Lorraine Fouchet, son tout nouveau livre à paraître: Face à la mer immense. L’écrivaine face à la page blanche. Comment avoir une idée ? La dérouler, la faire vivre, l’exploiter, en tirer toutes les ficelles, errer sur les chemins qui se présentent, c’est l’art de l’écrivain. Mais la base, c’est l’idée, l’idée première, la fondation, la pierre angulaire du livre. On sait les rituels qu’employait Simenon, entre les promenades en solitaire, les crayons à papier méticuleusement taillés et plus d’un écrivain nous a livré ses habitudes, ses démarches.
Pour son dernier livre publié aux éditions Héloïse d’Ormesson, Lorraine Fouchet nous dévoile comment l’idée première lui en est arrivée. C’est ainsi qu’elle reçut un jour une demande assez originale d’un couple : qu’elle dédicace 50 fois son livre Entre ciel et Lou (dont j’ai eu le plaisir de faire la recension critique) pour les invités de leur mariage. La future l’avait offert à son promis et ce dernier, sans rien lui dire, l’a amenée en week-end sur l’île de Groix où se passe « l’ intrigue » du livre, (cette même île de Groix, précisons, si bien mise en valeur dans chacun de ses romans par Lorraine Fouchet, et dont elle s’est faite la barde, l’ethnologue) et l’a demandée en mariage. Une histoire vraie, une excellente idée pour une romancière qui ne s’est pas privée, pour notre plus grand plaisir, de l’exploiter.
D’un côté Fleur, une mère célibataire (un fils) dont le mari, fleuriste, est parti pour vivre ce qu’il croit être sa destinée (personnage secondaire dans une série télévisuelle, il a cru qu’il avait le talent d’un grand comédien). En fait, il est devenu, un vague figurant quand même arrive-t-il à trouver un cachet.
De l’autre Merlin, le veuf avec sa fille. Le hasard (de fait un chat fugueur) les fait se rencontrer et petit à petit à s’aimer. Fleur offre un livre à Merlin (qui ne lit jamais), il l’invite en week-end à Groix et lui fait sa demande en mariage. Et comme elle a accepté, ils organisent le mariage sur l’île.
Ils demandent à Prune, l’autrice du roman qui les a encore plus unis, de dédicacer pour chaque invité un exemplaire de ce livre. Prune, la solitaire, qui a fui Groix pour vivre en ermite dans la banlieue parisienne dans une petite maison au lieu dit le Gibet, car c’est là que se dressaient des fourches patibulaires sous l’Ancien régime. Prune, en rupture avec sa famille, avec elle, avec le monde, Prune qui ne vit pas mais survit depuis la mort de sa fille, mort qu’elle n’arrive pas à assumer car elle s’en sent la responsable.
Le mariage se déroule et cela permet à Lorraine Fouchet, avec le talent que nous lui connaissons, de décrire les autre protagonistes tous hauts en couleur. Ainsi Luigi le père de Merlin qui lui aussi porte un terrible secret, Charlie, le première mari de Fleur, Pascal son père qui va avoir un enfant avec sa nouvelle épouse, Anne, sa mère qui s’est remariée avec un homme ayant l’âge de son père, lui-même terrible vieillard insupportable depuis la mort de son épouse.
La mort. Elle a toujours été présente dans les romans de Lorraine Fouchet. Dans Face à la mer immense elle est omniprésente, et sa survenance a tellement marqué certains des protagonistes du roman qu’ils n’ont pas encore réussi à surmonter leur deuil. Au fond d’eux-mêmes, ils sont soit en colère, soit dévastés et tous n’arrivent pas à imaginer qu’ils peuvent encore être heureux sans « tromper » l’être aimé.
C’est le cas de Prune, pour sa fille, de Luigi pour sa femme qui s’est suicidée, pour Merlin dont la femme s’est tuée avec son moniteur/amant lors d’une leçon de vol dans un Cesna. Mais tous arrivent à sortir de leur grotte mentale, à s’ouvrir aux autres et à faire le pari que le bonheur est aussi fait pour eux. Car la vie est courte et implacable :« les parents ont une date de péremption, comme les boîtes de conserve ».
Comme toujours, Lorraine Fouchet fait, au fil des pages, des petits apartés qui réveillent le lecteur, le poussent à sortir du chemin droit de l’histoire pour le faire réagir : « La médecine, c’est un roman policier. On a une victime, le malade. On a des indices, les symptômes. On débusque le méchant, la pathologie. Et tout le monde perd un jour la partie. Mais quand ? A quel âge ? Dans quelles conditions? »
De fait, Face à la mer immense, est une nouvelle variation du thème fondateur de l’écriture de Lorraine Fouchet : derrière les apparences se trouvent des douleurs, des angoisses, des peurs que chacun comme il peut essaie de résoudre, et arrive à les surmonter en faisant preuve de résilience. Tout est résumé dans la la devise de bon-papa : « Il vaut mieux être accompagné que mal seul. ». Avec, bien sûr, en toile de fond, l’île de Groix qui est le personnage principal de toute son œuvre.
En ses terribles temps de pandémie, Lorraine Fouchet nous conduit à un moment d’optimisme, de vie. Et puis, et puis, lecteurs, soyez heureux, comme à son habitude Lorraine Fouchet nous donne quelques recettes de cuisine comme ici le chutney aux prunes. Sympa, gourmand, jouissif !
Face à la mer immense
Lorraine Fouchet
éditions éditions Héloïse d’Ormesson. 20€