Qu’est-ce qu’être français ? Qu’est-ce que la nation française (depuis la célèbre conférence de Renan, on ne se pose plus trop la question de savoir ce qu’est une nation, ce concept avant tout germanique et pas du tout français, n’en déplaise aux nationalistes qui défendent une France idéale) ? Pour répondre à ces questions qui n’arrêtent pas de diviser nos concitoyens, encore faut-il savoir de quoi on parle, c’est à dire quand est-ce que le concept de France a commencé à avoir un début d’existence. Et de plus à quoi correspond-il. En quelque sorte quelles sont ses racines ?
La réponse est d’une grande complexité car avec le temps, elle a changé, évolué. Ce qui est certain, c’est que nous baignons encore dans l’idéologie forgée sous le Second Empire et la Troisième République, c’est à dire une série de mythes qui n’ont qu’un lien très tenu avec l’Histoire.
Ce qui est certain, c’est que contrairement à une idée reçue, il ne faut surtout pas remonter aux Gaulois. D’ailleurs, lesquels ? Car, la Gaule n’a jamais existé comme entité géographique, si ce n’est qu’à partir du milieu du XIX siècle. Avant, il y avait les Gaules, avec plusieurs entités humaines et géographiques dont la majorité, ne l’oublions pas, n’ont pas suivi ceux qui ont combattu les Romains.
Est-ce qu’on pense que le Nord de l’Italie est française. Actuellement, non, pour un Romain, du II siècle avant Jésus-Christ, évidemment que oui ! Ne parlons pas des Francs (saliens), Clovis se considérait comme un roi, soit, mais membre de l’Empire Romain, d’ailleurs n’avait-il pas reçu le titre de consul par l’Empereur de Constantinople. Et ne parlons pas des mérovingiens, tout au plus la Francia se résumait au domaine royal qui ne s’étendait que sur une partie de ce qui est devenu la région parisienne.
De fait, il faut attendre les carolingiens avec les fils de Louis Ier pour qu’une entité géographique corresponde plus ou moins à la France, et dont la dénomination alors apparaît. De fait, pourquoi pas Hugues Capet, roi de France et duc d’île de France. Et de fait, c’est sous cette dynastie avec des rois comme Philippe Auguste, Philippe le Bel, Charles V, Louis XI que le les frontières du Royaume commencent à s’élargir. Après, on connaît l’histoire les conquêtes de Louis XIV, les mariages d’Anne de Bretagne, les référendums de 1860, le traité de Paris de 1815 qui défait la Sarre du territoire national, celui de Francfort de 1871 qui l’ampute de la Moselle et de l’Alsace, et j’en passe.
Alors la France, un territoire, mais lequel, l’actuel, celui de 1805 ? Et que dire des territoires d’Outre-Mer ? Et l’Algérie ? Il y a un siècle, rares étaient ceux qui pensaient qu’elle n’était pas une partie de la France ?
Alors la France, une idéologie ? Pour montrer que les Francs était aussi forts que les Romains, et pour se forger une légitimité plus forte que celle des rois d’Angleterre, sous les Valois, apparut Francion, ce prince troyen, comme Énée, qui se sauva du sac de Troyes, pour fonder dans le nord de l’Europe le peuple franc. Certains la font remonter au baptême de Clovis et s’ensuivent les fameuses (et tout aussi fumeuses) racines chrétiennes. Sauf qu’un roi « barbare » chrétien, ce n’était pas très original à l’époque. Sa particularité c’est qu’il s’est converti au catholicisme et non à l’arianisme, mais ce n’était pas le seul.
Une culture ? Laquelle ? Lors de la dernière élection présidentielle, une candidate s’est exclamée dans l’abbatiale de Conques : « voilà la culture française ! ». C’est absurde : l’art roman est loin d’être propre à la France car c’est un art européen, et en plus Conques est typique non du roman d’île de France, mais du roman provençal (tout comme il y a un art roman poitevin ou un bourguignon). Et si cette candidate avait une once de culture, elle saurait que la Provence comme l’Auvergne n’était pas perçue comme la France. Ainsi l’Ordre de Malte était divisé en plusieurs maisons avec leur langue spécifique. S’il y avait bien une maison de France, il y en avait une de Provence et une d’Auvergne, dont le membre le plus célèbre est le Grand Maître de la Valette.
Une langue ? Soit l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 oblige de rédiger tous les actes officiels en français et non en latin. Mais il a fallu plus de quatre siècles pour que le français soit la langue parlée par… les Français dont les Provençaux et les Auvergnats. Et de quel français s’agit-il ? C’est une langue vivante qui évolue (on ne parle plus du tout le même français que François Ier), qui absorbe bien des apports « étrangers ». Le Z n’est ni gaulois, ni latin, ni franc, ni germanique, mais arabe, n’en déplaise à Monsieur Zémour qui renie quelque peu ses ancêtres (du moins au niveau paternel).
De fait, comme le montre Bertrand Lançon, la France est un concept géopolitique jeune qui apparaît entre le Vè et Xè siècle. Et depuis, au gré des intérêts de l’histoire, il a changé, évolué et continue à se développer. Et de fait la France étant tout cela et beaucoup plus encore, elle n’est qu’une représentation, un concept plus qu’une réalité, dominée par l’idée que tout un chacun se fait. Et il faut se dire que la France de 2021 n’est pas ce qu’elle sera demain, dans un ou deux siècles.
Quand la France commence-t-elle ?
Bertrand Lançon
éditions Perrin. 18€