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La Chronique littéraire d’Émile Cougut


Inanis des Tanches est un héros littéraire qu’il faut avoir rencontré au gré de ses lectures. Cet individu, misanthrope, égoïste, paranoïaque, schizophrène, fou, cruel, méchant, autiste, résume à lui seul la face obscure de la nature humaine.

Les mémoires d’Inanis des Tanches racontent sa vie « extraordinaire » au sens étymologique du terme : sa naissance dans un village ravagé par la famine, son sauvetage par un baronnet qui lui fait apprendre l’art de la reliure, sa participation à une guerre civile dont il profite pour tuer son père nourricier et s’emparer de son domaine, les réformes qu’il y fait pour le bonheur futur des « rustres » et de l’humanité future, sa « déchéance », son procès, son exil.

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Cette sorte d’anti-héros se pose avant tout comme une victime, lui qui fut le bourreau de tant de personnes. Victime du génie dont il se croit pourvu, victime de son destin, victime de sa naissance : « Je suis né dans la cruauté pour accomplir une destinée cruelle », victime de ses sujets qui sont trop « rustres » pour comprendre la beauté de ses actes, le bien qu’il leur fait en les torturant ou en les tuant, mais surtout victime des courtisans entourant le prince qui ne pensent qu’à la sauvegarde de leurs biens matériels et qui jalousent son génie.

Peu importe le pays ou l’époque où se déroule ce récit. Il y a tant de références historiques que le lecteur passe de l’Egypte antique à la Renaissance en pensant par le Moyen Age. Bien que, le style d’écriture, fait de longues phrases avec de grandes digressions n’est pas sans faire penser à celui des mémorialistes et des romanciers du XVII ème siècle. Mais de fait peu importe où et quand fut sensé vivre et sévir Inanis des Tanches car il est la synthèse intemporelle de tous les dictateurs, les tyrans de Caligula à Pol Pot en passant par Mao (avec de belles et longues séances d’autocritique), Hitler, voire Robespierre ; de tous ces hommes qui, arrivés au pouvoir, ont voulu imposer des réformes radicales pour le bien du peuple. Enfin plus exactement pour le bien futur de l’humanité, pour sortir le peuple « ignare » de l’esclavage du présent pour « amener les rustres dans une humanité meilleure ». Et toute résistance à l’innovation ne peut être que considérée que comme du sentimentalisme, du conservatisme qu’il faut combattre rapidement et violemment car : « la terreur crée l’ordre, les châtiments la vertu. »

Le but que se donne Inanis des Tanches, comme tout bon tyran mégalomane, est de faire le bonheur de l’homme contre la volonté du peuple. Et pour y parvenir, tous les moyens sont bons. Pas les loufoques qu’emploie la caricature de dictateur sud américain dans « Bananas » de Woody Allen, mais les moyens classiques à base de tortures, d’humiliations, de violences, d’injustices, de terreurs.

Inanis des Tanches a une véritable aversion pour tout ce qui touche la culture, à l’exception de la poésie, et surtout de la lecture : « aucune activité est plus néfaste que la lecture ». Le principal vice de la lecture est qu’elle fait réfléchir, qu’elle influe sur les pensées, les sentiments et donc qu’elle fausse le raisonnement, la liberté individuelle puisqu’elle instaure dans le cerveau du lecteur les idées des autres. En plus, les livres sont à eux seuls le symbole de l’hypocrisie de leur détenteur : « il suffit d’avoir des livres pour subjuguer ceux qui n’en ont pas, d’en détenir beaucoup pour subjuguer ceux qui en ont moins, et acquérir à leurs yeux une culture d’autant plus grande qu’elle s’élève sur du vide et ne s’éprouve jamais. Les livres donnent l’air raffiné à qui les possèdent et, de proche en proche, ils lui communiquent de cette intelligence muette qu’ils sont sensé renfermer. Ils valent tous les viatiques, tous les certificats. Le lire n’est pas indispensable. Leur heureux possesseur, parce qu’il les possède, parait davantage cultivé, et dans une certaine mesure le devient vraiment ».

Par conséquence, Inanis des Tanches se targue, se vante de n’avoir aucune instruction, ce qui montre selon lui « non la marque d’un esprit borné, mais l’appartenance à la race des hommes exceptionnels qui se distinguent en tenant pour honteux la possession du savoir, qui n’est qu’une marchandise de pauvre, qu’une ambition de médiocre. » Toute ressemblance avec un ancien président de la République ne comprenant pas l’utilité de la Princesse de Clèves est plus qu’évidente.

Cette répulsion vis-à-vis des livres se double d’une répulsion vis-à-vis des pauvres, des humbles et explique son mépris des autres, sa cruauté, sa méchanceté, son égoïsme.

Les premiers chapitres du livre comportent des pages saisissantes sur les ravages de la famine. Certains passages sont à la limite du supportable tant Pierre d’Etanges est précis dans ses descriptions. Heureusement qu’il sait juste à temps parsemer son texte de quelques notes d’humour pour que le lecteur puisse se détacher de ce spectacle de désolation et de cruauté.

Les Confessions cannibales est un livre que tout bon élève psychiatre devrait être obligé de lire, d’étudier lors des travaux pratiques pour faire l’inventaire de toutes les pathologies dont souffrent Inanis des Tanches en particulier et les tyrans sanguinaires de l’histoire en général.

Emile Cougut


Les Confessions cannibales

Pierre d’Etanges

Flammarion. 18 euros


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