Festival de la Roque d’Anthéron.
Récital de Khatia Buniatishvili. Jeudi 5 août 2021
Nous ne nous souvenons pas d’avoir vu un programme aussi long et diversifié dans cette édition. Pas moins de 6 compositeurs à l’honneur. C’est très souvent que la jeune pianiste choisit d’entremêler les genres et nous balader à travers les siècles. Jugez-vous-même :
La soirée commence par la Gymnopédie n°1 de Satie puis:
Chopin, Prélude en mi mineur opus 28 n°4,
Chopin de nouveau, avec le Scherzo n°3 en ut dièse mineur opus 39,
Bach, Aria de la suite pour orchestre n°3, en ré majeur BWV 1068,
Chopin, Polonaise en la bémol majeur Opus 53 – Mazurka en la mineur opus 17 n° 4
Couperin, Les Barricades mystérieuses,
Bach/Liszt, Prélude et fugue en la mineur BWV 543,
Liszt Consolation n° 3, et
Liszt/Horowitz, Rhapsodie Hongroise n°2.
Khatia Buniatishvili est connue pour son plaisir de partager l’universalité de la musique classique avec tous. Pourtant certains mélomanes lui reprochent tant de choses, à commencer par son look très sexy tant sur les pochettes de CD que sur scène ; elle ose, elle assume, elle provoque. Robe longue noire au décolleté profond, fendu sur un côté, des boucles impeccables quoique rebelles dans les moments de tensions pianistiques.
Suffit, parlons musique ! La jeune femme n’est pas là par hasard. Son talent est immense et chacun, même ses détracteurs, le reconnaissent. C’est bien grâce à son jeu virtuose et effectivement très personnel, qu’elle invite également des « non-mélomanes » à la rejoindre sur les scènes du monde entier. Avec son tempérament, gageons que la belle a tous les arguments pour briser le mythe de la musique réservée à une élite et c’est ce que l’on entend dans les allées du parc de Florans à l’issu du récital. « Grâce à elle, il y aura moins de têtes blanches dans les salles de concert », nous dit cette habituée de la Roque d’Anthéron. « Cela fait du bien à la musique classique. »
Son jeu est personnel, dans tous les sens du terme, elle s’écoute, c’est sûr ! Certes, cela peut déranger que la pianiste fasse son show, certains spectateurs quitteront même l’auditorium avant la fin du concert. « Cela n’est jamais arrivé depuis le début du Festival 2021 », nous confiera encore un mélomane chroniqueur spécialisé en musique classique.
Certes elle invente, mais quand on lit quelques histoires de nos compositeurs, on croit comprendre qu’ils se laissaient aller aussi à des interprétations hors des sentiers battus.
Prenons Franz Liszt dont elle joue la Consolation n°3, le pianiste virtuose hongrois n’était-il pas réputé à son époque pour le spectaculaire de ses interprétations ? Peut-être que le romantisme exacerbé de Khatia Buniatishvili lui aurait plu lorsque, devant son clavier, elle suit sa propre ligne et s’éloigne du modèle imposé. Des libertés qu’elles se prend donc, et que l’on peut ne pas remarquer si l’on ne connait pas bien l’œuvre.
Ce qui est évident, c’est que Khatia Buniatishvili est dotée d’un beau toucher. Cependant, les Gymnopédies de Satie nous laissent sur notre faim. On est loin d’Aldo Ciccolini, sans doute notre référence, et ce n’est pas la seule interprétation mémorable de cette célèbre création d’Erik Satie. La pianiste semble avoir choisi la sobriété, le rythme est lent, un peu trop sans doute, il nous manque des beaux phrasés, de l’engagement, et de l’émotion !
Son choix d’interpréter le Prélude en mi mineur opus 28 n°4 de Frédéric Chopin, témoigne de son affinité avec le répertoire romantique mais là encore, dans ce répertoire très intime, elle s’éloigne probablement un peu trop de la partition, elle nous fait entendre un chant mélancolique sans livrer un sentiment désespéré. Car il y a de la souffrance dans cette belle œuvre. Ce magnifique prélude, que tout le monde a en tête, a été joué lors des obsèques de Chopin.
Scherzo n°3 en ut dièse mineur opus 39 de Chopin, œuvre difficile à jouer avec ses accents capricieux, et le tempo qui bouge tout le temps. Une partition poétique et dramatique et avec la pianiste, on frôle parfois le grand désespoir.
Puis c’est au tour de Bach de faire son entrée solennelle avec Aria de la suite pour orchestre n°3, en ré majeur BWV 1068, un des airs les plus célèbres du compositeur. Une musique vraiment « sacrée » et une interprétation avec trop de pathos qui ne nous convainc pas totalement. Car on ne retrouve pas cette atmosphère de douce sérénité qui inonde cette musique et qui devrait nous laisser une magnifique impression de temps suspendu. Khatia Buniatishvili parait prendre une autre direction qui nous séduit moins. Cependant, pour beaucoup de mélomanes, la pianiste offre « autre chose » alors que pour d’autres elle devrait rester au service de l’œuvre surtout dans une telle partition.
Il est vrai qu’il y a tant d’interprétations possibles! Chacun apporte son ressenti. Nous sommes séduits par une courte pièce admirable, qui contient tant de choses ! François Couperin, Les Barricades Mystérieuses. Un mystère justement que la pianiste a su percer en le laissant entier ! Une œuvre pleine de subtiles dissonances, une belle harmonie, et ce flot musical dont la continuité est si particulière à l’oreille. Tout glisse dans l’interprétation de Khatia, cette œuvre pleine de mystère convient bien à l’artiste.
Bach/Liszt, Prélude et fugue en La mineur BWV 543, Liszt qui s’est emparé de cette œuvre du Cantor de Leipzig pour la transcrire pour le piano, et Khatia Buniatishvili se saisit de ces harmonies mouvantes, car il y a de belles courbes dans son jeu, quelques belles articulations propres à la partition originale, même si la pianiste s’autorise là encore quelques petites libertés.
Touchante, sans plus, la Consolation N°3 de Liszt, interprétée par la pianiste. Rhapsodie Hongroise n°2 de Liszt/Horowitz. Elle nous la joue très tzigane dans certains passages, brode un peu, à sa manière, ce qui n’est pas pour déplaire au public dans les gradins, qui font entendre des applaudissements nourris.
Elle revient avec deux bis : Bach/Marcello : Concerto en ré mineur BWV 947 : adagio
Puis Debussy : Suite Bergamasque, L.75 : III. Claire de lune. Une pièce particulièrement originale et très expressive. Cette pièce résume le récital. Des mouvements lents, très lents, et d’autres plus rapides, très rapides, des allers-retours que l’on n’a pas toujours suivis.