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En 1940, après la défaite française par les troupes allemandes, après la débâcle infernale où tout un peuple désemparé fuit sous la mitraille des stukas, Aragon écrit le poème Les lilas et les roses qui sera publié dans le recueil Crève coeur par les Éditions de minuit, elles-mêmes fondées clandestinement par Jean Buller, alias Vercors, et Pierre de Lescure


Les lilas et les roses


O mois des floraisons mois des métamorphoses

Olécio partenaire de Wukali

Mai qui fut sans nuage et Juin poignardé

Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses

Ni ceux que le printemps dans les plis a gardés

Je n’oublierai jamais l’illusion tragique

Le cortège les cris la foule et le soleil

Les chars chargés d’amour les dons de la Belgique

L’air qui tremble et la route à ce bourdon d’abeilles

Le triomphe imprudent qui prime la querelle

Le sang que préfigure en carmin le baiser

Et ceux qui vont mourir debout dans les tourelles

Entourés de lilas par un peuple grisé

Je n’oublierai jamais les jardins de la France

Semblables aux missels des siècles disparus

Ni le trouble des soirs l’énigme du silence

Les roses tout le long du chemin parcouru

Le démenti des fleurs au vent de la panique

Aux soldats qui passaient sur l’aile de la peur

Aux vélos délirants aux canons ironiques

Au pitoyable accoutrement des faux campeurs

Mais je ne sais pourquoi ce tourbillon d’images

Me ramène toujours au même point d’arrêt

A Sainte-Marthe Un général De noirs ramages

Une villa normande au bord de la forêt

Tout se tait L’ennemi dans l’ombre se repose

On nous a dit ce soir que Paris s’est rendu

Je n’oublierai jamais les lilas ni les roses

Et ni les deux amours que nous avons perdus

Bouquets du premier jour lilas lilas des Flandres

Douceur de l’ombre dont la mort farde les joues

Et vous bouquets de la retraite roses tendres

Couleur de l’incendie au loin roses d’Anjou


Louis Aragon, Le Crève-coeur, 1941. (1897-1982)


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