Accueil Livres, Arts, ScènesHistoire Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang. Saison 3/ Épisode 4. Guerre et Paix

Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang. Saison 3/ Épisode 4. Guerre et Paix

par Jacques Trauman

« Les hommes de droite disent ce qu’ils pensent vraiment »

Mars 1969
Un homme seul, en l’occurence Mao Tsé Toung  毛泽东, décidait de la guerre et de la paix; et ceci dans l’opacité absolue, disant à son propre peuple le contraire de ce qu’il préparait en secret.

Un jour, Mao dit au docteur Li: «Pensez-y. Nous avons l’Union soviétique au nord et à l’ouest, l’Inde au sud, le Japon à l’est. Si tous nos ennemis nous attaquaient en même temps au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, que pensez-vous que nous devrions faire?». Le docteur Li ne su que répondre.
«Réfléchissez à nouveau. Derrière le Japon, il y a les Etats Unis. Est-ce que nos ancêtres ne conseillaient pas de négocier avec les pays lointains mais de faire la guerre à ceux qui sont proches?».
Le docteur Li fut atterré.

«Nos journaux sont remplis d’attaques au vitriol contre les Etats-Unis. La Chine offre son aide au Vietnam, qui est en guerre contre les Etats-Unis. Comment pourrions-nous négocier avec les Etats-Unis», demanda le docteur Li, incrédule.

«Les Etats-Unis et l’Union soviétiques sont différents. Les Etats-Unis n’ont jamais occupé la Chine. Le nouveau président américain, Richard Nixon, est un homme de droite, un dirigeant anti-communiste. J’aime bien négocier avec les hommes de droite. Ils disent ce qu’ils pensent vraiment, -pas comme ceux de gauche, qui disent une chose et pensent l’inverse».

Olécio partenaire de Wukali

Lin Biao approchait du zénith de son pouvoir. Toute la Chine se militarisait. L’armée, chargée de rétablir l’ordre, avait pris le contrôle des ministères et des usines. Les secrétaires du Parti communiste avaient été remplacés par des militaires et tout le pays, conduit par Lin Biao, étudiait les pensées de Mao. Comme l’armée excellait dans l’étude des pensées de Mao, c’est elle qui enseignait le petit livre rouge à tout le pays.

Chinese army opposed to USSR Red Army
Document photo: Chinois et Russes face à face.
The Sino-Soviet Border Conflict par Michael S. Gerson

La Chine et l’Union soviétique étaient en guerre larvée à propos des îles Zhenbao ( 珍宝岛 Zhēnbǎo dǎo en pinyin ou ou île Damanski en russe остров Даманский ) , et toute la Chine fut mobilisée.
Dix millions de gens furent évacués des villes et envoyés à la campagne, les cadres et les intellectuels forcés de pratiquer des travaux manuels dans des écoles dites «écoles des cadres du 7 mai» 五七干校.
En fait, ces intellectuels vivaient dans des conditions misérables dans des sortes de camps de concentration et, s’ils étaient censés apprendre des pauvres et des paysans, ils étaient rarement en contact avec eux. Le véritable objectif des «écoles des cadres du 7 mai», n’était pas l’étude, mais la punition, tout le monde le savait. Même les étudiants auxquels Mao lui-même avait fait appel pour le défendre étaient maintenant «ré-éduqués».

En août 1969, les derniers résidents des villes furent mobilisés et durent construire des tunnels destinés a se réfugier en cas de bombardements ou d’attaque nucléaire. Bref, le pays était à nouveau pris d’une mania schizophrénique.

De la guerre, de la paix et des revues scientifiques

Ni le docteur docteur Li Zhisui 李志绥, ni Wang Dongxing 汪东兴 ne croyaient que Mao était sérieux dans son projet de ré-alignement des alliances; et pourtant il l’était.

Mao Zedong and Dr Li
Mao et le Dr. Li

Nixon, l’homme de droite, voulait également orienter les Etats-unis dans une nouvelle direction.  Il avait déjà envoyé des signaux faibles à la Chine via le Pakistan et la Roumanie, faisant savoir qu’il n’était pas partisan du projet soviétique d’attaques préventives contre les installations nucléaires chinoises. Du point de vue de Mao, selon ses propres termes, «les missiles chinois ne peuvent pas atteindre les Etats-Unis, mais ils peuvent facilement atteindre l’Union Soviétique».

En décembre 1969, Chou Enlai 周恩来 fit passer à Mao un cable de l’Ambassade de Chine en Pologne. Selon ce cable, à un cocktail qui faisait suite à un défilé de mode à Varsovie, l’ambassadeur américain avait suggéré une rencontre avec l’ambassadeur de Chine, «car il avait quelque chose d’important à lui dire». Mao montra le cable au docteur Li, il était ravi et dit que «Nixon doit être sincère lorsqu’il envoie un message selon lequel in veut discuter avec nous».

Certes, la guerre ou la paix avec les Etats-Unis étaient un sujet important pour le docteur Li, mais il y avait plus pressant. La santé du Président Mao déclinait depuis quelques temps, et même sérieusement, et il allait falloir être à la hauteur dans les mois et années à venir.


Depuis le début de la Révolution culturelle 文化大革命 , il y avait interdiction formelle de souscrire à des magazines américains, et le docteur li était de plus en plus isolé des progrès de la médecine hors de Chine. Le docteur Li fit valoir à Mao que, puisqu’on allait se rapprocher des Etats-Unis, pourrait-il se réabonner aux journaux médicaux américains. «Les Etats-Unis font tout ce qu’ils peuvent, répondit Mao, pour se renseigner sur nous, pourquoi serions-nous assez stupides pour fermer nos yeux sur ce qui se passe à l’étranger? Faites-moi un liste des journaux scientifiques auxquels vous voulez être abonné».
Le docteur Li rédigea une liste qu’il envoya à Chou Enlai, et qui fut transmise à Mao.

La rhétorique chinoise contre les Etats-Unis continuait de se déchaîner, en particulier dans la presse chinoise, mais derrière le rideau, le rapprochement était en marche… La guerre avec les Etats-Unis n’aurait décidément pas lieu et le docteur Li pu se réabonner à ses revues scientifiques.

Un meeting historique

21 février 1972
Mao était de plus en plus malade, il refusait qu’on le soigne. Un jour, apprenant que le président Mao était tombé en syncope, on prévint Chou Enlai qui se trouvait dans une réunion au Palais de l’Assemblée du peuple, et en apprenant cette nouvelle, Chou perdit tout contrôler de lui-même et se pissa dessus, souillant son pantalon. Il dut rentrer se changer, avant de se jeter dans la piscine.

Mao consentit finalement qu’on le soigne lorsque la date de la visite du Président Nixon fut fixée, le 21 février 1972. Mao était très excité, plus qu’il ne l’avait jamais été. Lorsqu’il apprit que Nixon avait atterri à Pékin, il fit savoir à Chou Enlai qu’il voulait le voir immédiatement. Chou fit remarquer que le protocole demandait que le président Nixon puisse d’abord se reposer dans sa villa de Diaoyutai, et Mao y consentit. Il fut décidé que Chou organiserait un déjeuner pour Nixon et son entourage, puis qu’il le conduirait à Mao.

Richard Nixon arrives in Beijing-Relations between Usa and China
Le Président Richard Nixon accueilli à l’aéroport de Pékin par le Premier ministre chinois Chou En-lai. 26 février 1972 
(White House/National Archives)

Or il fallut enlever ce matériel du bureau de Mao, ainsi que le lit d’hôpital qui s’y trouvait, et mettre tout ce matériel dans le couloir attenant. En effet, il fallait que le matériel médical ne se voit pas, mais qu’on puisse en disposer rapidement en cas de problème.

L’équipe médicale avait mis en place tout un système pour assurer la santé, au moins apparente, de Mao pendant la visite de Nixon; en fait, Mao allait très mal. Il avait grossi, il avait des oedèmes, son coeur était fragile, et il souffrait d’une infection pulmonaire. On avait du lui préparer un costume neuf et des chaussures pour accommoder son poids. De plus, il avait du mal à parler, ses muscles s’étaient atrophiés en raison de mois d’inactivité; on dût lui faire faire des exercices, se lever, s’asseoir, le faire marcher lentement, en vue de la rencontre avec Nixon. Henry Kissinger (dear Henry) avait même fait secrètement envoyer à Pékin un caisson à oxygène et un respirateur que la Chine ne possédait pas !!

Chou dit à Nixon que Mao avait une bronchite, et qu’il ne pouvait pas parler très distinctement, mais il n’est pas sûr que Nixon ait vraiment connu l’état de délabrement physique de Mao.

Finalement, le président Nixon arriva dans sa limousine, décorée du drapeau de la Chine communiste. Il était accompagné de Chou Enlai, d’Henry Kissinger et de Winston Lord, qui deviendra le premier ambassadeur américain en Chine communiste.  Le secrétaire d’Etat Rodgers ne faisait pas partie de la délégation…

Il faut savoir que le docteur Li fut le premier à accueillir Nixon, et le dirigea vers le bureau de Mao; puis le docteur Li se posta dans le couloir où se trouvaient les équipements médicaux. Il y eut un moment de panique, les agents secrets américains ayant perdu Nixon qui avait quitté sa villa de Diaoyutai trop vite et sans les prévenir, mais on les assura que Nixon était en sécurité avec le président Mao.

Le docteur Li put entendre toute la conversation entre Mao et Nixon, la porte étant ouverte afin de lui permettre d’intervenir en cas de besoin. Cependant un échange frappa particulièrement le docteur Li, quand Mao expliqua que, bien que les relations avec les Etats-Unis soient meilleures, les attaques dans la presse allaient continuer. Bien plus Mao ajouta qu’il ne serait pas surpris que les attaques contre la Chine continuent dans la presse américaine.

President Richard Nixon meets Chinese Chairman Mao Zedong
L’entretien entre Mao et Nixon

En fin de compte, tout se passa à merveille, la réunion, qui devait durer 15 minutes, dura plus d’une heure, on publia des photos de Mao et Nixon souriants, et la presse chinoise insista sur l’excellent état de santé du Grand Timonier; Mao avait certes pris du poids, mais ceci ne faisait que confirmer qu’il était en pleine forme. Mais tout ceci était archi-faux. Ce dont Mao souffrait, en vérité, c’étaient d’oedèmes, et il allait très mal.

Mao demanda au docteur Li s’il avait entendu la conversation entre lui et Nixon, ce que le docteur Li confirma, puis Mao se mit en robe de chambre et le docteur Li prit son pouls.

Mao appréciait Nixon. «Il parle franchement, il ne tourne pas autour du pot, comme ces gauchistes qui disent une chose tout en pensant l’inverse. Nixon vaut bien mieux que ces gens qui parlent de grands principes moraux tout en s’engageant dans de sinistres intrigues. Est-ce que cela ne bénéficiera pas à la Chine d’améliorer les relations avec les Etats-Unis ?». Mao rit à l’idée qu’il avait contré les ambitions de «l’ours polaire» du nord.

La santé de Mao s’améliora après ce triomphe diplomatique. Il se mit a penser que des pays avec des systèmes économiques différents pouvaient coopérer; mais il ne prédisait pas une ère de paix globale, il voyait toujours le monde a travers le prisme d’une lutte entre les «trois mondes»; Ainsi le «premier monde», c’est-à-dire les Etats-Unis et l’Union soviétique», riche, puissant et possédant l’arme atomique; «le deuxième monde», l’Europe, le Japon, le Canada, l’Australie, qui pouvait posséder l’arme atomique mais n’était pas en position de domination globale, et le «Tiers-monde», pauvre et peuplé, a savoir l’Amérique Latine, l’Afrique, l’Asie. Pour Mao, chaque génération expérimenterait la guerre.

Relations between China and the USA-Nixon and Mao
Nixon travels

Ainsi les succès diplomatiques de Mao continuèrent. Il reçut le premier ministre japonais, Tanaka 田中 角栄; lorsque celui-ci essaya de s’excuser pour l’invasion de la Chine avant et pendant la deuxième guerre mondiale, Mao l’interrompit et lui répondit qu’en fait, ce fut grâce à l’invasion japonaise que les communistes purent prendre le pouvoir.

Or Mao considérait Tanaka comme un homme courageux, qui avait réussi à tenir tête au Parti Libéral Démocrate 自由民主党, Jiyūminshutō, au pouvoir, qui s’opposait à la normalisation. D’ailleurs, selon Mao, les discussions avec Tanaka furent encore plus intimes que celles avec Nixon. A la fin de la visite du premier ministre japonais, un communiqué conjoint fut publié, établissant des relations diplomatiques entre les deux pays.

Cependant le président Nixon et Tanaka avaient quelque chose en commun. L’un et l’autre durent démissionner de leur position éminentes; mais Mao continua de les recevoir en Chine, et les traitera toujours comme de «vieux amis».

Pourtant, il restait encore à régler la question de l’aide des Etats-Unis à Taiwan; et finalement, ce ne fut que trois ans après la mort de Mao, en 1979, que le président Carter établit des relations diplomatiques avec la Chine.

   La vie privée du Président Mao. Li Zhisui, éditions Plon, 1995
(*) The private life of Chairman Mao. Li Zhisui, Random House, 1995

Ne manquez pas la suite de cette série : Le XXème siècle, un siècle de fer et de sang
par Jacques Trauman

Mao Zedong毛泽东,
Prochain et dernier épisode :
Nous sommes informés de tout, nous ne savons rien
vendredi 9 avril

Récapitulatif des épisodes précédents
Préambule
Une série de 15 articles/ Staline, Hitler et Mao

Saison 1
Staline
1/1 Une sympathique petite équipe
1/2 Un dîner qui finit mal
1/3 Le tribunal des flagrants délires
1/4 Une improbable rencontre
1/5 Un mélomane passionné

Saison 2/
Hitler
2/1 Dans la tanière du diable
2/2 Le style c’est l’homme
2/3 Hitler chef de guerre
2/4 Le commencement de la fin
2/5Vingt-quatre heures avant l’apocalypse

Saison 3
Mao Zedong毛泽东
3/1 La momie de  Zhongnanhai
3/2 Mao et Staline
3/3 Dans la tannière de la louve
3/4 Guerre et Paix
mise en ligne à partir du vendredi 2 avril
3/5 Nous sommes informés de tout, nous ne savons rien
mise en ligne à partir du vendredi 9 avril

      

   

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