When sensuality, religion and mysticism cluster together and give way to religious intolerance in a decadent Alexandria


La chronique littéraire d’Émile COUGUT


Azazel : démon habitant dans le désert, qui signifirait « Dieu a rendu fort ».
La malédiction d’Azazel est un roman se situant dans la première moitié du Vème siècle. Le héros, Hiba, originaire de la Haute Egypte est un moine copte monté à Alexandrie pour parfaire son savoir afin de devenir « le plus grand médecin de tous les temps » et un grand théologien. Alexandrie se révèle ne plus être ce qu’elle fut : le centre de la vie scientifique, philosophique, intellectuelle du monde, mais un lieu où règne l’intolérance religieuse plongeant la ville dans l’obscurantisme et la violence. Obligé de fuir, Hiba part pour Jérusalem où il rencontre le prêtre Nestorius, futur archevêque de Constantinople, dont la théologie est combattue par Cyrille son homologue d’Alexandrie avant d’être condamnée pour hérésie lors du concile d’Ephèse en 431. Hiba, finit par se retirer dans un couvent près d’Antioche où il peut exprimer ses talents de médecin et de poète.

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La malédiction d’Azazel montre les doutes, les questionnements que se pose le héros sur la vie, sur sa vie, sur Dieu. Par bien des côtés, il fait penser à son homologue égyptien, Saint Antoine, quand il est tenté par la chair féminine (à laquelle il succombe) et par le démon. Car Hiba n’écrit ses mémoires, sa vérité que poussé par Azazel. Azazel dont il ne peut se départir car le démon n’existe que par rapport à Dieu. Le démon n’est qu’une partie de lui même, habitant le désert de la solitude dans laquelle est plongé un homme qui doute, qui refuse de croire sans s’interroger sur ce auquel on l’oblige à croire. Si l’homme est bien le fils de Dieu, une partie de son être est en proie au démon. Vision manichéenne de la nature humaine divisée entre le bien et le mal, entre le spirituel et le temporel (dont les plaisirs éphémères de la vie), entre la volonté de salut et le risque de la damnation, entre la volonté divine et le libre arbitre.

Dieu est présent au quotidien. Il y a un certain fatalisme dans cette théologie des premiers siècles du christianisme qui n’est pas sans faire penser à celui de certains musulmans de nos jours : peu importe ce que l’on fait, notre destin est tracé par une volonté supérieure. Ainsi, ce n’est pas le médecin qui soigne, mais la volonté divine que le patient soit guéri. Mais, soumis à « la tentation du siècle », l’homme peut essayer de construire son avenir, il en a toujours la possibilité, mais au risque d’aller contre la volonté divine et donc d’être damné à tout jamais.

Et Habi est perpétuellement tiraillé entre ce qu’il pense être son destin à cause des promesses et des vœux qu’il a fait et les tentations de vivre une vie d’homme, une vie d’amour, représentée successivement par la païenne Octavie et par la chanteuse Martha, une vie intellectuelle symbolisée par la célèbre Hispéria, victime de l’intolérance religieuse de l’évêque Cyrille.

Habi se révèle être un homme qui vieillit en perdant progressivement toutes ses illusions, en se questionnant perpétuellement sur les choix qu’il a fait, qu’il pensait être les bons quand il a pris telle ou telle direction, mais dont il finit de douter de leur bien fondé quand il en perçoit les conséquences. Plus exactement, quand il fait les étapes de sa vie il se demande ce qu’elle aurait été s’il avait fait d’autres choix, si l’Amour ne lui aurait pas donné d’autres satisfactions que celles qu’il a eues.

Si Habi se comporte comme un homme libre, du moins suivant la définition que nous en avons de nos jours, c’est que c’est avant tout un homme curieux qui s’interroge sur les dogmes, les certitudes la société en pleine mutation dans laquelle il vit, sur le bien et le mal, sur Dieu. Il n’hésite pas à avoir une bibliothèque personnelle dans laquelle se trouvent les évangiles apocryphes et autres textes formellement condamnés et brûlés lors du concile de Nicée.

Il faut mettre au compte de la traduction, par ailleurs excellente, la mention au fiacre d’Hyspéria alors que ce véhicule n’apparait qu’au XVII siècle ou une promesse de Habi à son père à 18 ans alors que ce dernier était mort depuis 9 ans.

La malédiction d’Azazel est un livre contre l’intolérance religieuse, sur fond des massacres dont fut parsemée l’histoire d’Alexandrie au V siècle. Youssef Ziedan, directeur du département des manuscrits à la bibliothèque d’Alexandrie, sait sur quoi il écrit, l’ancien gouvernement des frères musulmans lui ayant intenté un procès pour insulte à la religion.

Peu importe l’époque, peu importe la religion, l’intolérance est toujours synonyme de mort et d’asservissement de l’homme. Et dans ces époques troublées, « l’homme libre », l’homme qui souhaite diriger sa vie, faire valoir sa volonté et son libre arbitre, finit seul en proie à ses démons, avec l’Azazel qui vit en lui.
Emile Cougut


La malédiction d’Azazel

Youssef Ziedan

éditions Albin Michel. 22,80€. sortie en librairie le 2 janvier


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