La Chronique littéraire d’Émile COUGUT


Le titre est alléchant, le sous titre ne peut qu’inviter les esthètes à lire ce livre : « l’arbre source d’émotions de l’Antiquité à nos jours ».

Ce livre, cet essai, porte sur les rapports de l’individu avec l’arbre. L’arbre est ici considéré comme un végétal, non comme un symbole social comme l’arbre de la liberté ou l’arbre à palabre, pas comme une partie d’un ensemble comme membre d’une forêt, ou un élément d’une classe déterminée par la botanique.

L’homme a toujours été attiré, sidéré par l’arbre, de façon positive ou négative, à cause de sa grandeur, de sa massivité, de sa beauté, et surtout de sa temporalité. L’arbre interroge sur le temps, le sien n’est pas celui de l’homme, il existe souvent avant nous et après nous, il est un vecteur de ce qui fut (souvent notre enfance) et de ce qui sera.
Des auteurs comme Pline l’ancien ont fait un parallèle entre l’homme et l’arbre : la sève est le sang, la verticalité ressemble à notre position. Certains sont jusqu’à essayer de comprendre ses paroles, de rentrer en contact avec lui grâce à l’écoute du vent dans ses branches. D’autres insistent plutôt sur son altérité : l’arbre est immobile et doté d’une âme inférieure.

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L’arbre est aussi le passeur du chtonien (la terre) à l’ouranien (le ciel). Si la chrétienté vu en lui le symbole de la montée vers le ciel, les romantiques comme Bernardin de Saint Pierre ou Michelet ont été attirés par ses racines, par l’invisible, par les forces de vie qu’il sait tirer de la matière.

L’arbre est une vraie source de peur. Certaines essences comme l’if sont considérées comme mortelles, d’ailleurs au moyen âge, le fait qu’ils soit toujours vert était la preuve du pacte qu’il avait conclu avec le diable, il en est de même pour le noyer voire le saule dont les graines rendraient les femmes stériles, ou même le pommier qui a porté le fruit défendu et dont le dernier avatar est à trouver dans la belle pomme que croque Blanche Neige.

Le nouveau testament associe l’arbre au supplice : la croix mais aussi les épines de la couronne, sans compter la pendaison de Judas qui a provoqué de multiples études pour en connaitre l’essence : le caroubier ? Le tremble ? Le figuier ?

De fait l’église catholique a toujours été méfiante vis-à-vis de l’arbre. Au-delà des fondements théologiques, le catholicisme a combattu durement tous les cultes païens rendus à l’arbre dont Saint Boniface fut un des plus ardents détracteurs. L’arbre était considéré au moyen âge comme le refuge des sorcières (comme à Saint Avold où sous l’ « arbre aux sorcières » des sabbats avec présence du démon se seraient déroulés). Pour s’approprié ces croyances populaires, dès le XIIIème siècle, l’église fait creuser des niches dans le tronc de certains arbres pour y déposer des statues de saints, en faire des oratoires, parfois des refuges pour les ermites, et même y célébrer des messes voire installer des chapelles comme dans le chêne d’Allouville en Normandie. Ce mélange de païen et de spirituel chrétiens se trouve dans le célèbre «arbre-aux-fées » sous lequel Jeanne d’Arc entendu les voix célestes.

L’arbre est resté longtemps associé à la mort, surtout à la pendaison (le gibet est fait en bois). Jacques Callot nous a laissé une gravure représentant la pendaison de toute la population du village de Reyersville près de Bitch, George Sand rappelle que dans le Berry, sous l’ancien régime les bandits étaient pendus aux arbres sur les bords de la route où ils sévissaient, et dans le Far-West, le lynchage se faisait généralement à un arbre. Cette analogie de l’arbre avec la mort se trouve aussi dans « les bois de justice », autre nom de la guillotine.

L’arbre peut tous simplement tuer en tombant, en étant foudroyé, ceux qui se trouvent à proximité ou cherchent un abri et risquent la mort.

Avec le siècle des lumières et les romantiques, la peur de l’arbre tend à s’estomper pour devenir un lieu d’amour (l’arbre qui protège les amoureux et parfois leurs ébats, le tronc qui garde gravé pour l’éternité les déclarations des amoureux),un lieu de protection contre les intempéries mais aussi contre la chaleur, un lieu de souvenir (l’école buissonnière), un lieu ludique avec l’accrobranche ou les cabanes et même maintenant avec les hôtels construits dans ses branches.

Dans un très court chapitre, l’auteur insiste sur la dimension érotique de l’arbre. Celle-ci existe depuis la Genèse avec l’Eve tentatrice et l’arbre de la connaissance, et les principaux maîtres de la peinture ont représenté la première femme dans toute sa beauté entourée d’arbres de toutes les espèces. Et que penser de l’amour éternel symbolisé par les deux arbres entrelacés plantés sur les tombes de Tristan et Iseult.

La douceur de l’ombre est un livre non d’érudition mais très facile à lire qui nous transporte à travers le temps en compagnie de botaniste, d’écrivains, de peintres avec l’arbre pour compagnon.

Emile Cougut


La douceur de l’arbre

Alain Corbin

Éditions Flammarion. 23 €


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