Michel Leiris, friend of Picasso, Miró, Bacon, Giacometti, Masson and many others…


Leiris & Co, c’est une spécificité parmi les historiens d’art dont c’est le métier que d’examiner dans une optique ouverte l’œuvre d’un artiste ou un temps de l’histoire et l’exposition Leiris & Co qui fait actuellement affiche au Centre Pompidou-Metz ne déroge point à cette axe analytique.

Dire que cette exposition est riche et documentée, que Picasso, Bacon, Miro, Masson, Giacometti se déclinent ici à Metz au pluriel est d’évidence et cette abondance d’œuvres donne sens à ce projet désormais vivant qu’est l’existence même du Centre Pompidou déconcentré à Metz. C’est une exposition à 360° comme me le disait avec intelligence une charmante médiatrice culturelle, une exposition qui met à parité les œuvres, les peintures, les dessins, les sculptures avec les documents, les correspondances, les livres

Devrait-on définir Michel Leiris, il appartient à la classe anthropologique des intellectuels, une spécialité bien française, quasiment de classification zoologique et dont la traduction lexicale même n’est qu’approximative dans d’autres langues. Un intellectuel c’est à dire celui qui non seulement à capacité à faire du lien, à lire, à mettre en regard, à comparer et à analyser, qui sait aussi prendre du recul afin de dégager des lignes de force et se dégager des gangues conformistes du quotidien banal , étouffant et médiocre. Un intellectuel c est à dire celui qui sait, ou qui devrait aussi savoir d’instinct s’opposer, dire non, voire résister. Depuis l’avertissement de Julien Benda que de déconvenues cependant dans ce siècle martyrisé !

Olécio partenaire de Wukali

Michel Leiris (1901-1990), est un anthropologue, un sémiologue et précisément un ethnologue, c’est dire son attachement (ce qui est bien le moindre pour un intellectuel) pour analyser, les hommes et la société, dans leurs singularités créatrices, inclusives et plurielles. Et c’est bien évidemment au sein de ce monde de la recherche anthropologique qu’il se lie d ‘amitié avec Georges Rivière personnalité charismatique tout à la fois passionné d’ethnographie et d’art, les deux hommes se complètent et s’apprécient, chacun d’entre eux participant ainsi à ce qui deviendra plus tard en 1937 le Musée de l’homme de la place du Trocadéro créé par Paul Rivet.

Paris est une fête on le sait depuis Hemingway et l’entropie intellectuelle est communicative. Les liens se créent rapidement, les complicités se fondent, les projets, les confluences se multiplient comme la pluie qui féconde la terre. Leiris est au cœur du dispositif. Il voyage en Afrique, Afrique de l’Ouest ou corne de l’Afrique en Abyssinie et quand il en revient il publie, ( L’Afrique fantôme) comme il le fera toujours pour toutes ses expéditions. Il multiplie les rencontres ses amis anthropologues ont pour nom : Anatole Lewitsky ou Jacques Soustelle. L’anthropologie française est au pinacle portée il va de soi par Claude Levi-Strauss ou Louis Dumont ( spécialiste de l’Inde). Bien plus tard Leiris sera parmi les premiers dès les années cinquante à sillonner la Chine alors fermée aux occidentaux.

Au delà de ces fusions scientifiques ce sont aussi des amitiés, des partages intellectuels avec les artistes, les musiciens les écrivains et pas des moindres. Leiris est à l’écoute de son temps et s’il est un passionné de musique et grand amateur d’opéras ( il fera la connaissance de Maurice Ravel et d’Éric Satie) il aime aussi le jazz. Leiris comme le pendule va des uns aux autres et chaque art retentit chez lui comme l’élément structurant d’une harmonie universelle. Il a le visage de l’honnête homme. Une photo exposée prise par Brassaï le représente près d’Albert Camus, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Jacques Lacan, Pierre Reverdy, Nush Eluard, Louise Leiris. Les photos sont d’ailleurs nombreuses dans cette exposition, et le nombre de photographies le représentant en portrait est assez surprenant.

Au delà des apparences c’est aussi tout le message qui sourd de cette exposition : le refus des barrières et des catégories, surprenant paradoxe pour un homme dont le métier même le conduit à organiser, à structurer. C’est aussi le comble de ce siècle achevé qui permit l’émergence des sciences humaines et connut l’apocalypse de la civilisation humaine avec le nazisme. Leiris concentre sur sa personne différents mouvements intellectuels et artistiques qui servent de référence au vingtième siècle : le surréalisme, l’existentialisme, le structuralisme,

Leiris a du poids, de la profondeur, de l’ouverture d’esprit. Son œil sait discriminer, choisir, pondérer et surtout apprécier, estimer. C’est un médiateur, un magnétiseur, un voyageur, un visiteur. Il fréquente les ateliers d’artistes se lie avec ceux-ci. Il découvre Joan Miró s’en fait un ami et partage avec lui ses réflexions sur l’identité, l’existence et plus encore le langage. Les deux compères se retrouvent sur le même terrain, chacun dans son registre. Leurs poétiques s’adoubent. La transmutation des formes sémiographiques inventées par le peintre se fonde dans la subjectivité libérée de l’écrivain ethnographe Leiris.

Avec Picasso c’est un parcours sur la durée et les visiteurs pourront savourer de la diversité sensible et formelle de l’artiste en admirant les nombreuses toiles prêtées par le musée d’art moderne, centre Pompidou à Paris, musée Picasso ou les statues et céramiques ( voir la charmante céramique « La femme qui lit» du maître de Vallauris)

Picasso a le sang mêlé des Ibères, c’est un marrane. C’est un aficionado, un passionné de corrida, le grand ami de Manolete , l’idole espagnole des amateurs des courses taurines. Sa passion pour la tauromachie, n’en déplaise à ses détracteurs, c’est l’expression érotique et charnelle d’un trop plein de vie, le minotaure ressuscité.. Il faut à cet égard admirer la sublime peinture de petit format prêté par le musée Picasso où le taureau éventre le cheval et le matador dans un déluge de forces et de puissance où les bêtes et homme confondus s’affrontent dans un holocauste sacrificiel. Picasso réinterpréte les grands maîtres, qu’il s’agisse de Rembrandt (la Pisseuse), David ( L’Enlèvement des Sabines) ou Manet ( Le Déjeuner sur l’herbe). Il multiplie les difficultés et ses dessins atteignent au sublime, rejoignant dans la perfection ceux à la pointe d’argent de Botticelli. Il laboure avec ses pinceaux ou ses crayons le support se dégageant ainsi de la force du temps pour atteindre à l’unique, à la transcendance.

Ce même intérêt pour la corrida il le partage avec André Masson qu’il connut dans les cénacles surréalistes et comme chez Picasso, la bête terrasse l’homme comme un avertissement du destin funeste qui sera celui de l’Europe. Là Masson s’échappe du surréalisme et se répand dans des dessins ou des peintures qui retrouvent un univers formel classique. André Masson sera aussi l’animateur de réunions où viendra Michel Leiris et où l’on parle de poésie, de littérature ancienne et de philosophie. Michel Leiris est de tous les cercles intellectuels et artistiques qui comptent et qui rayonnent sur Paris, il est ami du marchand et historien d’art Daniel-Henry Kahnweiler

Un homme, un destin, c’est je crois le nom d’une émission de télévision de court format, pour ce qui est de Michel Leiris, son destin intellectuel est celui de fusions et de rencontres. Il est en vérité l’élément d’un puzzle, le maillon fort d’une société intellectuelle, éditoriale et artistique le symbole français d’un temps social et poétique. Parler de Leiris c’est parler de l’art, de la pensée et des grands événements sur plus de cinquante ans au vingtième siècle.

Arrive le temps de guerre. Les ethnologues, intellectuels inspirés, absorbeurs des mouvements et des tensions des sociétés qu’ils étudient, accompagnateurs, révélateurs d’artistes, s’engagent intellectuellement. Peut-on rappeler le rôle éminent et courageux du mouvement du Musée de l’homme dans la résistance de son directeur le professeur Paul Rivet, d’Yvonne Oddon et de Germaine Tillon, elles aussi ethnologues, toutes deux déportées à Ravensbrûck ( dans un prochain article bientôt publié dans Wukali, je traiterai notamment de Germaine Tillon, déportée à Ravensbrück et de son incroyable opéra écrit clandestinement pendant sa détentation Le Verfügbar aux Enfers ), d’ Anatole Lewitsky, bibliothécaire du Musée de l’homme et Boris Vildé tous les deux fusillés par les Allemands au Mont Valérien.

L’action de Leiris pendant la guerre est pour le moins discrète, comme celle de Jean-Paul Sartre d’ailleurs avec qui il entretient des correspondances polémiques. On ne peut guère d’ailleurs parler de résistance. En février 1944 Leiris dans un article non signé des Lettres françaises rend hommage à Max Jacob arrêté malade à Saint Benoît sur Loire où il avait choisi de faire retraite et qui mourra le 5 mars à Drancy.

Dans cette période qui suit l’après-guerre, le débat est depuis Bandung à la décolonisation et l’ethnographe Leiris, bien longtemps après l’écrivain André Gide et son retentissant et courageux ouvrage sur le Congo, se met aux côtés des peuples qui sont eux-mêmes l’objet des études ethnographiques. Plus jeune il avait manifesté au côté d’Aragon pour la décolonisation. Les vitrines de masques africains prêtés par le musée du Quai Branly multiplient les genres, à l’opposé de la galerie une très belle sculpture en métal du Bénin interroge le visiteur. A Cuba il devint ami avec Wilfredo Lam qu’il avait rencontré dès 1939 à Paris, fusion africano-caraibéenne. Il sera en 1960 un des premiers signataires du manifeste des 121 contre la guerre en Algérie.

Leiris est un voyant comme Diderot dans ses Salons. L’écriture ethnographique accompagne toujours chez lui l’analyse sensible et artistique. Il aime écrire et plus qu’une déformation intellectuelle, professionnelle même, c’est un élan vital une catharsis, sa résistance au viol du quotidien, rien moins qu’une poétique.

Michel Leiris fréquente l’atelier de Giacometti et l’exposition est riche de quelques belles statues, dessins et peintures de l’artiste ( Trois qui marchent, 1948 ou L’Homme qui marche 1960 )

En 1965 Giacometti présentera à Londres à l’occasion d’une rétrospective de ses œuvres Leiris à Francis Bacon, de cette rencontre naîtra une amitié. Dans le maillage artistique du temps et parmi les découvreurs de talents apparaît notamment en France le nom de la galerie Maeght, un nom qui compte dans le domaine des arts contemporains. Elle organise plusieurs expositions autour des œuvres de Bacon et demande à Michel Leiris en 1966 de préfacer son catalogue.

Bacon se distingue fondamentalement de l’abstraction alors furieusement de mode. Leiris analyse la force de sa peinture, son expressivité charnelle, la distorsion ou la transe qui s’empare des corps, «cette mixture de respect, de désir de terreur» , cette invention du sacré, ce cri qui transperce et qui hurle, cette soif de vie. Les accrochages de l’exposition qui opposent et confrontent plus exactement Bacon à Picasso permettent de distancier les deux artistes

La scénographie de l’exposition du Centre Pompidou-Metz s’articule en 16 sections, c’est un parcours qui permet tout à la fois de découvrir une époque et d’en explorer les contradictions. L’abondance de documents papiers ( correspondances ou livres) est conséquente ’fruit notamment du partenariat avec le musée du quai Branly et la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.

Il a fallu de nombreux concours pour monter cette exposition Leiris & C° qui répond pleinement aux interrogations contemporaines sur le siècle écoulé. Certaines oeuvres sont présentées au public pour la première fois. A voir au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 14 septembre 2015 ( TGV direct depuis la gare de l’est à Paris, durée du voyage 1h20)

Pierre-Alain Lévy


Leiris & C°
Centre Pompidou-Metz
jusqu’au 14 septembre 2015

Horaires d’ouverture:

Lundi, Mercredi, Jeudi de 10h à 18h
Vendredi, Samedi, Dimanche de 10h à 19h
Fermeture hebdomadaire le mardi

Le catalogue très documenté de l’exposition, sous la direction d’Agnès de la Beaumelle, Marie-Laure Bernais et Denis Hollier est publié par les éditions Gallimard. 49€


Commissaires de l’exposition:
Agnès de la Beaumelle, conservateur en chef honoraire, Centre Pompidou
Marie-Laure Bernadac, conservateur général honoraire, musée du Louvre
Denis Hollier, professeur de littérature, département de français de la New York University

Conseiller scientifique : Jean Jamin, anthropologue et ethnologue, directeur d’études à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales), exécuteur testamentaire de l’œuvre de Michel Leiris, éditeur de son Journal (Paris, Gallimard, 1992)


WUKALI 07/05/2015

Courrier des lecteurs: redaction@wukali.com


Illustration de l’entête: Francis Bacon. Portrait of George Dyer in a mirror, 1968. Huile sur toile 198 x 147 cm. Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid. INV. Nr. 458 (1971.3)


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