La Comédie Humaine, pour le meilleur et pour le dire. Ce mot de Balzac dans Louis Lambert tout d’abord : « J’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot… ». Et puis cette galerie de personnages croqués par Daumier avec ses traits à l’acide sur ses contemporains et les petites moeurs et arrangements entre Parisiens, médecins, hommes de robe, huissiers, avocats, et particulièrement dans cette exposition, bourgeois comme gens du peuple de Paris. Un panorama humain pour lanternes magiques. Pour l’un comme pour l’autre, chacun de nos Honoré, un regard vif et acéré sur la société, une mise à nu dans la rigueur des styles.
Deux artistes, l’un comme l’autre, pleinement attentifs et observateurs de leurs contemporains, mais aussi comme l’on eût dit naguère, «engagés». Le sang de la république chez Daumier coule à travers Le massacre de la rue Transnonain ou Le soulèvement de la Philipps collection à Washington. Et Balzac dont bien plus tard la sublime statue tellurique de Rodin dira toute la puissance de son génie.
Charles Baudelaire, nous le savons aussi, est à cette même époque, de ceux dont la sensibilité critique et alerte veille sur tout ce que l’esprit et la création peuvent produire, sur ce qui se fait ou se joue à Paris. Avoir raison avant l’heure, souvent…
Emporte-moi wagon ! Enlève-moi, frégate !
Loin ! Loin ! Ici la boue est faite de nos pleurs !
Moesta et Errabunda
Avec cette exposition, la Maison de Balzac se propose d’établir une correspondance entre dessin et littérature, entre ces deux hommes qui se rejoignent surtout par le regard aigu qu’ils ont porté sur leurs contemporains, brossant un vaste panorama de la société. S’il n’existe pas de preuve d’un lien entre Balzac et Daumier, tout laisse à penser qu’ils se sont croisés dans les salles des journaux et chez les éditeurs avec qui ils travaillaient régulièrement.
Cette proximité a maintes fois été soulignée, notamment par Charles Baudelaire qui a écrit « la véritable gloire et la vraie mission de Gavarni et de Daumier ont été de compléter Balzac, qui d’ailleurs le savait bien, et les estimait comme des auxiliaires et des commentateurs ».
Les concierges, les saute-ruisseaux, les grisettes, les cuisinières, les employés et les petits commerçants trouvent ainsi une large place tant dans La Comédie humaine que dans l’œuvre gravée de Daumier. Ici comme là, l’observation relève les travers, les petitesses et les ridicules, sans grande indulgence mais avec une attention profonde pour l’humanité.
L’exposition propose au sein même de la maison occupée par Balzac de 1840 à 1847, une soixantaine de gravures de Daumier mais aussi quelques-unes de ses peintures, offrant ainsi un dialogue inédit sur deux œuvres qui se répondent et se complètent.
Pour enrichir et actualiser ces regards sur les Parisiens, le parcours présente également des dessins de plusieurs caricaturistes et illustrateurs contemporains.
Caricature ou description ?
La première partie de l’exposition souligne l’intérêt de Balzac et Daumier pour la classification sociale et la justesse de leur analyse, toujours actuelle, du quotidien des Parisiens : incertitudes du transport urbain, surprises de la vie nocturne, gestion des animaux domestiques ou qualité aléatoire des restaurants.
Avec La Comédie humaine, Balzac propose une classification des « espèces sociales » comparable aux travaux menés sur les végétaux et les animaux au siècle précédent.
Les descriptions qui ouvrent les romans campent ainsi des types, celui du commerçant, du notaire ou du petit rentier, caractérisés par un accessoire, une attitude, une expression. Ces « marqueurs sociaux » – le terme n’existait pas – conduisent, consciemment ou non, à catégoriser les personnes rencontrées, ils fondent la première impression. Un tel processus relève de la caricature et c’est à ce titre qu’il s’apparente au dessin de Daumier.
Avec un ton léger et humoristique, les caricatures de Daumier et les descriptions de Balzac sont ainsi mises en regard.
Parisiens d’hier ou Parisiens d’aujourd’hui ?
L’exposition présente également des regards contemporains sur les Parisiens croqués par des dessinateurs d’aujourd’hui. Cette partie souligne que si les Parisiens ont changé, les lunettes chaussées par Daumier et Balzac permettent aujourd’hui encore d’observer et de comprendre la société. Sont présentés ici des dessins de Belom, Coco, Fabrice Erre, Faro, Foolz, Gab, Didier Marandin et Robabée.
Sous la caricature, l’humain
Enfin, un choix de peintures rappelle que, si Daumier est un grand caricaturiste, ses œuvres peu connues et rarement exposées de son vivant témoignent de la grande profondeur psychologique de son art. De même, Balzac, s’il est sensible à l’importance des premières impressions, sait explorer le cœur de l’homme.
Les personnages de La Comédie humaine se caractérisent par leur humanité. Même les caractères les plus tranchés n’incarnent ni la perfection, ni le mal absolu. Certaines figures atteignent ainsi une profondeur psychologique inégalée.
Chez Daumier, la complexité psychologique n’apparaît guère dans les lithographies mais elle s’impose dans ses peintures. Ces productions tardives servies par une qualité de matière, de construction et de couleur qui évoque les maîtres anciens (Rubens, Greuze, Fragonard…), témoignent d’une grande empathie avec les modèles, et d’une humanité confinant à l’universel. Le petit peuple citadin de Daumier s’apparente ainsi aux paysans représentés par Jean-François Millet : même pesanteur des figures courbées vers le sol, même profondeur de l’être humain, isolé dans ses pensées. Bien que postérieures à la mort de Balzac, ces peintures forment un trait d’union spirituel très fort entre Daumier et le romancier.
Un album est édité à l’occasion de cette exposition, il présentera une quarantaine de gravures de Daumier en correspondance avec des citations de Balzac.
Exposition: Balzac, Daumier et les Parisiens
De La Comédie humaine à la comédie urbaine
du 22 novembre 2023 au 31 mars 2024
La Maison de Balzac
47 rue Raynouard. 75016 Paris
Métro : Passy (ligne 6) ou La Muette (ligne 9)
Illustration de l’entête: Honoré Daumier, Emotions parisiennes (détails), lithographie, 24 x 24,3 cm © Paris Musées / Maison de Balzac.
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