Vous connaissez tous les chroniques de Pétra, de Pétra Wauters, dans WUKALI, de tous ces événements artistiques, expositions de peinture, relations de concerts des festivals dont elle se fait la critique sensible. Pétra a un ton, une sensibilité, une fragilité, elle a surtout une âme et un coeur gros comme ça et cela se sent, se ressent, se lit tout à travers ses recensions qu’elle offre aux lecteurs. N’avez-vous jamais lu par exemple sa manière d’écrire et de parler des concerts et récitals auxquels elle assiste, de musique, du jeu des musiciens, de l’émotion (oui de l’émotion qu’elle ressent !), elle est authentique et avec simplicité rend compte de cet égrégore ( ou pas !) qui parfois s’exprime lors des concerts.
Pétra, c’est une artiste dans l’âme et Pétra est peintre, ce que vous savez peut-être moins, elle enseigne aussi son art, celui de l’aquarelle, un art à la technique si fugace et exigeante où le moindre coup de pinceau, plus ou moins chargé d’eau, c’est Austerlitz ou Waterloo ! Sa générosité et son talent, pardon, ses talents, elle les partage dans un livre qu’elle vient de publier aux éditions Ulisse (sans Y) Regards croisés sur l’aquarelle.
Pétra Wauters est aussi auteur et pédagogue, et son précédent ouvrage: Ma méthode d’aquarelle, jusqu’au bout du pinceau publié en 2021 a connu un grand succès et est devenu une référence, vous le trouverez dans toutes les bonnes librairies. Pour qui connait l’aquarelle, c’est bel et bien plus qu’une simple technique, c’est presqu’une ascèse, de cette forme d’art qui par sa simplicité apparente vous emmène vers des régions du rêve que seuls les plus grands savent maîtriser, une sonate de Vinteuil en quelque sorte.
C’est cette fois à un voyage autour du monde, multi soleils et hexagonal aussi, que Pétra nous convie, un voyage aquarellé pour le moins, où sont invités ses amis artistes et aquarellistes, le péruvien Oscar Cuadros, la Bretonne d’adoption Catherine Rey, l’Indien Vikas Vianayak Patnekak, celui qu’elle appelle «le croquineur» Jean-Paul Schifrine, l’Argentin Alejandro Fidelio, Helen Barenton la Rémoise et bien sûr Pétra Wauters elle même ! Des manières de peindre différentes, d’appréhender le sujet, de dialoguer avec le papier et la matière pigmentée, et un voyage aussi séquencé dans la maîtrise de la technique où nous voyons s’élaborer pas à pas la construction de l’aquarelle jusqu’à son aboutissement final.
Ainsi avec Oscar Cuadros, certes nous voici au Pérou et nous découvrons au travers d’une aquarelle un marché andin avec ses potiers vendant leurs jarres sous les auspices probables de la Pachamama. Plus encore nous découvrons un artiste qui rend compte de cette lumière et de cette chaleur écrasante sur les villages des campagnes, il n’y a nulle trace d’exotisme pictural mais un métier puissant et abouti, ou bien un canari, le mur d’une ferme(P 25), une matière ( mais peut-on parler de matière quand on traite de l’aquarelle?) qui fait étrangement penser à la peinture anglaise (les maîtres de l’aquarelle). Pétra wauters explique pas à pas les différentes phases d’élaboration de l’oeuvre et c’est bel et bien là que réside tout l’intérêt de ce livre, cette propédeutique de l’oeil et de la main et de cette magie, cette complicité entre l’artiste et son double, qui lentement concourent à la réalisation d’une oeuvre d’art.
Avec Catherine Rey, nous découvrons des colliers de perles, un pot de confiture, des montres comme sorties d’une compression de César, des boutons, des pots de peinture, un tracteur et une 2cv Citroën, et des fleurs bien entendu, violettes, roses ou hortensias. Pétra y interview l’artiste, ainsi le lecteur (vous, moi,) se sensibilise peu à peu avec l’exigence technique et sa part du rêve. Dans l’aquarelle «rien n’est figé, tout est vivant» nous confie-t-elle. La technique dans ses détails les plus concrets est toujours là elle s’intéresse par exemple aux marques de papier et au grammage et c’est bel et bien essentiel pour qui connait l’aquarelle.
En compagnie de Vikas Vinayak Patnekar, nous voici arrivés en Inde. Vinayak est un vieux prénom sanscrit qui est souvent utilisé en épithète pour désigner le dieu Ganesh, dieu de l’intelligence et de la sagesse. Pétra Wauters nous fait pénétrer dans l’univers de cet artiste indien mondialement renommé et l’interroge sur son parcours. Les aquarelles rendent compte de cette nature de jardin d’Eden de la péninsule, zébus attelés à un chariot arrêtés sur une plaine inondée (p47), une peinture liquide, moirée, très impressionnante, un scintillement presque sonore en correspondances orchestrées.Ses aquarelles de nature sont des chefs d’oeuvre de technique. Ces blancs de réserve que j’affectionne tant ! On oublie la technique et l’on est porté par la beauté du paysage représenté. Un vol d’oiseaux au-dessus d’un marais (P52 et 53) nous fait comme entendre le battement des ailes et les criaillements des volatiles. La peinture est très élaborée et les blancs travaillés. Variation des représentations, Matisse, Braque, Escher, Internationale des artistes !
Avec Jean-Paul Schifrine, nous découvrons un univers tout à la fois onirique, de fantaisie, mystérieux et joyeux. Certaines aquarelles font étrangement penser à des maquettes pour des décors de théâtre ou d’Opéras, voire à Victor Hugo ( Retour au port p 61). Une série de huit photographies, nous présente les différentes phases de l’élaboration d’une aquarelle (P 70 et 71 et P72 et 73, Rue à Rouen), les couleurs sont posées peu à peu et dans un ordre serré, les détails ensuite. Le matériel nécessaire est indiqué, le tracé à l’encre préalable, le dessinateur, l’aquarelliste se fait architecte. Comme toujours dans ce livre intelligent, Pétra Wauters va jusqu’au bout du détail en donnant des informations sur les choix des couleurs comme des marques
Voici l’Argentine avec Alejandro Fidelio. Avouons que s’appeler Fidelio dans ce grand pays d’Amérique du Sud, c’est un peu comme une provocation ! Ah l’Argentine elle connait bien Pétra, elle y a d’ailleurs vécu. Encore un long entretien où Pétra Wauters questionne le peintre, sa vie, son oeuvre, ses préférences techniques, son matériel préféré, un vade-mecum tout à fait utile. S’en suivent de nombreuses représentations de ces paysages urbains, de Buenos Aires la capitale et bien sûr de cette nature et de ces paysages si variés du sud de la Pampa en remontant jusqu’aux chutes d’Iguaçu. Mais plus encore qu’un beau livre ( et ça serait déjà en soi très bien) le lecteur trouve toutes les recommandations techniques et pratiques pour la réalisation des aquarelles ce qui est très utile bien évidemment !
Les aquarelles d‘Helen Barenton sont pétillantes, jeux de mots facile dès lors qu’on sait que l’artiste est rémoise ! Le chapitre comme les précédents commence par une interview de l’aquarelliste dont on découvre qu’elle est peintre de la cause animale, ainsi des poulains, un chien du nom de Roméo plus vrai que nature et un éléphanteau tout juste sorti de Daktari (P 94 et 95). Son oeuvre picturale est riche, talentueuse et variée, une superbe représentation de la cathédrale de Reims. Hélène Barenton est aussi une grande portraitiste, et l’on découvre selon la méthodologie choisie par Pétra Wauters, les différentes phases de réalisation de Miss Charleston, une aquarelle de 31/41 cm (P97, 98, 99). Toutes les indications sont fournies, une palette à cinq couleurs, le choix du pinceau en fonction du détail à traiter, le placement si important des ombres.
Voici donc le compagnonnage généreux et sensible de Pétra Wauters, le dernier chapitre et c’est bien naturel est consacré à sa propre création et divisé en quatre thématiques: Neige, Fleurs, Bastide, route de Pinchinats près d’Aix-en-Provence, et Moulin du château de Sannes.
Dans un précédent article que j’avais rédigé sur l’œuvre de Pétra Wauters, j’avais écrit: «On dit de la peinture chinoise qu’elle est une esthétique de la philosophie, il en va de même de l’art de la calligraphie et des idéogrammes. Ainsi, c’est un peu la démarche de Pétra Wauters dans son livre, et les conseils pratiques, les choix techniques, les petits trucs qu’elle prodigue à l’amateur* d’aquarelle et qui cherche à s’exprimer dans cet art, s’apparentent souvent à des conseils de vie, une éthique par exemple: « Vous observerez où sont les ombres avant de les poser et, en trois coups de pinceau, vous verrez que votre aquarelle prendra vie. Essayez de garder à l’esprit cet adage: « En aquarelle, le peu fait le mieux ».
Le ciel gris d’ardoise de Sainte-Victoire sous la pluie de Pétra, c’est un Turner provençal, quant au Hameau dans la neige dont on découvre les différentes étapes ( de P106 à 112) de réalisation sur de nombreuses pages, c’est une leçon en soi de peinture toute à la fois précise, technique, n’oubliant en rien les moindres conseils et détails pratiques, une leçon exigeante, un cheminement sensible vers le plaisir et la joie du travail bien fait.
Ce livre Regards croisés sur l’aquarelle, c’est aussi une méthode qui apporte une aide considérable pour tout un chacun qui désire se perfectionner dans cet art exigeant et fournit étape après étape le mode d’emploi; la temporalité créatrice de l’oeuvre à faire, ainsi qu’une foultitude de conseils et de détails techniques et pratiques indispensables pour progresser.
Regard croisés sur l’aquarelle
Pétra Wauters
éditions Ulisse. 29€
Au sujet de l’art de l’aquarelle, lire aussi dans WUKALI :
Pétra Wauters et le plaisir de l’aquarelle
Pétra Wauters, aquarelliste et maître d’atelier
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