Je me suis penché sur la mer
Pour communiquer mon message
Aux poissons:
«Voilà ce que je cherche et que je veux savoir.»
Les petits poissons argentés
Du fond des mers sont remontés
Répondre à ce que je voulais.
La réponse des petits poissons était:
«Nous ne pouvons pas vous le dire
Monsieur
PARCE QUE»
Là la mer les a arrêtés.
Alors j’ai écarté la mer
Pour les mieux fixer au visage
Et leur ai redit mon message:
«Vaut-il mieux être que d’obéir?»
Je le leur redis une fois, je leur dis une seconde
Mais j’eus beau crier à la ronde
Ils n’ont pas voulu entendre raison!
Je pris une bouilloire neuve
Excellente pour cette épreuve
Où la mer allait obéir.
Mon coeur fit hamp, mon coeur fit hump
Pendant que j’actionnais la pompe
À eau douce, pour les punir.
Un, qui mit la tête dehors
Me dit: «Les petits poissons sont tous morts.»
«C’est pour voir si tu les réveilles,
Lui criai-je en plein dans l’oreille,
Va rejoindre le fond de la mer.»
Dodu Mafflu haussa la voix jusqu’à hurler en déclamant ces trois derniers vers, et Alice pensa avec un frisson: «Pour rien au monde je n’aurai voulu être ce messager!»
Celui qui n’est pas ne sait pas
L’obéissant ne souffre pas.
C’est à celui qui est à savoir
Pourquoi l’obéissance entière
Est ce qui n’a jamais souffert
Lorsque l’être est ce qui s’effrite
Comme la masse de la mer.
Jamais plus tu ne seras quitte,
Ils vont au but et tu t’agites.
Ton destin est le plus amer.
Les poissons de la mer sont morts
Parce qu’ils ont préféré à être
D’aller au but sans rien connaître
De ce que tu appelles obéir.
Dieu seul est ce qui n’obéit pas,
Tous les autres êtres ne sont pas
Encore, et ils souffrent.
Ils souffrent ni vivants ni morts.
Pourquoi?
Mais enfin les obéissants vivent,
On ne peut pas dire qu’ils ne sont pas.
Ils vivent et n’existent pas.
Pourquoi?
Pourquoi? Il faut faire tomber la porte
Qui sépare l’Être d’obéir!
L’Être est celui qui s’imagine être
Être assez pour se dispenser
D’apprendre ce que veut la mer…
Mais tout petit poisson le sait!
Il y eut une longue pause.
«Est-ce là tout? demanda Alice timidement.»
1926
Antonin ARTAUD. (1896-1948)