Such a unique and incredible pure voice


Certains mélomanes ont certainement eu du mal à réaliser que [**Leontyne Price*] avait atteint l’âge de 90 ans le 10 février 2017 dernier, tant sa voix est encore présente dans leur mémoire et tant certaines de ses interprétations verdiennes restent inégalées à ce jour. Elle ne fut pas seulement une star lyrique. Sans l’avoir spécialement cherché, elle contribua, dans les années 1950-1960, à l’évolution du statut des Noirs aux États-Unis dans le monde lyrique. Elle reste une grande dame, respectée de ses collègues comme de ses admirateurs.

Rien ne laissait prévoir un tel destin quand [**Mary Violet Leontyne Price*] naquit dans une modeste famille d’un quartier noir de Laurel, petite ville du Mississipi ségrégationniste. Mais de bonnes fées veillaient. Malgré leurs difficultés financières, les époux Price entourent leurs deux enfants de beaucoup d’affection et leur inculquent le sens de la dignité et de solides valeurs chrétiennes. De là sans doute la personnalité de Leontyne à la fois rieuse, généreuse et intransigeante sur les principes. La mère possède une jolie voix de soprano et participe à la chorale de sa paroisse méthodiste. Dès son plus jeune âge, la petite fille assiste aux répétitions et manifeste son intérêt pour la musique. Malgré les sacrifices que cela implique, la famille lui fait donner des leçons de piano où elle va exceller rapidement. C’est ainsi qu’à 10 ans, l’enfant sera capable non seulement de chanter dans la chorale mais aussi de jouer parfois les accompagnatrices. Elle dira plus tard que là sont ses racines et elle inscrira souvent aux programmes de ses concerts, le spiritual préféré de sa mère, This Little Light of Mine, écrit vers 1920 par [**Harry Dixon Loes*]. Se référant aux évangélistes Matthieu et Luc, il y est question de cette petite lumière que chacun porte en soi et qu’il faut laisser briller pour les autres. Cela pourrait résumer la philosophie de la cantatrice.

Olécio partenaire de Wukali

Ses ambitions resteront longtemps modestes : une carrière d’instrumentiste étant inenvisageable à cette époque pour une femme de couleur, en dehors des spectacles conçus par et pour les Noirs, elle sera professeur de musique à Laurel pour aider ses parents. Les employeurs d’une de ses tantes, les [**Chisholm*], riche famille d’un banquier blanc de cette petite ville, la remarquent dès l’enfance et lui fournissent des occasions de se produire en société, lui permettant ainsi de payer ses cours privés. À 14 ans, elle participe à un voyage scolaire pour écouter la contralto noire [**Marian Anderson*] (1897-1993), expérience dont elle dira plus tard qu’elle fut une source d’inspiration. Par ailleurs, ses professeurs de musique, tout au long de son parcours scolaire, ont rapidement décelé, outre ses dons pianistiques, sa voix exceptionnelle et l’inciteront à la travailler. Mrs Chisholm persuade les parents Price d’envoyer leur fille, à la fin de son cursus universitaire, poursuivre ses études à la Juilliard School. Pour ce faire, elle se charge de lui payer le voyage et le logement à New-York, les fournitures et elle convainc un célèbre baryton noir, [**Paul Robeson*], de donner un concert dont toute la recette revient à la jeune Price qui obtient une bourse pour l’illustre institution en 1948.

À partir de là, ses dons et sa grande capacité de travail permettront à la jeune fille de suivre une trajectoire qui fera d’elle une des plus grandes sopranos de son temps. Ses rencontres professionnelles seront déterminantes pour la suite de sa carrière. Son professeur principal à la Juilliard School,** Florence Page Kimball*] – qui resta sa conseillère jusque dans les années 1960 -, joue le rôle le plus important. Ancienne chanteuse, elle laisse le talent de son élève s’épanouir, se contentant de corriger les erreurs. Ayant travaillé à Paris, elle initie Price à la mélodie française que cette dernière cultivera tout au long de sa carrière. La cantatrice rendra un hommage appuyé à cette pédagogue, en 1973, affirmant que tout ce qu’elle savait, son art de chanter et toute sa manière d’être, elle le lui devait. Par l’intermédiaire de ce professeur, Price rencontre [**Francis Poulenc*] qui la choisira pour la création américaine (en anglais) des Dialogues des Carmélites à l’Opéra de San Francisco, en 1957. En effet, la Juilliard School organise des spectacles avec ses élèves auxquels assistent des compositeurs et des producteurs de spectacles. Leontyne en devient rapidement l’interprète la plus remarquée. C’est ainsi que le critique et compositeur [**Virgil Thomson*], impressionné par son interprétation d’Alice Ford dans le Falstaff de [**Verdi*], l’engage pour une reprise de son opéra, Four Saints in Three Acts, donné, en avril 1952, sur Broadway pendant trois semaines. La tournée ira jusqu’à Paris. La prestation scénique de la jeune chanteuse est suffisamment convaincante pour qu’elle soit engagée pour une nouvelle production de Porgy and Bess de [**George Gershwin*]. L’œuvre, médiocrement accueillie à sa création en 1935, est remontée comme son auteur l’avait conçue à l’origine. La tournée, partie de Dallas, parcourt les États-Unis, avant de se produire en Europe et de revenir à Broadway. Il reste un témoignage du spectacle, capté en 1952 par la radio du secteur américain de Berlin, récemment réédité [(Audite, 2008). On y perçoit l’engagement communicatif de la jeune Price qui séduisit alors les spectateurs. Sa Bess prouvait qu’elle avait une voix et une personnalité dignes d’une scène d’opéra. Le Metropolitan Opera le reconnut en l’invitant, en 1953, à un gala de charité qu’il organisait dans une salle de spectacle de Broadway pour chanter le fameux « Summertime ». En 1963, RCA publiera des extraits de Porgy and Bess dans lesquels la soprano, alors devenue célèbre, chante tous les rôles féminins. Elle y retrouve le Porgy qui l’accompagnait dans la tournée et qu’elle a épousé à leur retour en Amérique, le baryton-basse [**William Warfield*]. À cette date, ils étaient séparés, tout en restant en excellents termes. Ils divorceront en 1972.


À cette étape de sa carrière, un danger guette la cantatrice : être réduite à des rôles « ethniques ». Aussi pense-t-elle faire une carrière de récitaliste, à l’exemple de son mari [**Warfield*], de [**Marian Anderson*], et d’autres grands chanteurs noirs concertistes. Entre les représentations de Porgy, en novembre 1954, Price débute en récital au Town Hall de New York avec la première new-yorkaise du cycle des Hermit Songs du compositeur américain [**Samuel Barber*] qui l’accompagne au piano. C’est le début d’une grande amitié et d’une longue collaboration entre les deux artistes. La chance va encore sourire à Price. En 1955, La chaîne de télévision NBC TV Opera, qui diffuse régulièrement des opéras chantés en anglais, l’engage dans le rôle-titre de la Tosca de [**Puccini*]. C’est la première fois qu’une chanteuse noire est la vedette d’un spectacle télévisé, sans même qu’un maquillage cherche à dissimuler son origine raciale, pratique encore en usage à l’époque. Cela ne manque pas de scandaliser une partie du public et plusieurs chaînes refusent de relayer ce programme. Mais Price rencontre un grand succès qui lui permet de se faire connaître. Elle réapparaîtra dans trois autres retransmissions de la NBC : La Flûte enchantée (Pamina, 1956), Les Dialogues des Carmélites (Madame Lidoine, 1957, diffusés depuis l’opéra de San Francisco où elle fait alors sa première apparition sur une grande scène) ; Don Giovanni (Donna Anna, 1960).

Sa carrière prend un tournant décisif en 1955 quand, lors d’une audition au Carnegie Hall, [**Herbert von Karajan*] l’entend interpréter le « Pace, pace, mio Dio … » du dernier acte de La Forza del destino de [**Verdi*]. Il aurait sauté sur la scène pour l’accompagner lui-même au piano. Il dira avoir eu la chair de poule en l’écoutant. La qualifiant d’« artiste de l’avenir », il l’invite en Autriche et lui propose de s’occuper de sa future carrière européenne. C’est une preuve du pouvoir de fascination que la voix de la soprano a toujours exercé sur ses auditeurs, simples mélomanes ou professionnels du chant. Cela tient à des qualités rarement assemblées : un ambitus exceptionnel qui lui permettra d’enregistrer le rôle de Carmen comme le grand air de Violetta avec un contre mi bémol final aisé ; un timbre sombre dans le medium, avec des moirures fauves ; un aigu fruité et très brillant ; un art du legato permettant des pianissimi sublimes, le tout sans rupture de registre. On emprunterait volontiers au Desdichado de [**Gérard de Nerval*] son célèbre oxymore du « soleil noir » pour qualifier cette voix et son mystérieux pouvoir émotionnel. Elle-même affirmera : « Je n’ai pas la voix d’une Blanche et c’est ce qui me plaît. On y retrouve ses origines, et ce vibrato, qui est le secret de l’originalité de ma voix. Un vibrato si merveilleusement noir ; il me distingue des autres. » Ce qui n’a rien d’étonnant tant le son est lié à la physiologie de l’individu.|left>

Au cours des trois saisons suivantes, Price parcourut les U.S.A., pour des récitals avec son accompagnateur privilégié, [**David Garvey*], ou avec un orchestre. Elle se rend également en Inde (1956) et en Australie (1957), sous les auspices du Département d’État américain. Sa première prestation publique du rôle d’Aïda, en version concert, a lieu en mai 1957 dans le Michigan.

En mai 1958, elle fait ses débuts européens dans ce rôle, au Staatsoper de Vienne, sous la direction de Karajan. Après le succès obtenu, Covent Garden fait appel à elle, au mois de juillet, pour remplacer [**Anita Cerquetti*] souffrante, comme les Arènes de Vérone, dans les deux cas, dans Aida. En 1959, elle retourne à Vienne dans ce même rôle et pour sa première Pamina en allemand. Malgré sa maîtrise encore imparfaite de la langue, la critique se montre favorable. Elle reprend Aida à Covent Garden, chante des scènes d’opéra de [**Richard Strauss*] à la BBC et fait ses débuts au Festival de Salzbourg dans la Missa Solemnis de Beethoven, dirigée par un Karajan qui lui permet ainsi d’élargir son répertoire.

La collaboration artistique étroite entre le chef autrichien et Price – elle cessa de chanter à Vienne quand le Maestro cessa d’y avoir des responsabilités artistiques – se traduit par les succès remportés à l’opéra (ses Donna Elvira dans Don Giovanni et Leonora d’Il Trovatore de [**Verdi*] à Salzbourg en 1962 sont restées dans les annales) ; au concert (Messe en si mineur de [**Bach*], Missa Solemnis de [**Beethoven*], Te Deum de [**Bruckner*] et Requiem de [**Verdi*] et de [**Mozart*]) et en studio d’enregistrement : un album de circonstance, A Christmas Offering (1961), les intégrales de Tosca (Decca, 1962) et de Carmen (RCA,1963). Son incarnation de Floria Tosca fit sensation, malgré l’enregistrement de [**Callas*] de 1953, resté historique ; Price y retrouvait le même Cavaradossi, celui de [**Di Stefano*], un peu tard dans la carrière du ténor. Le chef offre à son interprète un écrin orchestral fabuleux. Si elle a chanté l’opéra de [**Puccini*] à différentes occasions, en revanche, elle n’abordera l’héroïne de[** Bizet*] qu’au disque. L’étendue de la voix de Price et son timbre sombre convenaient au rôle, mais elle ne voulut pas l’aborder à la scène. De même, elle refusera au Maestro de chanter la Salomé de [**Richard Strauss*], comme il le lui proposait. Il faut saluer cette prudence de la chanteuse qui lui permettra d’éviter de graves erreurs et de garder longtemps son intégrité vocale.

Remarquons qu’à cette époque, Price multiplia les « premières » en se produisant dans des lieux qui n’avaient jamais accueilli, dans un rôle de premier plan, un chanteur noir : après l’Autriche, elle sera, en 1960, la première interprète de couleur à chanter le rôle d’Aïda à la Scala de Milan, temple de l’opéra italien. Reconnue par les plus grandes institutions lyriques européennes, elle ne s’était toujours pas produite au Metropolitan Opera. Pourtant, son directeur, [**Rudolf Bing*], qui l’avait entendue à Vienne en 1958, l’avait aussitôt invitée à y venir chanter Aida. Rien d’étonnant de la part de celui qui avait été le premier à braver l’interdit qui bannissait les Noirs de la première scène américaine pour les rôles de premier plan, en confiant à [**Marian Anderson*], le 7 janvier 1955, le rôle d’Ulrica dans Un ballo in maschera de [**Verdi*]. Mais, bien que dramatiquement important, le personnage n’intervient qu’au second acte et le contralto, pourtant nommée membre permanente de la troupe, n’assura que cinq représentations. La proposition faite à Price avait donc encore une haute valeur symbolique.

Malgré son désir, et sur les conseils de ses amis, la cantatrice refusa l’offre. [**Peter Herman Adler*], directeur musical du NBC Opera, déclara que la soprano, destinée à devenir une grande artiste, devait faire ses débuts au Met « comme une Dame et non comme une esclave ». Le risque était grand pour elle, en effet, d’être réduite au statut de la chanteuse noire spécialiste du rôle d’Aïda dans lequel, comme elle le disait, « sa peau lui servait de costume ».


C’est seulement le 27 janvier 1961 que Leontyce Price, désormais membre du Met, fit ses débuts dans Il trovatore, aux côtés de [**Franco Corelli*] dont c’était aussi une première dans ces lieux. L’enjeu était grand pour les deux artistes. Une ovation finale de 42 minutes, l’une des plus longues de l’histoire du Met, salua la prestation de la cantatrice. Elle devait déclarer : « J’avais l’impression d’être dans ma maison, c’était la première fois de ma vie que je ressentais cette approbation totale. » Le critique du New York Times, [**Harold C. Schonberg*], salua outre « la voix chaude et pulpeuse » de la chanteuse, ses compétences d’actrice, en ajoutant qu’« aucune soprano ne fait une carrière d’actrice. La voix est ce qui compte et la voix est ce que possède Mlle Price. » [**Corelli*], furieux d’avoir été éclipsé par sa partenaire, refusa de sortir de sa loge le jour suivant et déclara à Bing qu’il ne chanterait jamais plus avec elle. Cependant, Price et Corelli se retrouvèrent souvent au cours des douze années suivantes, au Met, à Vienne et à Salzbourg. Quand on demanda à la soprano ce qu’elle pensait de son partenaire, elle répondit malicieusement : « Je l’aime beaucoup. Il a des cuisses magnifiques. » Allusion à l’habitude du ténor, surnommé « les Cuisses d’or », de s’exhiber dans des costumes qui mettaient en valeur cette partie de sa personne.
Plus sérieusement, l’arrivée de Price au Met, après la première prestation de Marian Anderson en 1955, est considérée comme une date marquante du combat pour les droits civiques. Car Leontyne est la première cantatrice noire à être acclamée à l’étranger comme en Amérique, dans des rôles de premier plan. Quand elle arrive au Met, elle a 34 ans et un statut de diva déjà acquis, qu’elle conforte en enchaînant sept rôles pendant ses deux premières saisons. En reconnaissance de ce parcours extraordinaire, Time magazine lui consacre sa couverture en mars 61, faveur encore exceptionnelle pour une artiste noire. À l’automne, les critiques de musique américains la nomment « Musicien de l’Année » et elle a fait la couverture de «Musical America. »

Outre ses rôles emblématiques d’Aïda, de Tosca, de la Leonora du Trouvère, elle aborde la Minnie de La fanciulla del West (qu’elle abandonnera assez rapidement après une extinction de voix qui l’obligera à s’arrêter quelques mois pour cause d’épuisement nerveux) ; Madame Butterfly de Puccini, Donna Anna dans Don Giovanni, Fiordiligi dans Cosi fan tutte, Pamina de La Flûte enchantée. Elle ajoutera plus tard la Leonora de La Force du destin, l’Elvira d’Ernani, l’Amelia d’Un bal masqué de [**Verdi*] et, plus rare la Tatiana d’Eugène Onéguine de [**Tchaïkovski*]. Elle est la première chanteuse noire à revenir au Met dans de multiples premiers rôles, à participer à une tournée du Met dans un état du Sud, à Dallas, comme elle sera, en 1964, la première à obtenir les cachets les plus élevés au Met, à égalité avec les plus grandes cantatrices de son époque, Joan Sutherland, Maria Callas et Renata Tebaldi. Seule les dépassait [**Birgit Nilsson*] titulaire de rôles italiens et wagnériens.|center>

L’institution consacre la notoriété de Price en la choisissant pour l’inauguration de la nouvelle salle du Met, construite au Lincoln Center, en remplacement de l’ancienne qui se trouvait sur Broadway, démolie en 1966. Samuel Barber compose, pour l’événement, un opéra, Antony and Cleopatra, d’après la pièce de Shakespeare, spécialement conçu pour la voix de la cantatrice qui incarne l’héroïne. Ils collaborent étroitement pendant les deux années précédant la création. La direction d’orchestre est confiée à [**Thomas Schippers*], proche des deux artistes.

Hélas, le succès escompté ne fut pas au rendez-vous, le 16 septembre 1966, lors de l’inauguration de la nouvelle salle, même si la prestation de Price, notamment dans la scène finale de la mort, fut appréciée. La faute fut imputée au metteur en scène et auteur du livret, [**Franco Zeffirelli*], dont l’outrance dans la conception des décors et des costumes donna lieu à de multiples incidents techniques. Barber révisa la partition avec l’aide de son ami [**Gian Carlo Menotti*] et l’œuvre fut reprise en 1975 (Juilliard School), en 1980 (version concert au Théâtre des Champs-Élysées à Paris), 1983 (Festival dei Due Mondi de Spoleto, en 1991 (Opéra de Chicago). Leontyne Price ne put jamais rechanter cet opéra comme elle le désirait. La première au Lincoln Center, captée sur le vif, a été publiée en 2016, dans la collection « The Metropolitan Opera » dans un coffret consacré à l’année inaugurale du nouveau Met. La collaboration de Price avec Barber se poursuivit avec la création, en 1969, d’un cycle de chants que le compositeur lui a dédié, Despite and Still.

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À partir des années 1970-1980, [**Leontyne Price*] s’éloigne peu à peu de la scène, tout en ajoutant trois nouveaux rôles à son répertoire : Giorgetta du Tabarro (RCA a publié un enregistrement avec [**Plácido Domingo*]) ; Manon Lescaut de [**Puccini*] ; le rôle-titre d’Ariane à Naxos de [**Richard Strauss*]. En 1977, elle revient au Festival de Salzbourg pour Le Trouvère dirigé par [**Herbert von Karajan,*] où elle retrouve son triomphe de 1962. En 1982, elle remplace au pied levé [**Margaret Price*] dans Aïda, à l’opéra de San Francisco. Elle aurait exigé d’être payée un dollar de plus que son partenaire, [**Luciano Pavarotti*], ce qui faisait d’elle la chanteuse la mieux payée au monde. En 1985, après s’être produite 201 fois en 24 ans, au Met ou en tournée avec la compagnie de l’opéra, dans 16 rôles différents, Leontyne Price fit ses adieux à la scène, dans cette salle qu’elle avait inauguré presque 20 ans auparavant. Ce fut dans son rôle fétiche d’Aïda, prestation retransmise à la télévision dans tout le pays. On peut y voir, après l’air du Nil, la chanteuse recevoir les ovations délirantes de la salle, le visage marmoréen pendant de longues minutes avant qu’il ne se crispe comme pour réprimer un sanglot et que ses yeux s’emplissent de larmes. Le Time Magazine décrivit cette performance vocale comme étonnante et prouvant qu’elle pouvait encore atteindre sa forme maximale. En 2007, sa prestation dans « O patria mia » fut élue No 1, en 30 ans, des « Great Moments » des « Directs télévisés du Met ».


La cantatrice avait déjà recentré sa carrière sur le récital, offrant des programmes mêlant mélodies françaises, lieder allemands, negro spirituals, arias d’opéra, et chants américains. Elle donne beaucoup de galas gratuits ou verse les recettes à des associations caritatives et éducatives, notamment dans sa ville natale. Elle enseigne également à la Juilliard School et dans d’autres écoles plus modestes. En 1997, à la suggestion de la RCA-BMG, elle écrit un livre pour enfants sur Aida, qui inspirera une comédie musicale à [**Elton John*] et [**Tim Rice*], créée à Broadway en 2000.
Elle réapparaît sur scène lors d’événements festifs comme le Gala du Centenaire du Metropolitan Opera, en 1983, qu’elle a l’honneur de clôturer par un duo du Ballo in maschera avec[** Luciano Pavarotti*], après un marathon de huit heures où défilèrent tous les grands chanteurs du monde. En 1991, elle participe au Gala du Centenaire du Carnegie Hall pour chanter un air de La Helena Egipcia de [**Richard Strauss*], Zweite Braunacht.

Tout au long de sa carrière, les enregistrements de Price lui ont valu de nombreux honneurs et récompenses, y compris plus d’une douzaine de Grammy Awards. Elle reçoit ces marques de notoriété avec une modestie qui ne l’a jamais quittée, tout en ayant conscience de la répercussion de sa célébrité sur la carrière des artistes noirs, notamment des femmes qui feront des carrières internationales après elle comme [**Martina Arroyo, Shirley Verret, Grace Bumbry, Jessye Norman*] ou [**Kathleen Battle*]. Price le dit clairement : « J’ai été une pionnière qui a fait sauter des barrières, une pionnière noire au royaume du grand opéra. Je n’ai jamais perdu de vue cet aspect. C’est ce qui m’a donné l’énergie nécessaire. Être une pionnière n’est pas une charge, mais un défi qui a fait sortir le meilleur de moi-même. »

De ce point de vue, elle a eu un rôle civique, sans l’avoir recherché mais en l’assumant pleinement quand les politiques ont fait appel à elle. Le 20 janvier 1961, [**Marian Anderson*] avait interprété l’hymne national américain lors de l’investiture du Président [**John Fitzgerald Kennedy*]. C’est [**Leontyne Price*] qui, en mars 1964, après l’assassinat de ce dernier, lors d’un hommage national en son honneur, chantera le « Libera me » du Requiem de [**Verdi.*] On fit également appel à elle pour l’investiture (1965) et les obsèques du Président [**Lyndon Johnson*] (1973). Le Président [**Jimmy Carter*] l’invita pour un récital à la Maison Blanche en 1978, retransmis par les télévisions nationales. Elle revint, la même année, chanter à un dîner d’état, après la signature des Accords de Camp David et pour la visite du Pape [**Jean-Paul II*] en 1979. Le moment le plus émouvant fut la cérémonie organisée au Carnegie Hall, après les attentats du 11 septembre 2001. Elle a alors 74 ans. La salle se lève et l’applaudit longuement à son entrée, avant qu’elle n’entame son spiritual fétiche, This Little Light of Mine, accompagnée au piano par le chef d’orchestre [**James Levine*]. La voix tremble un peu mais ne faillit pas dans une note aiguë finale impeccable. Elle enchaîne, a cappela, sur God Bless america, sorte de second hymne national américain. Jamais mieux que ce jour-là ne s’est vérifié le sentiment d’un critique américain affirmant : « J’ai toujours cru que si la statue de la Liberté se mettait soudain à chanter, elle aurait la voix de Leontyne Price. »|right>


Devenue un symbole civique, Price refuse la qualification d’Afro-Américaine, assumant celle d’Américaine, y compris avec la connotation chauvine que peuvent suggérer les récitals de chants patriotiques qu’elle a enregistrés. Elle n’a jamais eu, quoique proche de [**Martin Luther King*], une action militante vindicative. Sa position se résume par cette injonction : « Si vous vous pensez noir, pensez-le de façon positive. Ne le pensez pas de façon négative ou alors demandez-vous si cela vous convient. Et si c’est votre conviction, quand vous voudrez le dire, dites que le noir est beau, tout le monde doit vous l’entendre dire. » En 2014, un livre pour enfants, très bien illustré, Leontyne Price, voice of a century, a paru : récit à la façon d’une success story comme les aiment les Américains.
Mais c’est avant tout la soprano, interprète exceptionnelle de Verdi dont elle a laissé des enregistrements exemplaires (officiels et pris sur le vif), qui importe ici : Aida (dir.[** G. Solti*], Decca, 1962 ; [**E. Leinsdorf*], RCA, 1970) ; Il trovatore (Leonora), (dir. [**A. Basile*], RCA, 1959 ; [**H. von Karajan*], live du festival de Salzbourg, Deutsche Grammophon, 1962 ; [**Zubin Mehta*], RCA, 1970 ; de nouveau sous la direction de [**Karajan*] pour EMI en 19777 avec le Berliner Philharmoniker ; La forza del destino (dir.[** T. Schippers*], RCA, 1964) ; Requiem (dir. [**F. Reiner*], Decca, 1960 ; [**G. Solti*], RCA, 1977) ; Un ballo in maschera ([**E. Leinsdorf*], RCA, 1966) ; Ernani (dir. [**T. Schippers*], RCA, 1967). Sony a repris en trois coffrets les intégrales d’opéra (2016), les récitals d’opéra, l’ensemble des mélodies et des spirituals (2011), enregistrés chez RCA.

Ses collègues, tous sensibles à son esprit de camaraderie, ont été les premiers à rendre hommage au pouvoir émotionnel et sensuel de sa voix. Ainsi, [**Plácido Domingo*] affirme qu’elle est la plus belle soprano verdienne du XXe siècle qu’il a entendue et le chef d’orchestre [**Solti*] insistait également sur le pouvoir attractif de son timbre. La cantatrice fait elle-même cet aveu étonnant : « J’étais folle de ma voix. Elle était splendide. Je l’aimais tellement que de temps en temps je sortais l’un de mes plus beaux verres en cristal, sirotais un peu de champagne et lui portais un toast. »

Ajoutons ce jeu de mot d’un journaliste américain sur son nom : « Leontyne, Pearl of great Price ». Tout est dit.

Danielle Pister |right>


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WUKALI 23/09/2017

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