Masochist French passion and biased analysis
La Chronique d’Émile COUGUT.
François Miquet-Marty est le président de l’institut de sondage Viavoice dont le travail se retrouve, en outre régulièrement dans les colonnes de Libération. Fort de son savoir pratique et théorique, il est allé durant une année au contact d’hommes et de femmes pour recueillir leurs ressentis non seulement sur la crise économique mais aussi sur la société. Vu les compétences professionnelles réelles de l’auteur, le lecteur ne doute pas que le « panel » de citoyens ainsi rencontré est le résultat de savants calculs aboutissant à une représentation exacte de la société française. Il ne doute pas, mais une annexe retraçant cette démarche l’aurait quelque peu rassuré aux vus de certaines conclusions et surtout lui aurait fait comprendre le côté « scientifique » de la démarche de l’auteur, puisqu’il paraît que la sociologie et une de ses déclinaisons, les sondages’ font partie d’une démarche scientifique. Sans vouloir polémiquer plus que de mesure ou montrer un certain scepticisme qui me caractérise parfois, le lecteur doit toujours garder à l’esprit que quand il parcourt les résultats des sondages qui parsèment le raisonnement de l’auteur, il s’agit avant tout de statistiques, et il est bien connu que rien ne ment plus que les statistiques (les images sont aussi un excellent moyen pour manipuler le « récepteur passif »). Un peu de rigueur « scientifique » aurait transformé ces lieux communs en un vrai essai politique. Le constat de cette « étude » est simple : les mélias et les hommes politiques nous parlent de crise économique, mais pas les français pour qui le « jargon » économique est incompréhensible et ne correspond pas à leur quotidien. Ce qu’ils perçoivent de la crise en sont les conséquences : l’augmentation des inégalités, les problèmes liés au pouvoir d’achat. Toujours le même constat, qui sert de fil conducteur à tout le livre : on ne s’occupe que de soi, de son pré carré ; les autres, la société, l’intérêt général ne sont que de grands concepts qui ne nous concerne pas au quotidien. Enfin, pas tout à fait car, au gré des interviews, on perçoit bien que pour la plus part des « sondés », l’intérêt général existe quand il se résume à leur intérêt personnel ! La crise est analysée avant tout comme l’impossibilité de pouvoir acheter ce que l’on a envie, la nécessité de faire des choix dans la gestion de son budget : entre manger une entrecôte et un smartphone, on trouve terrible d’être obligé de sacrifier… l’entrecôte. Certains passages, des interviews et des analyses de l’auteur semblent être des « copier/coller », d’interviews, d’analyses des années soixante, au plein cœur des « trente glorieuses », époque où on ne parlait pas de crise économique, mais plutôt de croissance économique. Est-ce à dire qu’il y a des vraies constantes dans la nature humaine ? Est ce à dire que la crise économique n’est pour certains qu’un exutoire pour essayer de donner une explication à leurs frustrations ? Comme le montre l’auteur, pour la majorité des personnes contactées, la sortie de la crise passe avant tout pour plus de solidarité humaine, par l’acceptation par les acteurs économiques de faire moins de profits et de remettre l’Homme au cœur des entreprises. Ah !, le mythe de l’entreprise citoyenne. Les français sont toujours marqués par les théories des socialistes utopiques et les analyses d’un certain Karl Marx. Mais bien sur avec des « bémol » : on critique fortement cette société qui est basée sur les profits, sur la volonté des autres de satisfaire leurs besoins immédiatement et aux moindres coûts, sur le manque de solidarité, tout en voulant le « tout gratuit » et en trouvant normal d’acheter des vêtements toujours trop chers fabriqués par les esclaves des temps modernes. « Faites ce que je veux, pas ce que je fais. » Bien sur François Miquet-Marty a trouvé quelques personnes, mais fort peu, qui ne sont pas dans ce schéma. Mais on tombe vite dans la caricature de « l’écolo post soixante-huitardes », le digne héritier de l’oncle Vania de « Pourquoi j’ai mangé mon père » de Lewis qui pense que l’invention du feu est la pire des calamités qui vient de tomber sur les hommes et que l’avenir de l’humanité est de retourner vivre dans les arbres. On est dans les théories déflationnistes, voire dénatalistes avec tout leur lot d’horreurs qu’elles sous-entendent, sans compter l’égoïsme qu’elles véhiculent. Mais, au détour d’une page, François Miquet-Marty montre une analyse pertinente : voilà plus de trente ans que l’on parle de crise économique, ce que nous vivons n’est pas une crise de l’économie, mais une transformation de la société, l’accouchement d’une nouvelle dont il faut définir les grands principes. Bien sur cela ne faisait pas partie de la démarche de l’auteur, mais il est dommage que dans les questions que François Miquet-Marty pose (et pourquoi en annexe ne les avons nous pas?), il n’y en ait pas quelques unes portant sur les autres pays. C’est paradoxal à l’heure où tout le monde (journalistes et hommes politiques tant décriés par l’auteur) parle de mondialisation. Dans certains pays africains, au Brésil, en Chine, en Inde, voire en Russie, on ne parle pas de crise économique mais de croissance, preuve s’il en est que cette crise ne touche que certaines sociétés, dont la française. Bien sûr en ce qui concerne les réponses à ces questions non posées, il ne faut pas être grand clerc pour les imaginer : ça n’intéresse personne ! Encore une preuve que la principale passion française est avant tout l’égoïsme. Égoïsme cultivé, entretenu, par le décervelage continu opéré par la télévision et internet. A l’heure où nous nous gaussons d’être informé en temps réel de ce qui se passe dans le monde entier, les français se montrent incapables de comprendre que l’univers ne tourne pas autour de leur nombril ! Ce ne sont pas les poncifs, les lieux-communs qui parsèment ce livre qui aideront le lecteur à se faire une vraie idée du chemin qu’il faudra prendre pour surmonter cette crise des sociétés occidentales. Et pour cause ! Au moins une personne a l’honnêteté de reconnaître que si la société est en crise, c’est avant tout à cause du manque de liens sociaux et de solidarité, mais ceux-ci ne méritent d’exister que dans le cadre des voisins, les « autres » les étrangers ne doivent pas en bénéficier puisque tous les mots de la société viennent d’eux… Voilà un discours qui fit passer la solidarité par l’exclusion. Rien de neuf sous le soleil : la démocratie grecque était basée dessus, l’apartheid aussi… Et la société que voulait bâtir le régime de Vichy y trouvait ses racines idéologiques. Tous veulent un renforcement des liens sociaux tant sur leurs lieux de travail que dans leurs vies privées, tous déplorent l’indifférence des autres vis -à-vis de leurs voisins. Il est certain que le lien social rend les gens bien plus heureux que le niveau de vie. Il n’y a que voir ce qui se passe dans certains villages africains. La seule limite à cette aspiration, c’est que les interviewés se disent capables d’entrer dans cette démarche de solidarité, mais à condition qu’elle n’empiète pas trop dans leur sphère privée, et surtout qu’elle ne les coupe pas des pseudo réseaux sociaux. Sans compter que la priorité pour l’immense majorité est et reste l’augmentation du pouvoir d’achat pour pouvoir consommer encore plus, consommer des bien matériels, consommer des relations virtuelles, mais sûrement pas pour s’impliquer dans un processus de solidarité et de fraternité actives basées sur la rencontre physique de l’autre. Une autre passion française : la schizophrénie ! Et les conclusions de François Miquet-Marty ne laissent aucun doute : les nouvelles passions françaises tournent autour du célèbre triptyque « travail, famille, patrie », rejet de l’autre et de la modernité. Enfin, un certain rejet fait de nostalgie (« c’était mieux avant »), d’envies, tout en voulant bénéficier de la consommation des biens qu’offre la modernité (rares sont ceux qui veulent se passer de télévision, téléphones portables et autre internet ou du remboursement des frais médicaux) Ainsi, la crise économique, si on suit le raisonnement de l’auteur, ne trouve comme solutions aux yeux des français que le développement de l’exclusion, de l’égoïsme et, de fait, la fin de la démocratie. Je ne puis que conseiller à tous les lecteurs de ce livre de se précipiter dans toutes les bonnes librairie, d’acheter et de lire « La société des égaux » de Pierre Rosanvallon. Au moins à partir du constat que nous vivons une vraie transformation de la société, ce dernier donne une lecture plus optimiste, mais plus difficile à mettre en œuvre, des bases idéologiques de cette future nouvelle société autour de l’égalité, et non autour de celles qui caractérisèrent le fascisme. Pierre Rosavenlon croit en la démocratie, François Miquet-Marty se ferait-il (sûrement à son corps défendant) le porte parole des antidémocrates ? Quelques mois après la polémique autour du mariage pour tous, il est urgent de comprendre que le monstre est en train de renaître de ses cendres Émile COUGUT Les nouvelles passions françaises Réinventer la société et répondre à la crise François Miquet-Marty
Éditions Michalon. 16€
L’envie, vouloir toujours plus, vouloir ce que les autres ont et que l’on n’a pas, voilà ce qui caractérise la majorité des personnes rencontrées par François Miquet-Marty.