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La chronique littéraire d’Émile Cogut


«La Femme de nos vies».

Un jeune paysan allemand Jürgen Bolt est vendu par ses parents pour avoir sauvé un veau de l’abattoir. Comme les nazis sont au pouvoir, l’hôpital psychiatrique dans lequel il est interné va servir de laboratoire pour tester les chambres à gaz. Mais le seul garçon avec qui il s’est lié, lui demande de prendre sa place car il doit partir dans un centre de surdoué et donc échapper à une mort qu’il désire. De pur aryen, il devient juif, de quasi analphabète il devient une sommité de la physique, de Jürgen Bolt il devient David Rosfeld et ce grâce à son camarade et à Ilsa Scheffer, lieutenant de la Wehrmacht et directrice de ce centre.

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Didier van Cauwelaert a bien étudié l’évolution des théories de la physique du XX siècle. Au delà de certains aspects caricaturaux de la personnalité des physiciens avec qui travaille son héros, on rencontre plus ou moins rapidement au fil des pages Einstein, Oppenheimer, le père de la bombe atomique, Niels Bohr, le théoricien de la physique quantique, Lymame Stiper, le père du télescope Hubbes, et bien sur Higgs et son boson. L’action de David Rosfeld auprès de Higgs n’est pas sans faire penser à celle d’Allan Karlsson, le héros du « vieux qui ne voulez pas fêter son anniversaire » de Jonas Jonasson, dans la mise au point de la bombe atomique.
Alexandre Dumas ne disait il pas : « On a le droit de violer l’histoire à condition de lui faire un bel enfant. » ?

Ainsi ne faut-il pas rechercher la vérité historique dans ce roman, l’attentat de Stauffenberg se déroule en 1943 dans la femme de nos vies alors qu’il a lieu un an après… Certains personnages en arrière plan sont plus que caricaturaux comme Hitler et même Einstein décrit comme un professeur Tournesol obsédé sexuel.

Didier van Cauwelaert va souvent vers la facilité. Comme par hasard, Ilsa Scheffer est nationale socialiste mais pas nazi, et se révèle être en résistance à la politique d’Hitler ; le départ de David du château de Hem pour les Etats Unis d’Amérique est plus qu’improbable à bien des niveaux ; comme par hasard c’est juste avant la libération du camp où elle est internée qu’Ilsa se fait violer…

Mais Didier van Cauwelaert n’écrit pas un roman mais un conte. Pas un conte philosophique à la Voltaire ou à la Swift mais plutôt un conte qui nécessite une lecture psychanalytique pour en comprendre le sens comme ceux de Grimm ou de Perrault. Chez Didier van Cauwelaert, il n’y a aucune critique sociale, mais plutôt une quête sur l’homme, sur son passé, son présent et son futur. Dans toute son œuvre l’auteur montre sa recherche, voire ses angoisses autour du triptyque que se posent tous les hommes : d’où je viens ? Pourquoi je suis comme je suis ? Que va-t-il se passer après ma mort ?

Dans la femme de nos vies, ce dernier thème est abordé de façon moins directe que par exemple dans « La Maison des lumières ». Il n’assène pas au lecteur ses croyances, ne lui impose pas une sorte de vérité incontournable, n’essaie pas de bâtir toute une théorie sur la communication avec les personnes décédées. Pourtant il aurait pu facilement le faire vu la structure du roman.

« Tu ne peux pas refusé car je t’ai choisi ». Cette phrase de cet enfant juif résume toute la philosophie de ce roman : nous somme tous redevables des missions que les autres nous ont confiées. Notre devoir est d’être à la hauteur de leurs attentes. David est un vrai chargé de missions celles du vrai David et celles d’Ilsa. C’est un élu, comme disent les catholiques, un élu et un passeur de mémoire, non seulement auprès de Marianne, mais aussi auprès de l’humanité par son action professionnelle, mais aussi par la mission qu’il se donne à la fin : réhabiliter non seulement la mémoire d’Ilsa et diffuser le résultat de ses recherches qui elles mêmes ne sont que la synthèse des travaux des enfants de son école, tous massacrés par les nazis. C’est aussi leur mémoire qu’il se charge de faire revivre.

Mais pour être un passeur de mémoire encore faut-il être soi, être libre et non dépendant de choix, de directions que les autres nous ont imposé et non invité à prendre : « Ayez l’insolence de vivre au-delà des schémas qu’on vous impose, des limites que vous vous êtes créés ». Pour être libre, pour accomplir les missions que les autres, que la vie, que notre passé nous ont confiées, encore faut-il d’abord ne se sentir être responsable que de soi et non des actes, des schémas de pensées de ses ancêtres. Et pour y arriver il est nécessaire de rencontrer un « passeur de mémoire », qui puisse nous permettre d’analyser le passé, notre passé, de façon « objective » et non avec la grille d’analyse de nos géniteurs.

La femme de nos vies est un roman sur la communication, sur le passage d’un savoir, non d’un savoir théorique, mais du savoir que chaque être humain porte en lui et qui fait qu’il est unique. Une communication qui a besoin de supports, mais pas obligatoirement de la parole, ce peut être la mémoire ou un journal. Une communication qui peut se faire au-delà de la mort si on trouve le bon vecteur pour qu’elle puisse s’instaurer. Car pour que ce savoir puisse se transmettre, il est nécessaire qu’une rencontre se fasse. C’est elle qui permet que la vérité apparaisse et balaie toutes les fausses informations que nous avons emmagasinées. C’est elle qui nous ouvre, qui nous sort de la prison dans laquelle nous nous sommes enfermés car nous refusions de rechercher la vérité et préférions souffrir sans savoir que nos souffrances n’étaient basées que sur celles des autres. Sans la rencontre avec David Rosfeld, Marianne Le Bret serait restée l’avocate anorexique ratée persuadée d’être la petite fille d’une bourreau nazi. Quand elle sut que c’était faux, qu’elle ne faisait que reproduire le schéma de vie de sa mère, un vent d’espoir et d’ouverture la pousse à évoluer et à grandir. Sans la rencontre avec David Rosfeld, Jürgen Bolt serait mort et n’aurait pas pu accomplir la mission que son camarade lui avait confiée avant d’être gazé.

La femme de nos vies est un conte sur l’immortalité de l’homme, sur le passage du savoir, de la mémoire, de la vérité.

Emile Cogut


LA FEMME DE NOS VIES

Didier VAN CAUWELAERT

Éditions Albin Michel.19€50


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