Laicity and Republic

Pierre de Restigné est dans sa vie professionnelle un analyste particulièrement pointu qui scrute les évolutions de la société, et tente de rechercher les lignes de clivage ou de cassure qui la structurent et les phénomènes qui lui apportent dynamisme ou l’entraînent sur des voies d’immobilité. Pas facile dans un monde qui feint de prétendre à l’individualisme et sombre dans le conformisme consumériste. Wukali est particulièrement heureux de lui offrir son espace de communication, voici sa première chronique sur un livre ayant trait à la question du port de voile et qui a déchiré l’actualité.

L’ auteur de ce livre, Caroline Eliacheff, n’est pas moins que la fille de Françoise Giroud, se maria très jeune avec Robert Hossein, fit des études de pédo-psychiatrie avec Françoise Dolto avant que d’écrire des scénarios de films pour Claude Chabrol. Avec une telle lignée familiale ou intellectuelle, nul besoin n’est-ce pas d’en rajouter !

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P-A L


La chronique de Pierre de Restigné


La cour d’appel de Paris vient de rendre son jugement dans l’affaire du licenciement de la directrice adjointe de la « crèche » Baby Loup. Ce n’est que la quatrième fois que la justice se penche sur ce dossier, et comme l’intéressée à décider de se pourvoir en cassation, cette histoire est loin d’avoir fini de sortir de l’actualité médiatique.

Mais ce n’est pas qu’un fait divers dont sont si friands les médias, c’est bien plus que ça, c’est la définition même du pacte républicain à la française qui est posée par cette affaire.
Un élément de réflexion sur cette affaire est donné dans le livre de Caroline Eliacheff : «Comment le voile est tombé sur la crèche» que viennent de publier les éditions Albin Michel.

Caroline Eliacheff est pédopsychiatre et psychanalyste. Son fil conducteur est l’intérêt des enfants qui fréquentent cette « crèche », cette institution unique en France, créée avant tout pour aider des parents soumis à des rythme de travail ne leur permettant d’avoir une vie familiale « normale », elle était ouverte 24/24h, 7/7 jours, pour aider les femmes à obtenir leur émancipation (Fatima, entrée dans la structure dans le cadre d’un Contrat Emploi Solidarité, a pu grâce à Baby Loup d’obtenir le diplôme d’éducatrice pour jeunes enfants et devenir directrice adjointe), pour accueillir des enfants jusqu’à 13 ans et ce sans aucune considération sociale, philosophique et religieuse. Les enfants des 55 nationalités différentes qui sont régulièrement accueillis dans la structure n’ont pas tous des parents musulmans, catholiques ou animistes, d’où le principe de laïcité qui a présidé à la création de Baby Loup. Une laïcité conforme aux principes français, c’est-à-dire que rien n’interdit à qui que ce soit de croire ou de ne pas croire, mais de ne pas en faire état sur le lieu de travail, surtout pour le bien être des enfants. Et c’est un principe qui, à la création de Baby Loup en 1991, était compris et accepté par tous aussi bien par les employés que par les parents.

Caroline Eliacheff montre, sans porter aucun jugement de valeur qui aurait fait perdre toute légitimité à son livre, comment progressivement Fatima va tomber sous la coupe d’une interprétation sectaire du Coran et aussi comment insidieusement les préceptes, enfin certains préceptes de l’islam, vont s’immiscer dans le quotidien de la crèche. C’est par exemple le remplacement de vinaigre par un ersatz chimique car qui dit vinaigre dit alcool… Bien entendu, l’intérêt des enfants disparait totalement au profit de celui d’une religion.

Caroline Eliacheff montre le courage moral et physique de la directrice mais aussi des employées de la crèche soumises à des vexations et à des violences verbales assimilables à du harcèlement dont « les moins pires » sont « mauvaise arabe » ou « sale chrétienne ». Mais surtout, elle dénonce, à juste titre la lâcheté des musulmans modérés, que l’on peut comprendre, mais surtout, l’incompréhensible silence des élus (à l’exception notable de Manuel Vals). C’est cette lâcheté de nos élus, la gestion à partir du « il ne faut pas faire de vague » qui aboutit à des accommodements que les plus radicaux considèrent comme des droits acquis, et qui de fait aboutissent à un vrai renoncement aux valeurs de la République, valeurs que les radicaux religieux ne reconnaissent pas.

Baby Loup est le symbole même de la nécessité qu’il y a à combattre toutes les manifestations du sectarisme religieux (et pas que musulman), car vouloir composer avec lui, c’est perdre les fondements mêmes du pacte républicain, et voir la montée du communautarisme et la marginalisation d’une partie de nos concitoyens et en premier les femmes qui sont les premières victimes des obscurantismes qui les manipulent.
Il est évident que les radicaux vont s’attaquer à des structures qui justement veulent donner aux femmes leur vraie place dans la société en les aidant à s’émanciper et à être indépendante.

L’arrêt de la Cour de Cassation du 19 mars 2013 qui considérait le licenciement illégal a fait prendre conscience que ce que l’on croyait acquis ne l’était pas : dans une crèche on peut afficher ses convictions religieuse (alors qu’à l’école ou au collège on ne le peut pas). La loi de 2004 sur le port du voile dans les lieux publics ne peut s’appliquer dans une structure privée qui, soit, a une mission de service public, mais pas une délégation de service public comme la fédération française des jeux de boules. Argutie juridique, soit, mais qui montre, comme souvent le souligne la Cour de Cassation, le peu de réflexion dont fait montre le législateur quand il vote des lois de circonstance.

Comment le voile est tombé sur la crèche montre bien que les femmes sont instrumentalisées par des courants qui rejettent la laïcité et qui ne se préoccupent en rien de la santé tant physique que morale des enfants, qui, de fait, ne voit dans l’éducation, dès le berceau, que le moyen d’en faire de parfaits clones décervelés qui ne pourront imaginer d’autres choix de société que celui que défendent les intégristes de tout bord. La laïcité active défendue par Baby Loup est exactement l’inverse de ce qu’ils souhaitent.
Baby Loup a été obligé de déménager du quartier Noël de Chanteloup les Vignes.
Il est a espérer que dans leur nouveau lieu de travail, les employées pourront travailler dans un cadre plus serein et qu’à la moindre tentative de déstabilisation, élus et républicains se mobiliseront pour leur porter secours.

Défendre Baby Loup, c‘est défendre Marianne.

Pierre de Restigné


Comment le voile est tombé sur la crèche

Caroline Eliacheff

Éditions Albin Michel. 15€


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