Il n’est pas utile de présenter Eliette Abécassis, romancière de talent dont le panégyrique n’est plus à faire. Amélie Cordelier, directrice de collection aux éditions Flammarion a eu l’excellente idée de créer une collection : « Retour chez soi » qui édite les souvenirs d’écrivains autour de lieux qui ont non seulement marqué leur vie, mais aussi, en quelque sorte, sont une sorte de pierre de fondation de leur carrière littéraire. 45 rue d’Ulm est le troisième opus de cette collection après 11 quai Branly de Mazarine Pingeot et 6 avenue George V de Thomas Reverdy.

Eliette Abécassis nous parle de sa vie, et bien plus, à l’Ecole Normale Supérieure, ce lieu d’excellence, né d’une sorte d’utopie révolutionnaire autour de l’idée que l’amélioration des citoyens (et donc de l’humanité) passe par le savoir et aussi par sa transmission par des maîtres qui se dévouent corps et âme à l’étude. Ce n’est pas la première (et sûrement pas la dernière) à louer cette école et ses spécificités.
L’autrice revient au 45 rue d’Ulm, 30 ans après y être entrée, elle, la strasbourgeoise qui vient de passer trois ans de sa vie (elle a été non admise une première fois) à travailler tout le temps, vacances, repas compris. Trois ans de privation totale de vie sociale pour apprendre encore et encore dans des domaines aussi divers que les mathématiques, la littérature, l’économie ou la philosophie. Trois ans de privation pour obtenir une des 19 places de sa section. Pour pouvoir entrer dans ce temple du savoir et du savoir penser, il faut faire bien des sacrifices au niveau des loisirs, c’est un choix, mais pour atteindre ses rêves ne faut-il pas faire des sacrifices ?
Elle revient dans son Ecole pour y passer une soirée et une nuit dans la chambre qui fut la sienne la première année : une pièce spartiate, avec un lavabo, un lit, une table, pas de chaise, mais qui, pour elle, est le lieu où tout à commencer au niveau de sa vie d’adulte. C’est l’occasion pour elle de se remémorer les rites, les lieux, les professeurs qui lui ont permis de progresser intellectuellement (dont ceux de sa vie de lycéenne à qui elle rend hommage comme Camus à son instituteur Monsieur Germain), ses amis. Ces amis qu’elle a contactés pour qu’ils la rejoignent afin de revivre une de ces interminables soirées faites d’échanges, de discussions passionnées. Et certains viennent, avec leur vie, leurs choix depuis 30 ans, mais toujours en harmonie avec ce qu’ils étaient. Ils ont évolué, mais ils ne se sont pas reniés.
Des constantes pour tous les élèves qui sont passés par l’Ecole Normale Supérieure, la transmission, le savoir sont bien plus importants que le pouvoir et ses compromissions et tous ont pris des chemins de traverse, des « tangentes ». Tous ont appris que les dogmes n’amènent à rien, que tout est relatif, rien n’est immuable, tout évolue. Passer par l’Ecole Normale Supérieure, c’est s’ouvrir aux autres, s’est se projeter dans l’avenir, c’est accepter les différences et s’enrichir d’elles, et que l’on soit littéraire ou scientifique. Et surtout, l’Ecole apprend la liberté. Ne serait-ce que par son fonctionnement : une scolarité (rénumérée) de 4 ans et comme obligation la validation des années et l’obtention de l’agrégation (en cas d’échec, plus de chambre, plus de salaire comme l’a compris à ses dépends Eliette Abécassis), sinon, la liberté totale, chacun est libre de travailler comme il veut, à son rythme et faire ce dont il a le désir. C’est d’ailleurs en abusant quelque peu de cette liberté offerte après trois années de privations que l’autrice échoue une première fois à l’agrégation.
Dans cette sorte d’autobiographie, Eliette Abécassis parle d’elle, de ses aspirations, de ses rencontres qui ont marqué à toujours ses choix de vie et ses engagements, des autres étudiants, mais surtout de l’Ecole Normale Supérieure, de ses spécificités et encore plus de la culture humaniste qu’elle distille. Le rêve des conventionnels de 1792 est vraiment devenu réalité et perdure encore de nos jours.
45 rue d’Ulm
Eliette Abécassis
éditions Flammarion. 19€50
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