C’est entourée des toiles de son ami l’artiste japonais Aki Kuroda que Yoyo Maeght, éditrice et galeriste, petite-fille d’Aimé Maeght, lithographe, mécène, créateur de la fameuse fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, a présenté et dédicacé son livre « La saga Maeght » ce jeudi 12 janvier 2023 au Château de Sannes.
Un lieu que Yoyo Maeght affectionne particulièrement puisque « La place de l’homme dans l’univers » d’Aki Kuroda est la troisième exposition qu’elle organise dans le domaine de son ami Pierre Gattaz. Après Miro-Prévert et Thierry Lefort, cette exploration dans le cosmos et cette plongée dans la nuit avec le maitre japonais nous font entrer dans une autre dimension colorée et expressive à souhait. C’est pour le spectateur une belle expérience à vivre entre fantaisie et réalité.
Dès que l’on entre dans la peinture d’Aki Kuroda 黒田 アキ on est sous le charme et on a envie de se poser, de ne pas aller trop vite, de ne pas brûler les étapes. Car découvrir son travail demande de notre part un peu d’engagement même si sa peinture parait facile, légère. Elle est tout sauf cela.
L’artiste nous prend par la main, nous guide. Il n’est pas là ce jeudi soir, retenu au Japon, mais sa présence est palpable. Avec lui, on glisse entre les cultures, entre Orient et Occident. On voyage dans son jardin dont il partage avec nous quelques secrets. Il nous entraine avec énergie, et pourtant, il arrive un moment où il nous perd. C’est étrange à dire, à regarder ses toiles, on n’a plus la même notion du temps. On perd quelques repères, et c’est justement ce qui est fabuleux et jubilatoire. C’est très agréable en fait de flotter, de planer. Ah le pouvoir de la peinture tout de même ! On s’accroche, à un signe, à un indice que l’artiste nous offre ici et là. On passe d’une toile à l’autre, heureux de retrouver parfois des éléments communs comme ces personnages en négatifs, ces perles rondes comme autant d’étoiles, ou encore ces lignes qui s’entrecroisent et dynamisent la composition ou enferment le sujet, c’est selon. Certaines de ses œuvres sont très peintes, d’autres très graphiques. Poésie et humour s’invitent, et un peu de gravité aussi. On s’interroge avec lui sur « La place de l’homme dans l’univers ». Ce qu’il nous raconte est là, même si cela reste énigmatique. Il répond avec des émotions visuelles et on en gardera de multiples sensations. On surprend l’homme en mouvement tant la liberté du geste est manifeste.
Yoyo Maeght suit Aki Kuroda depuis de nombreuses années. Assurément Aki Kuroda est ce que l’on appelle un artiste total. Il utilise plusieurs disciplines artistiques et il y a toujours une portée philosophique, sensorielle, symbolique dans son œuvre, avec ce besoin d’harmoniser l’univers, de fusionner l’art et la vie comme le prouve cette exposition.
Le livre
La saga Maeght est un best-seller assurément. Sorti en 2014 aux éditions Robert Laffont, le livre s’est enrichi de 8 années pour arriver à 2023 dans une nouvelle édition destinée dans un premier temps aux USA. Il nous tarde de la découvrir en France.
Françoise alias Yoyo est, si l’on peut dire, une enfant de la balle, élevée dans le milieu artistique et formée à bonne école. Elle exerce aujourd’hui plusieurs métiers au service de l’art. Au fil des pages, on sent toute l’admiration que la petite fille porte à son grand-père Aimé Maeght, lui qui, orphelin, parti de rien, a construit un empire. C’est un livre de souvenirs, un livre de mémoires qui fait « du bien ». L’auteure raconte cette saga familiale, nous promenant de Paris à Saint-Paul-de-Vence, et partout dans le monde. On la suit, elle et sa famille. La petite Françoise rebaptisée Yoyo par l’ami de « Papy Aimé Maeght » Jacques Prévert « parce qu’il pense qu’un enfant ne doit pas porter de prénom avec une référence religieuse qu’il se trainera toute sa vie ! ».
Enfant, adolescente, jusqu’à la femme solaire que l’on connait aujourd’hui, elle restera Yoyo pour tous ! Yoyo et ses sœurs, puis le petit frère grandiront avec Miro, Chagall, Braque, Léger, Derain et tant d’autres. Ils sont pratiquement tous là. Sans oublier les poètes, écrivains, les grands hommes qui ont croisé sa route : Pour certains la rencontre se fera chez le parrain de Yoyo Maeght, le propriétaire du mythique hôtel restaurant « La Colombe d’or », carrefour de la vie artistique du XXe siècle à Saint-Paul-de-Vence. Un parrain décédé il y a à peine trois. Yoyo Maeght grandit avec « Miro, Chagall, Braque, Clouzot, Ventura et Montand, Malraux Prévert, Aragon…
Elle nous les fait connaitre à travers son regard et aussi celui de son papy. C’est toute une galerie de portraits qui défile, toute une époque qui fait rêver. De tous les artistes, Miro est celui qui l’aura sans doute le plus marquée. Il était pour elle « un oncle », comme Pierre Bonnard était un père pour Aimé. On est saisi par le côté parfois surréaliste de cette vie, même dans le quotidien, et par toutes les prises de risques qui l’ont jalonné.
C’est sans doute grâce à eux tous que Yoyo s’est forgé une vision de l’art si personnelle, apprenant de chacun d’eux quelque chose d’unique. Elle s’est formée grâce à cette curiosité qui ne l’a jamais quittée. Elle est généreuse, a cette envie de partager son aventure, dans le livre déjà. « Depuis cette fin d’été 1981, j’ai patiemment glané les informations, recherché des documents, écouté, appris. »
Aujourd’hui, Yoyo Maeght dévoile également ses coups de cœurs sur les réseaux, où, très active, elle partage l’art du passé, d’aujourd’hui, de demain en commentant avec intelligence et humour ; Elle partage des vidéos, des interviews, des comptes rendus d’expositions. Elle se met au service d’artistes contemporains, se passionne pour leur travail et on la suit dans ses choix car le « regard » est affuté.
Dans le livre on apprend que ses parents n’étaient pas très présents. Une maman de santé fragile, un papa avec lequel tout devient vite compliqué mais qui, par ailleurs, a ouvert des ateliers d’imprimerie avec succès ; un père qu’elle a longtemps défendu. « Nous vivions en parallèle de nos parents ». Adrien, son père, se brouille avec Papy et leurs rapports tendus vont empoisonner l’histoire familiale. Les détails sont dans le livre, nous n’allons pas tout dévoiler : mauvaise gestion aux choix artistiques conflictuels et bien d’autres objets de discorde. Il y a les années sombres, avec des zones de lumières, fort heureusement. « Je ne me plains pas de cette distance. Je profite allègrement, toute mon enfance, de la quasi-indifférence de mes parents envers leur progéniture ». Elle trouve le bonheur auprès de son grand-père qu’elle appelle joliment « Le passeur de lumière ». Elle rend également hommage à sa grand-mère, Marguerite. Yoyo Maeght écrit : « Nos grands-parents tiennent à nous comme à la prunelle de leurs yeux. Ils veulent nous avoir près d’eux en toute occasion, et surtout à chaque évènement important. Ils se complètent, regardent dans la même direction. »
Leur fils cadet Bernard est mort à 12 ans d’une leucémie. Le drame arrive un an avant la naissance de la sœur ainée de Yoyo, Isabelle (1955). Les amis artistes les encouragent à réagir, « Il vous faut créer quelque chose d’immortel ». C’est ainsi qu’est née La Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, un lieu unique, la première fondation de ce type, une belle maison dessinée par l’architecte Josep Lluis Sert. Toute l’aventure de l’Art moderne se trouve là : une collection permanente privée et des expositions temporaires, une bibliothèque, des évènements comme « Les Nuits de la Fondation » avec des ateliers et des concerts. Yoyo se souvient. « Nous, les petits enfants, étions présents le jour de l’inauguration ! Ce serait impensable de nos jours. Quelle symbolique très forte pour Aimé Maeght, l’orphelin : c’est une maison pour les générations à venir !
Pourtant, quelques années plus tard, il va falloir que Yoyo Maeght se défende. Dans sa propre famille, d’aucuns cherchent à « l’asphyxier, à l’épuiser » . « Quel gâchis », « Je ne cesserai jamais de me battre pour Papy » . On a parfois l’impression d’entrer dans un polar. On s’étonne avec elle : « Depuis la disparition de ses parents, pas un mot écrit par mon père sur l’aventure Maeght, pas un hommage ». Yoyo démissionnera de la fondation en 2011. Elle qui estime qu’une galerie d’art ne sert pas à vendre des tableaux, mais à faire la promotion des artistes, a retenu la leçon de son grand-père. Yoyo Maeght continue d’éditer les artistes qu’elle défend, imprime des estampes, tout comme son papy Aimé Maeght. Elle est éditrice, galeriste, commissaire d’exposition, aime le talent et l’audace, et peu importe comment ils s’expriment. Yoyo est une femme libre.
Yoyo Maeght a la foi. Elle est d’une nature optimiste, à la fois joyeuse et pleine de retenue. Elle espère toujours qu’un jour ces conflits et déchirements cesseront. Pour son grand père, pour l’amour de l’art pour Papy Aimé passeur de lumière. « Jusqu’à sa mort, il sera le fidèle soutien, le roc, le pont fixe de mon existence. »
On pourrait écrire « et même après sa mort… » Elle a reçu l’héritage le plus important à ses yeux : le patrimoine moral, affectif et spirituel.
Vous souhaitez réagir à cet article
Peut-être même aimeriez-vous nous proposer des sujets, des textes
N’hésitez pas !
Contact: redaction@wukali.com (cliquer)