Ah !, le mystère des miroirs de Venise ! La vraie épopée dirigée par Colbert afin que la France puisse produire cet objet de grand luxe, ce qui nous a valu la galerie des glaces à Versailles. Et bien, dans le dernier roman de François de Bernard, je n’ai pas lu une seule fois le mot miroir. L’action se passe essentiellement à Venise, mais elle ne porte en aucune manière sur l’objet miroir, mais bien plus sur le reflet qu’il donne, sur l’effet miroir en quelque sorte.
Le héros principal est une toile, une toile qui a servi pour faire un tableau, et pas n’importe quel tableau, puisqu’il s’agit du Sposalizio, c’est à dire du Mariage de la Vierge. Tableau de scène religieuse s’il en est, un classique. Mais, nous sommes en 1550 et ce tableau est peint, par son atelier, suivant les plans du génial maître Jacopo, passé dans l’histoire sous le surnom du Tintoret.
Cette toile rompt avec tous les codes de l’époque par le nombre de personnages en mouvement comme s’ils étaient à un bal au palais des Doges, par les couleurs employés, par l’attitude des époux qui ne se regardent pas, par l’habit quelque peu original du rabbin officiant, etc. Devant tant d’audaces, les Frères mineurs, les commanditaires, refusent net ce tableau (et donc refusent de le payer). Qu’à cela ne tienne, le Tintoret, dans l’espoir de bénéficier de commandes du Vatican, l’offre au nonce apostolique Fillipo Archinto. Ce dernier, plus féru d’astronomie que de diplomatie comprend la force, la beauté intrinsèque de cette œuvre qui va être placée dans son bureau, avec d’autres rares élues. Un lien spécial aussi se crée avec Nicolletta, petite nièce de Giorgione, elle aussi experte en astronomie qui devient la secrétaire (et maîtresse) du prélat. Mais tous les deux découvrent une conspiration criminelle et risquent leur vie . Aussi, sont-ils obligés de s’enfuir, sans oublier la Sposalizio.
Tout est écrit à la première personne du singulier, c’est la toile qui s’exprime. Elle nous annonce qu’en plus de cinq siècle, elle a connu bien des aventures, mais nous en resterons qu’aux premiers propriétaires, ce qui mène le lecteur à Venise, à Bergame et à Ferrare. Son vécu, auprès de personnes fort différentes, lui donne une vision mordante, voire ironique de la société. Nous ne sommes pas loin des Lettres persanes de Montesquieu, non au niveau de l ‘analyse politique, mais plutôt de la sociologie et de la nature humaine. Et l’analyse est d’autant plus fine que le tableau perçoit tout en cinq dimensions. Et ce tableau est loin d’être passif, il sait créer des liens entre ses deux « géniteurs » ou les propriétaires (il revendique de les avoir choisis et non l’inverse).
Bien sûr, le lecteur prendra plaisir sur les digressions parfois savantes sur la création artistique, sur les rapports humains, sur la perception et bien d’autres sujets.
Un tableau extraordinaire, de l’imagination, voilà de quoi faire un bon roman.
Le Miroir de Venise
François de Bernard
éditions Héloïse d’Ormesson. 18€