Le chantier du Grand Paris çà vous dit quelque chose? La création d’une gare souterraine, non ? Quelques rares lignes dans les journaux, ou à temps compté les critiques baveuses et aigries des carnassiers du pouvoir sur la touche, comme toujours en France? ( «des noms, des noms !»).
On en parle de temps en temps, mais peu d’images derrière tout cela, derrière ces gigantesques chantiers, point de matérialisation objective des travaux en cours, et pourtant quel formidable machine de développement territorial, de création d’infrastructures et d’emplois. C’est peu comme dans le poème de Théophile Gautier, Premier sourire du Printemps, décalage dans l’action.
Nous mettons en ligne cette vidéo ( 3mn en temps accéléré) réalisée par la société Grand Paris Express gestionnaire des travaux. C’est bluffant ! Il s’agit du plus grand projet urbain en Europe ! Tout bonnement magnifique, stupéfiant et formidable. Le génie civil français fait des merveilles tant en France que sur les marchés internationaux, qu’il s’agisse entre autres chantiers de celui du percement du tunnel Lyon-Milan sous les Alpes ou voila peu de temps encore la construction de la couverture titanesque de la centrale de Tchernobyl. D’autres chantiers, un très grand nombre de chantiers terrestre ou maritime même, foisonnants, exceptionnels d’ingénierie. Et qui dit génie civil dit grandes entreprises du BTP, ingénieurs, techniciens, agents de maîtrise, mais aussi industriels, architectes, bureaux d’études.
Des chantiers quelque peu métaphoriques d’ailleurs! En effet un certain nombre d’entre eux sont souterrains. Mais pourtant presque comme la Terre de Galilée, ils avancent ! Quant aux machines, les tunneliers en l’occurence qui travaillent dans l’antre de la Terre, ils ouvrent à toutes sortes d’évocations littéraires (Léviathan, dantesque, merveilles du monde…) et portent selon la tradition de Ste Barbe, des noms féminins.
La construction de la gare Villejuif-Institut Gustave Roussy
Les travaux de creusement de la gare ont commencé en juin 2018. Après avoir parcouru près de 1,3 km, le tunnelier Allison a traversé la gare sur les futurs quais du métro de la ligne 14. Un deuxième tunnelier, Amandine, creusant la ligne 15 Sud cette fois-ci, arrivera également. Cela fait un an et demi qu’une caméra enregistre quotidiennement les images du chantier.
De l’usage des médias pour diffuser une culture scientifique
Dans ce domaine, les couvertures médiatiques sont au demeurant bien lacunaires et critiquables dans le domaine de la vulgarisation scientifique ou de la mise en valeur des potentiels industriels français. De grandes émissions d’information à la télévision ( «des noms, des noms !)») font l’impasse sur cette excellence technologique, sur les sciences de l’ingénieur, ainsi que sur les travaux de notre élite scientifique dans les laboratoires de recherche (ou à défaut pour être équitable, ne leur consacrent qu’insuffisamment de place ou temps d’antenne, une présence marginale). On est bien loin de cela dans d’autres pays tant en Europe qu’aux Usa ou Japon. A titre d’exemple, dans les journaux en ligne de certains grand médias américains, il y a un onglet espace (Space). A quand en plein Prime time comme l’on dit, de grandes séries d’émission TV grand public et régulières valorisant les domaines multiples de l’industrie et de la recherche, des techniques, des arts et métiers en quelque sorte ?
Pour que percole la culture scientifique, et constituer des élites, il faut savoir diffuser l’information et la structurer subtilement en fonction des publics et des cibles visés. Il s’agit en termes simples de donner du goût pour l’étude et de susciter la curiosité, le désir d’apprendre et de progresser. Mettre en place un marketing de l’enseignement ad hoc. Cela dit, c’est quand même hélas comme « enfoncer des portes ouvertes » !
Il en est ainsi de nos sociétés qui prennent du temps pour que l’incrustation d’une pensée considérée à son émission comme révolutionnaire atteigne un stade de développement normatif avant à son tour de s’étioler et de décroître à son tour. C’est particulièrement pertinent dans le domaine du droit public et des modes de société et patent dans les courants et pensées qui traversent l’histoire de l’art. Rien de nouveau sous le soleil!
Dans un article juste mis en ligne dans WUKALI concernant le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, sa directrice madame Émilie Delorme, rapporte l’anecdote suivante : « La romancière américaine Toni Morrison raconte qu’en 2004, elle se tenait à sa fenêtre au terme d’une année chaotique. L’état du monde lui pesait tant qu’elle se trouvait comme paralysée, incapable d’écrire la moindre ligne de son prochain roman. Lorsqu’elle s’en plaignit à un ami, il lui fit cette réponse : « Nous n’avons pas le temps d’être désespérés ni de nous apitoyer, pas besoin de silence, pas de place pour la peur. Prenons la parole, écrivons, exprimons-nous. C’est ainsi que les civilisations guérissent. »
Pesanteurs françaises
A céder aux tourbillons médiatiques, on serait tenté de croire que la France est devenue depuis bien longtemps un pays de flagellants affichant une dichotomie structurelle, sociale et politique, entre le mouvement et l’immobilisme. N’est-ce point le grand Fernand Braudel qui disait « Il y avait au moins deux France, l’une maritime, vivante, souple, prise de plein fouet par l’essor économique du XVIIIe siècle, mais qui est peu liée avec l’arrière-pays, tous ses regards étant tournés vers le monde extérieur, et l’autre, continentale, terrienne, conservatrice, habituée aux horizons locaux, inconsciente des avantages économiques d’un capitalisme international. Et c’est cette seconde France qui a eu régulièrement dans les mains le pouvoir politique.» .
Alors poursuivons, rassemblons-nous, colbertiste, saint simonien, mendésiste, gaullien, pompidolien, macroniste, quelle que soit la dénomination qu’importe ( je pourrais ajouter churchillien), comme vous voulez au choix, mais volontaristes en tout cas et porteurs d’une vision d’une France actrice et maîtresse de son destin ! Deng Xiao Ping à l’autre bout du monde en Chine avait une formule très efficace: « Peu importe que le chat soit noir ou blanc, l’essentiel, c’est qu’il rapporte des souris! » ou si vous préférez en phonétique : Māo shì hēi māo háishì bái māo dōu méiyǒu guānxì, zhǔyào shi tā néng dài huí lǎoshǔ!
Il faut bien du génie politique et de la volonté pour réformer et transformer ce beau pays ! Aussi persévérons et bâtissons, pierre après pierre, réformes après réformes, chantiers après chantiers dans ce XXIème qui est le nôtre et le monument France rayonnera en pleine lumière. C’est alors que l’on entendra, mais avec un temps de retard, des « Oh, des Hé, et des Ha…! » admiratifs. « Quand on voit ce que l’on voit et que l’on entend ce que l’on entend, on ne peut pas s’empêcher de penser ce que l’on pense» n’est-ce pas, disait Coluche… Patatras !
Illustration de l’entête: le tunnelier Allison en action sur le chantier