La chronique littéraire d’Émile COGUT
De notre enfance nous ne nous souvenons vaguement guère que de Salma Lagerlöf comme représentante de la littérature suédoise.
Depuis une vingtaine d’années, les amateurs de roman policier ont découvert Henning Mankell et les enquêtes du commissaire Kurt Wallander dont ils attendent impatiemment le prochain opus dès la lecture du dernier paru achevée.
Dernièrement, Jonas Jonasson avec « Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire », a offert un moment de détente et de bonheur à ses lecteurs.
Et depuis peu, le lecteur français a découvert Johan THEORIN. Après «L’heure trouble»,« L’Echo des morts» et «Le sang des pierres», les éditions Albin Michel viennent d’éditer Froid mortel.
Froid mortel, comme les trois premiers livres de Theorin n’est pas un roman ni un roman policier, un thriller faute de mieux car il est dans notre culture de toujours vouloir classer quoique ce soit, dont les livres, dans une catégorie déjà bien définie. Alors, comme il n’existe pas de rayonnage dans nos bibliothèque pour les inclassables, Froid mortel sera classé avec les thrillers…
L’histoire est simple : un jeune homme Jan Hauger est engagé dans une école maternelle située à côté d’un hôpital psychiatrique où se trouve enfermé au moins un des parents de chacun des enfants de l’école. Entre les deux bâtiments un souterrain permettant aux enfants d’avoir un contact régulier avec leur père ou leur mère. Petit à petit, le lecteur comprend les motivations du héros engagé dans une quête pour retrouver ce qu’il pense avoir été l’amour, mais aussi celles des personnages qui gravitent autour de lui.
«Froid mortel» est un livre sur la solitude, sur les blessures du passé, sur les conséquences qu’elles ont au quotidien sur chacun, sur la façon dont on arrive, chacun à notre façon de les gérer, de les fuir, de les assumer.
«Froid mortel» est surtout un livre sur les obsessions que chacun a en soi et qui peuvent devenir tellement fortes qu’elles nous poussent à agir de façon totalement irrationnelle, à ne plus percevoir les frontières entre le bien et le mal, à chercher à tourner définitivement les pages noires du passé individuel tout en sachant plus ou moins consciemment que c’est totalement vain.
Johan Théorin aime ses personnages. Il ne les juge pas, il veut les comprendre. Il les livre au lecteur dans toute leur complexité, sans aucune trace de manichéisme. Bien sur ce n’est pas d’un optimisme béat, loin de là. Il n’y a aucune concession au « politiquement correct », aucune tentative de vouloir dédouaner ses personnages au nom d’une tentative d’explication plus ou moins psychologique ou sociologique. Il les livre dans leur nudité, dans leur action, sans chercher à nous imposer une quelconque explication. A la fin du livre, le lecteur à tous les éléments pour comprendre l’histoire, les histoires de chaque personnage, mais c’est à lui, le lecteur – pas l’écrivain-, s’il le souhaite, de bâtir un lien, une explication entre ces faits, ces personnages et leur passé.
Théorin n’essaie pas de faire passer un message, n’opère aucune critique de la société suédoise actuelle, ne porte aucun jugement sur les faits et gestes de ses personnages.
Bien sûr, d’aucuns trouveront des longueurs, des répétitions, des invraisemblances. Mais une lecture trop « rationaliste », trop littéraire ne privilégie que la forme et non le fond. Or le fond est d’autant plus profond, les personnages sont d’autant plus réels, vivants grâce justement à ces longueurs, ces répétitions, ces invraisemblances
A bien des égards Johan Théorin peut être comparé, de part cette démarche à Simenon, au Simenon des « romans durs », celui qui ne montre pas particulièrement d’empathie pour les acteurs de ses histoires, mais celui qui en les décrivant avec distance et sans miroir déformant, plonge le lecteur dans la vérité des méandres de la nature humaine, de sa fragilité, de sa complexité.
Cette démarche descriptive est d’autant plus forte que tout le livre est bâti autour de phrases courtes, où il n’y a que l’essentiel, aucune fioriture. En trois phrases, dix lignes au maximum le lecteur n’a aucune difficulté de percevoir en lui l’immensité des forêts ou la pesanteur de l’enferment à la simple vu des bâtiments de l’hôpital. Et il en est de même en ce qui concerne les acteurs du thriller, des petites touches au détour des chapitres permettent de cerner leur personnalité, leur caractère, leurs blessures, leur solitude, leur autisme.
Car tous sont, à des degrés divers des autistes, enfermés dans leur univers, incapables de s’ouvrir aux autres, d’être dans une vraie écoute active tant ils enferment en eux des douleurs qu’ils sont de fait incapables de gérer et du mal à contenir.
«Froid mortel»est une pierre, une nouvelle pierre à l’édifice que Johan Théorin est en train de bâtir, une cathédrale sur « la comédie humaine » qui se joue en Suède en ce début du troisième millénaire, qui se déroule en nos sociétés européennes où les individus ont tant de mal à s’épanouir, à chercher sans fin une sorte de bonheur tant ils portent en eux les chaînes d’un passé qu’ils n’arrivent pas à gérer dans un quotidien qu’ils ne comprennent pas.
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Emile Cogut
FROID MORTEL
Johan THEORIN
Éditions Albin Michel. 21€50