Amoureux de l’Italie et des Italiens, l’on reconnait là notre académicien Dominique Fernandez. Mais il n’est pas le seul et dans le temps court, cette passion vibrionnante et sensible est partagée par des hommes de plume, des hommes de coeur tels Jean-Paul Kauffmann ou Marc Alyn.
L’envie de voyager revient, surprend de nouveau, taquine nos cerveaux déconfinés et finalement, impatients, décidés, on y va ! Mais où ? Pourquoi pas en Italie si proche, si facilement accessible. Ce n’est pas très loin, c’est même à côté, les Italiens sont nos voisins, une seule frontière ou au pire deux et on y est. Oui, mais il est de bon ton d’éviter les endroits vus et revus, à la télé, dans les guides ou sur les photos des copains.
Alors il faut lire, après Venise à double tour qui nous a fait découvrir presque toutes les églises fermées de la Sérénissime avec Jean-Paul Kauffmann, L’Italie buissonnière avec Dominique Fernandez qui n’est pas n’importe qui.
Académicien, grand connaisseur de la péninsule, il vient de publier voilà peu cette sorte de guide, de road-book, qui nous emmène du sud de l’Italie en Sicile jusqu’à Venise avec pour ambition de nous faire découvrir des lieux et des chefs-d’œuvre méconnus, négligés ou connus des seuls initiés.
Contrairement aux habitudes c’est donc en remontant vers le nord que le voyage s’effectue. Et il commence par une véritable découverte, une authentique surprise dans la ville de Gibellina, à 70km au sud-ouest de Palerme, en plein milieu de la campagne sicilienne.
La ville, totalement détruite lors du tremblement de terre de 1968 a été reconstruite une dizaine de kilomètres plus loin. Alberto Burri, artiste italien du siècle dernier, sollicité par un notable local, a recouvert la cité détruite « d’une couche de ciment chaulé d’un mètre cinquante de hauteur ; des couloirs percés dans cette masse reproduisent le tracé des rues anciennes ». L’étonnement de l’auteur qui découvre cette œuvre quasi abandonnée au bout d’une route qu’il nous dit quasi impraticable, nous fait de suite comprendre que le voyage ne sera pas banal.
On quitte ensuite la Sicile, on passe par la Calabre et l’Apulie dans le talon de la botte, et on remonte vers la Campanie.
Un formidable luxe de détails sur les origines, l’environnement et l’histoire de toutes les œuvres rencontrées nous est expliqué par Dominique Fernandez.
De ce fait, il nous apprend à regarder, à comprendre ce que l’artiste a voulu montrer. Certes son regard est tout à fait particulier, c’est celui d’un écrivain, d’un érudit qui cite de multiples références mais, bonne surprise, il n’est jamais ni ennuyeux ni pédant.
Deux réserves toutefois. Au début de chaque chapitre, une photo nous fait voir ce qu’il commente mais la photo est en noir et blanc. Une photo, c’est bien, c’est mieux que rien, on aurait quand même souhaité plusieurs photos avec plusieurs angles de vues. Et si possible, mais pas forcément tout le temps, la couleur aurait été la bienvenue. Ces photos sont dues pour la plupart à son compagnon Ferrante Ferranti.
Dominique Fernandez revendique son homosexualité et ses commentaires concernant les sexes masculins qu’il examine voire cherche, finissent par être pesants. Le chapitre « Le temple du nu » dans lequel il nous présente l’Académie des beaux-arts de Carrare avec une énorme quantité de sculptures d’hommes nus, en est l’exemple le plus frappant. Bien qu’il se défende d’être obnubilé par Saint Sébastien, souvent présenté comme représentant de la communauté homosexuelle, il affirme dans l’avant-propos que les historiens se sont montrés trop prudes voire benêts devant des œuvres dont il ne manquera pas de nous révéler le message caché. Ce qu’il fait effectivement.
Notre académicien nous fait donc visiter des œuvres isolées mais de temps en temps un commentaire sur une ville lui échappe. Et il n’est pas dénué d’humour. Comme à Naples où le génie est « rapide, volage, fugace » et où « un brin de persil peut être planté dans une narine de veau avec tant d’imagination inventive qu’une nature morte peinte, en comparaison, semble en effet sans vie ». Ou sur l’Italie « un pays qui aime trop bouger et gesticuler », trait que les Français aiment bien souligner chez les Italiens. Il n’en demeure pas moins que Dominique Fernandez est un passionné, pour ne pas dire un amoureux de l’Italie comme en témoignent tous les livres qu’il lui a consacrée, ne serait-ce que son Dictionnaire amoureux de l’Italie.
On est parfois stupéfait par les endroits dans lesquels il nous fait rentrer comme dans l’église Santissima Annunziata à Florence où, avec la complicité d’un moine jovial, il nous fait pénétrer dans des chapelles jamais citées dans les guides et où le public n’est normalement pas admis. Comment et où a-t-il eu connaissance de tous ces tableaux inconnus ? Mystère, il ne nous l’explique pas mais on devine que son immense culture lui a fait rencontrer ces chefs d’œuvre depuis bien longtemps.
D’autres fois, mais plus rarement, les peintres sont plus connus. Comme avec Antonello de Messine et son Portrait d’un inconnu qui lui donne l’occasion de s’écarter de la trop fameuse cathédrale de Monreale pour nous emmener à Cefalù dans une autre cathédrale également pourvue de mosaïques byzantines et surtout dans le musée situé juste à côté dans un petit palais.
Et c’est avec un académique brio qu’il évoque toutes les hypothèses sur le nom et le métier de cet homme dont l’identité est restée inconnue jusqu’à nos jours. L’examen du sourire du personnage est l’occasion d’élaborer toutes les hypothèses possibles et d‘évoquer bien des personnages de roman qui pourraient correspondre à ce visage. Piero della Francesca, Le Caravage et le Plongeur de Paestum font aussi partie du voyage qui se termine à Venise non sans avoir visité quelques lieux totalement improbables à Rome.
Nous voilà arrivés à Venise et nous allons laisser là notre académicien pour rejoindre un autre écrivain, passionné lui aussi de Venise, Marc Alyn. Auteur de plus de vingt recueils de poésie et autant de romans, il a publié en 2005 Le piéton de Venise, qui a été réédité depuis en poche en 2011.
Il connait l’histoire et les histoires de la Sérénissime qu’il fréquente depuis longtemps et va nous accompagner à pied dans cette cité qui a, nous dit-il « toujours su dissimuler sa nature inflexible sous le drapé de l’élégance » et où « l’artifice a été élevé au rang de grand art ».
Ecrit il y a quinze ans, ce livre critique déjà vertement le tourisme de masse dont l’explosion a depuis fait fuir encore plus de Vénitiens vers la terre ferme et fait perdre à Venise ses habitants, ce qui n’est pas sans conséquence sur l’atmosphère de la ville.
Mais suivons le dans cette promenade au fil des ruelles, impasses et places ou au bord de la lagune. Il nous fait parcourir la place Saint Marc la nuit pour nous en révéler tous les charmes cachés, nous fait visiter les prisons de Piranèse dans des dessins sans fins et nous fait comprendre que la Kaballe a peut-être une origine dans le ghetto et que l’imprimerie puis le travail du papier, fameux à Venise mais aujourd’hui battu en brèche par le papier venu de Florence, en découle.
Venise est issue d’un mélange d’ésotérisme et d’alchimie, d’un mélange de cultures. Elle est le fruit de ses nombreux contacts avec l’Orient qui ici, se mêlent à l’Occident. La basilique Saint Marc en est le plus éclatant exemple. Ville bien connue pour son culte de l’amour qu’il soit tarifé ou non, Venise est aussi la ville de Casanova qui a cultivé la diplomatie et l’art de la séduction au plus haut point. Il reste l’un des symboles de la Sérénissime.
La gastronomie avec le café ou les épices venues d’Orient ne sont pas à négliger, Marc Alyn nous recommande aussi la Cantina Do Mori mais il faudra vérifier si l’adresse mérite encore les éloges qu’il lui a adressées il y a plus de quinze ans.
Torcello, île perdue au fond de la lagune au-delà de Burano, mérite une attention toute particulière avec l’église de Santa Maria Assunta et ses mosaïques, véritables chefs d’œuvre trop souvent ignorés et négligés mais que notre auteur apprécie autant sinon plus que les célèbres mosaïques de la basilique saint Marc.
Marc Alyn enchaine ensuite avec un chapitre intitulé sept voyageurs transfigurés dans lequel il nous raconte les séjours et rapports de sept illustres personnages avec Venise où ils ont pu pousser leurs talents jusqu’au point de rupture ou juste avant que la chute ne survienne.
On y retrouve le poète italien D’Annunzio qui fait souffrir dans des amours compliqués et sans fin sa maîtresse la Duse, célèbre actrice de son époque. Brodsky, douloureux poète russe banni de l’URSS et nobélisé en 1987. Wagner qui y compose quelques un de ses chefs d’œuvres. Le poète anglais Byron aux amours tout aussi compliqués. Le faux baron Corvo, anglais et écrivain ingérable. De même avec Hugo Pratt avec son personnage fétiche le vénitien Corto Maltese, l’homme à la casquette et à l’élégance vestimentaire autant que morale.
Enfin Ezra Pound, poète américain porte-parole du fascisme et récupéré de nos jours par l’extrême-droite notamment en Italie mais poète célébrant Venise sous un jour original et complet.
L’histoire et la complexité intrinsèque du tarot vénitien avec toutes ses arcanes ferment ce livre et cette promenade dans Venise dont l’auteur nous dit que « tous ceux qui pensent de travers et parlent avec les morts, ne peuvent manquer de jeter l’ancre (et l’encre) en cet étrange archipel situé au cœur d’une lagune inquiète, productrice de mirages de fièvres et d’œuvres d’art ».
Voilà, les promenades sont finies. Les piétons que nous sommes et nos deux écrivains vont rentrer sagement ou non, chez eux. Il serait dommage de ne pas se mettre dans leurs pas, au moins pour quelques heures et pour profiter de leurs découvertes. Ce qui ne manquera pas de changer nos points de vue sur des endroits bien ou peu connus. Bonne promenade.
L’Italie buissonnière
Dominique Fernandez
éditions Grasset. 23€ (15€99 édition numérique)
Venise à double tour
Jean-Paul Koffmann
éditions Équateur-Littérature. 22€. 2019
Dictionnaire amoureux de l’Italie
Dominique Fernandez
éditions Plon. 2008
Le Piéton de Venise
Marc Alyn
éditions Bartillat. 2017. 12€
Illustration de l’entête : Le « Mariage de la Vierge ». Jacopo da Pontormo (1494-1557). Église Santissima Annunziata, Florence.