Voici un livre savant, Le Cercle des études byzantines, qui est parfaitement résumé dans son sous-titre : Comment bibliothécaires, savants et voyageurs inventèrent Byzance (XVI-XIX siècle). Voilà, tout est dit, strictement dit, juste et parfait.
Anne-Marie Cheny, maitresse de conférence en histoire moderne, université de Rouen Normandie, spécialiste de l’œuvre de Charles Fabri de Peiresc (1580-1637), et chercheuse en études byzantines, nous montre dans ce livre clair, à partir de l’étude de bien des bibliothèques et de « papiers », comment, progressivement, des savants, des amateurs, des bibliothécaires ont tissé des liens entre eux, ont réfléchi, analysé une documentation de plus en plus importante pour non point créer, mais démontrer la spécificité de Byzance.
Il y a un domaine de recherche qui parait être évident à tout un chacun, du moins à notre époque, évidence que nous pouvons presque dater : 1899 avec la création d’une chaire d’histoire byzantine au Collège de France occupée par Charles Diehl, enfin quand on est français, car la première chaire d’histoire byzantine date de 1897 en Allemagne à l’université de Münster.
Pourquoi si tard ? Tout simplement parce que les spécificités autour de la langue, de l’histoire, de l’art, de la civilisation de l’Empire Romain d’Orient (qui dure quand même plus d’un millénaire de 330 à 1453), n’étaient pas perçues comme pouvant avoir une autonomie. On parlait et on écrivait en grec, donc Byzance doit être rattachée à la civilisation grecque (même si la langue avait quelque peu évolué depuis Platon ou Aristote). Et puis, avec Constantin, Byzance n’est que le prolongement vers l’est de la civilisation romaine. Et ce n’est pas parce qu’il y a un schisme que cette civilisation n’en fait pas moins partie de la chrétienté prise dans sa globalité. D’ailleurs bien des Pères de l’Eglise catholique proviennent de ces régions.
Il y a un réveil au XVèsiècle, dû en grande partie, par la chute de Constantinople en 1453 : un désir de trouver une partie des racines chrétiennes mises à mal avec l’avancée des Ottomans. Et puis un afflux de « savants », d’ »intellectuels » en Occident arrivant non seulement avec leurs savoirs, mais aussi avec des documents inconnus des occidentaux. S’ensuit un intérêt nouveau pour ce qui s’est passé dans ce qui était encore l’Empire Romain d’Occident, une recherche effrénée de documents inédits, parfois achetés à prix d’or, leurs études et leurs publications. Parmi ces chercheurs, quelques figurent dominent comme celle de Hieronymus Wolf, financé par les banquiers Fugger von der Lilie, et qui est le premier à parler d’histoire de Byzance, et surtout le magistrat aixois Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, un touche à tout, spécialiste des poids et mesures romaines, ami de Rubens au demeurant, et l’un des premiers à avoir une lunette astronomique dans le royaume de France, et surtout grand spécialiste européen de Byzance. Même si elle fut publiée après sa mort, la Byzantine du Louvre (édition des manuscrits byzantins disponibles), doit beaucoup à son action.
Jusqu’au XVIIIè siècle, même s’il n’y a pas une vraie autonomie des études byzantines, elles avaient, au-delà de la recherche du corpus théologique sur les bases du christianisme, un but politique : le roi de France revendiquait des droits pour porter le titre d’Empereur d’Orient et roi de Jérusalem.
Au XVIIIè siècle, comme le montrent Montesquieu ou Condorcet, avec les Lumières, Byzance devient une sorte de repoussoir, symbole de décadence, préférant se déchirer sur le sexe des anges alors que les Ottomans assiégeaient Constantinople. Puis, quand furent abandonnées en quelque sorte toutes les arrière-pensées idéologiques, les études byzantines sont devenues un sujet d’étude autonomes.
Le cercle des byzantinistes
Anne-Marie Cheny
Préface de Marie-France Auzépy.
éditions Les Belles Lettres. 26€
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Illustration de l’entête: Fresque de Benozzo Gozzoli (d. 1497)—à gauche le philosophe néo-platonicen Georgios Gemistos-Pletho, chapelle des Mages du Palais Médicis-Riccardi,, Florence.