Juan Manuel’s most important work to understand the essential spirit of Spanish literature starting in the Middle Ages period
La chronique littéraire d’Émile COUGUT.
Petit fils du roi Ferdinand III le Saint, Don Juan Manuel, duc de Penafiel, marquis de Villena, est né à Tolède en 1282 et hérita très jeune du titre de gouverneur général du royaume de Murcie. Il eut trois épouses qui l’allièrent aux familles royales de Majorque et d’Aragon. Il se comporta comme bien d’autres membres des familles royales espagnoles de cette époque. Il soutint, trahit, puis ressoutint le roi Ferdinand IV, fut nommé régent du royaume durant la minorité d’Alphonse XI et recommença à trahir suivant ses intérêts et la haute idée qu’il se faisait de lui-même et surtout de sa place dans la société. Eloigné de la cour, il eut une instance activité littéraire. Revenu en grâce, il maria sa fille à l’héritier du trône du Portugal et connu une brillante carrière militaire. Don Juan Manuel est mort à Cordoue probablement en 1348.
Parmi les livres de cet infant d’Espagne qui nous sont parvenus se trouvent le livre des enseignements et des conseils, le livre des conditions humaines, le livre de chasse et bien sûr Le livre du comte Lucanor. Ce dernier comporte cinq parties, de dimensions inégales et de contenu aussi. Si la dernière est une sorte de traité de théologie, les parties II, III, IV sont des séries de maximes de sentences. La première partie est de loin la plus connue et a fait l’objet de plusieurs éditions, le plus souvent partielle. L’éditions que vient de publier Aubier, dans la collection « domaine hispanique » a le mérite non seulement d’offrir au lecteur l’intégralité de cette première partie, mais aussi l’intégralité de cette œuvre de Don Juan Manuel.
La première partie comporte 51 apologues à la manière, mais en bien plus profond et original, des « exempla » dont usaient les frères prêcheurs à cette époque. Pour chacun Le comte Lucanor, qui par bien des aspects n’est autre que Don Juan Manuel, pose une question, à partir d’un fait à son fidèle conseiller Patronio. Ce dernier donne, plus ou moins longuement, une solution d’ordre pratique ou morale, à partir d’une histoire, d’un exemple. A travers ses questions, le comte Lucanor expose ses souvenirs, ses expériences dans les arts, dans la politique, dans la vie. Par ce système, et par les autres parties, à cette époque où l’écrit était rare et où la connaissance, le savoir n’étaient détenus que par une élite (dont Lucanor dit ne pas faire partie, lui l’homme d’action, de guerre), Don Juan Manuel veut essayer de montrer que l’on peut atteindre à la connaissance directe et pratique du singulier et du contingent, connaissance qui permet de régler de façon directe l’action. Il puise toujours ses exemples, ses morales dans la vertu de la prudence, sous le double aspect de la vertu intellectuelle et de la vertu morale. Ces histoires montrent aussi les lectures de l’auteur : Esope, les exempla des frères pêcheurs, le roman Calita et Dimna, les récits populaires, et bien sûr la Bible et les Evangiles.
Ces apologues, ces maximes, ce traité donnent au lecteur une idée de l’humanisme chrétien du XIII siècle où la providence était l’explication du monde tel qu’il est et tel qu’il doit être, dans cette société très hiérarchisée et totalement chrétienne.
Le style est clair, simple, transparent, incisif ce qui rend ce livre particulièrement plaisant et facile à lire. Chaque exemple, chaque maxime sont des pierres permettant de comprendre la vie, la mentalité d’un des hommes les plus importants de l’Espagne de cette époque.
Cette édition du Livre du comte Lucanor contient une introduction particulièrement instructive, savante qui est un véritable essai non seulement sur l’œuvre de Don Juan Miguel mais aussi sur la littérature espagnole de son époque. Michel Garcia signe cette introduction et cette traduction particulièrement réussie, le lecteur doit le remercier de lui ouvrir aussi brillamment cette littérature si peu connue en France.
Emile Cougut
Livre du comte Lucanor
Don Juan Manuel
Introduction de Michel Garcia
éditions Aubier (domaine hispanique). 24€