De 1099 à 1187, soit de Baudouin Ier à Sybille, huit monarques furent couronnés roi ou reine de Jérusalem.
En 1099, les croisés prennent la ville sainte, objectif de la première croisade, et tout de suite se pose la question de la forme de gouvernement de cette ville. Godefroy de Bouillon refusa le titre de roi que d’aucun lui proposait, préférant celui d’Avoué du Saint Sépulcre, mais à sa mort, cette question fut débattue pour aboutir à la création d‘un nouveau royaume.
A partir de huit chroniques : quatre contemporaines de la première croisade où sont décrits tous les actes de violence, quatre postérieures à la prise de la ville sainte qui «embellissent » les faits, Elisabeth Crouzet-Pavan explique le passage d’un combat religieux à la création de nouveaux rois, princes, aristocratie.
Godefroy de Bouillon est décrit progressivement comme « terrible à la guerre » pour devenir un homme pieux, épris de paix, un vrai homme de Dieu allant vers une forme de royauté terrestre que ses successeurs occuperont naturellement. D’ailleurs, Baudouin de Boulogne, frère de Godefroy, qui était resté dans le conté d’Edesse, vient à la rescousse des rares chrétiens restés à défendre Jérusalem, et grâce à sa victoire contre les musulmans se fait naturellement couronner roi à Bethléem, ville de naissance du Christ, montrant ainsi symboliquement la légitimité du royaume qu’il vient de créer.
Tous les chroniqueurs insisteront sur la figure centrale du roi pieux et guerrier menant une guerre sainte contre les infidèles. Or moins de cent ans après sa création, Jérusalem tombe et le royaume survit tant bien que mal jusqu’à la chute de Saint Jean d’Acre. Et s’il y a des rois de Jérusalem en titre, le royaume de Jérusalem n’existe plus en fait.
Ce désastre est perçu par les chroniqueurs comme la conséquence du péché ans lequel est tombé le royaume en général mais surtout la famille régnante en particulier, cette « race vicieuse d’Adam » qui s’épuise en conflits et en rivalité. Cette « dégénérescence » est symbolisée par les trois derniers souverains : un lépreux, un enfant et une femme. Le fait même d’avoir un roi sans visage car rongé par la lèpre, montrait à lui seul que le royaume n’avait plus de vrai représentant visible de Dieu sur terre. Le Christ montrait par là qu’il n’était plus au côté de ceux qui disaient se battre pour lui. Un royaume sans Dieu ne pouvait que redevenir un royaume où vivaient des infidèles.
Le mystère des rois de Jérusalem est celui de ses pèlerins qui prirent les armes, qui vainquirent au prix d’un des plus grand massacre de l’histoire et qui voulurent rester sur place avec à leur tête un homme qui ne se coiffa pas d’une couronne d’épines comme le Christ mais d’une en or.
Ce livre savant est aussi une réflexion sur l’histoire : chaque chroniqueur décrit son histoire, sa vérité qui n’est pas celle de son confrère. La vérité change suivant les époques, la sensibilité de l’auteur, voire le prince à qui la chronique est adressée. Aussi, un millénaire après, le travail de l’historien qui n’a que ces outils à sa disposition ne peut que donner sa vérité. Le mystère des rois de Jérusalem écrit à partir des mêmes chroniques par un historien de culture orientale ne serait surement pas le même livre.
L’histoire nous apprend toujours et encore à relativiser notre vision du monde.
Maurice Delmas
Le mystère des rois de Jérusalem
Elisabeth Crouzet-Pavan Éditions Albin Michel. Bibliothèque Histoire. 26€