petit le groupe est rejoint par Pandora, artiste peintre, spécialiste des copies (et des faux papiers) ; Smart, réfugié afghan qui veut aller chercher sa sœur dans son pays ; Big Bang, un astrophysicien qui cherche à savoir ce qu’il y avait avant le Big-Bang ; Croissant, un malouin qui a ouvert une pâtisserie célèbre pour son croissant (évidemment! ) ; Transatlantique, transsexuel non opéré doté d’un attribut viril indéniablement de grande taille ; Roulette-Russe, réfugié ukrainien, propriétaire d’un révolver sans aucune balle.

Vie communautaire, tout est partagé, même le sexe (et il y en a). Une sorte d’utopie qui ne peut perdurer, mais qui aura profondément transformé tous les acteurs.

Paradizzo est un livre qui tranche avec le reste de la rentrée littéraire, nous sommes loin de l’introspection d’un auteur autour des traumatismes de l’enfance et des rapports qu’il a eus avec ses parents. Un livre quelque peu initiatique autour d’une utopie qui trouve ses racines au Chiapas et qui est perçue comme un danger par les défenseurs (les profiteurs ?) de nos sociétés capitalistes. Et puis c’est aussi (si ce n’est surtout), un merveilleux exercice de style qui montre que la littérature est encore bien vivante. 

Paradizoo
Antoni Casa Ros

éditions Abstractions. 19€99
existe également en version Deluxe numérotée. 29€99

Illustration : Entrez dans mon corps par ©RS Artist,2024

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