Reform in action or the sense of the state. Culture and arts cements of a free and modern society.


La chronique de Pierre-Alain LÉVY.


Un chartreux en eût perdu son latin, ou plus précisément dans le dossier sur les intermittents du spectacle qui nous préoccupe, il devenait difficile de saisir les subtilités du dossier tant les revendications des uns ou les surprenants silences des autres jetaient le trouble sur notre faculté à démêler un écheveau administratif et juridique pour le moins compliqué. D’un côté le patronat, et les syndicats CFDT, FO, CFTC signataires de l’accord, de l’autre, les non-signataires CGT, CGC.

Olécio partenaire de Wukali

Certes notre solidarité avec les intermittents du spectacle était entière et nous observions avec inquiétude la mèche allumée des mouvements des intermittents qui grossissait un peu partout en France et menaçait les festivals de l’été.

Dans ce dossier entre l’Unédic et les partenaires sociaux, l’état était pris entre deux, ou plutôt trois feux, et se devait d’intervenir. Il l’a fait en nommant dans un premier temps un coordinateur Jean-Patrick Gille, qui a remis dès hier son rapport et a réussi comme l’écrit dans le Monde, Clarisse Fabre, «à convaincre l’ensemble des protagonistes de s’asseoir autour de la même table» et c’était loin d’être chose facile.

Puis peu après, une intervention du Premier Ministre Manuel Valls vint apporter quelques précisions de poids pour faire émerger un accord entre les partenaires sociaux et les intermittents.


Pour la première fois dans l’histoire des négociations entre l’Unedic et les partenaires sociaux, l’état va intervenir et cela est à souligner et est au crédit du gouvernement, certes cela nécessitera une négociation serrée, une communication forte, mais il est indéniable que les intérêts des intermittents seront préservés. Il s’agit de « refonder » le régime de l’intermittence, de revoir les modalités de versement de l’allocation-chômage et le différé de versement des indemnités de chômage tel envisagé dans l’accord Unédic contesté passe à la trappe ( lire l’article du Monde en annexe). Bien plus, le volontarisme du gouvernement pour non seulement apaiser les tensions mais plus profondément dégager des perspectives enfin respectueuses des intérêts bien compris de tous et tout particulièrement des artistes et des techniciens du spectacle est porteur d’optimisme et patent. Cela se traduit notamment par des interventions financières.

Qu’il est difficile de réformer en profondeur un société sclérosée depuis des décennies par l’immobilisme, le surplace ou les petites lâchetés et hypocrisies politiques conceptuelles érigées en doctrines conservatrices; ou face aux criailleries contestataires de toujours, irresponsables ! Il conviendrait que cela se sache !

Pierre-Alain Lévy

WUKALI. 20/06/2014


Lu dans la presse/ Le Monde.

Décidément, rien ne s’est passé comme prévu. A 14 heures, jeudi 19 juin, on apprenait que le député Jean-Patrick Gille devait accélérer la cadence et remettre ses propositions fissa au premier ministre, à 17 heures, sur le dossier ultra-sensible des intermittents du spectacle. Le rapport du député socialiste a finalement été rendu public un peu avant 18 heures, mais patatras…
Pendant la conférence de presse, à Matignon, à 19 heures, le premier ministre a dévoilé ses propres axes de réforme, prenant définitivement la main sur ce sujet « brûlant ».

Manuel Valls n’a pas retenu la piste évoquée par Jean-Patrick Gille, qui préconisait de différer au 1er octobre les annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’Unedic, issues de l’accord du 22 mars. « Un tel report, de toute façon, n’aurait pu être décidé par l’Etat seul, mais seuls les partenaires sociaux auraient pu le décider », a précisé Jean-Patrick Gille, à l’issue de la conférence de presse.

Jean-Patrick Gille, démineur sur le champ de bataille des intermittents

D’une part, Manuel Valls a confirmé que l’accord du 22 mars sur l’assurance-chômage sera bien agréé par le gouvernement (probablement le 26 juin). C’est une douche froide pour le monde de la culture, car cet accord fait l’unanimité contre lui : en effet, il reconduit, en l’aggravant par un certain nombre de mesures, le « protocole » contesté du 26 juin 2003, lequel avait déclenché l’annulation des festivals d’été.

Nos explications : Si vous n’avez rien suivi à la crise des intermittents

C’est pourquoi le premier ministre a fait quelques annonces, qu’il qualifie de « main tendue », dans l’espoir de répondre aux inquiétudes. Il a par ailleurs appelé à « la responsabilité de chacun », évoquant implicitement les menaces de grève qui planent sur les festivals d’été.

Intermittents et médiateur sous tension

Une concertation tripartite pour « refonder » l’intermittence
C’est une première, dans l’histoire des annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) de l’Unedic. L’Etat va entrer en jeu dans la concertation tripartite qui va s’ouvrir « dès que possible, la semaine prochaine probablement », comme l’a précisé l’entourage de Manuel Valls à l’issue de la conférence de presse.

En onze jours, soit depuis sa nomination par le premier ministre le 7 juin, Jean-Patrick Gille a réussi à convaincre l’ensemble des protagonistes de s’asseoir autour de la même table pour discuter. Les signataires de l’accord du 22 mars sur l’assurance-chômage (le patronat, et les syndicats CFDT, FO, CFTC), comme les non-signataires (CGT, CGC), sans oublier la Coordination des intermittents et Précaires (CIP), qui a élaboré dès 2003 un modèle alternatif, depuis lors chiffré et soutenu par nombre d’élus de tous bords.

Cette concertation, qui pourrait durer jusqu’à la fin de l’année 2014, sera pilotée par trois personnalités : Hortense Archambault, ancienne codirectrice du festival d’Avignon, avec Vincent Baudriller ; Jean-Denis Combrexelle, ancien directeur général du travail, présenté comme un « spécialiste de l’ingénierie sociale » ; enfin Jean-Patrick Gille, pour sa capacité à animer le dialogue social.

La mission est immense, puisqu’il s’agit de « refonder » le régime de l’intermittence : non seulement les modalités de versement de l’allocation-chômage, mais aussi la gouvernance des négociations. La faible représentativité des partenaires sociaux actuels dans le secteur de la culture est bien l’un des problèmes actuels (qui est présent à la table, en tant qu’entité représentative des artistes et des techniciens du spectacle, qui décide, etc. ?)

Exit le différé issu de l’accord du 22 mars

C’est la seule mesure concrète annoncée par le premier ministre. Le différé est une sorte de délai de carence, avant le versement des indemnités de chômage. Il a été renforcé dans la dernière ligne droite des négociations, et de manière improvisée, puisque le dispositif aboutissait à imposer un « différé » à des intermittents aux revenus très modestes.

C’est d’ailleurs l’une des mesures qui a déclenché la colère du secteur. Entre temps, le différé a été « corrigé » par les partenaires sociaux eux-mêmes, en vue d’épargner les plus bas revenus, mais cela n’a pas suffi. Cette mesure, a annoncé le premier ministre, ne sera tout simplement pas appliquée.

Une fois l’accord du 22 mars agréé, les intermittents auront le même différé qu’auparavant (dans l’ancien dispositif, il ne concernait qu’une petite minorité d’intermittents, aux revenus confortables). En année pleine, le différé issu de l’accord du 22 mars visait à économiser 90 millions d’euros. Par conséquent, l’Etat va « reverser » à l’Unedic le manque-à-gagner lié à la non-application de cette mesure, soit « environ 40 millions d’euros » pour la période allant de juillet à fin décembre 2014.

L’engagement de l’Etat n’est pas limité dans le temps, mais il sera maintenu tant que la concertation n’aura pas abouti à un nouveau régime d’assurance-chômage. Sur le différé, l’Etat va plus loin que Jean-Patrick Gille, lequel préconisait dans son rapport le report du différé pour une durée de six mois.

.
Le retour à une « date-anniversaire » ?

Cette concertation tripartite sera l’occasion de mettre tous les sujets sur la table, y compris les plus tabous, comme le retour à la « date-anniversaire », un symbole fort pour les intermittents.

De quoi s’agit-il ? Avant la réforme de 2003, les intermittents devaient réaliser 507 heures en douze mois pour être éligible aux indemnités chômage, pour une durée d’un an. Leur dossier était examiné chaque année à une date fixe, dite « date-anniversaire », ce qui constituait un repère important. On faisait le calcul des heures effectuées depuis un an, et on savait si on pouvait, ou non, « toucher » les indemnités.

Bref, les modalités de versement étaient assez simples et claires, et visaient à compenser l’incertitude inhérente à l’activité des artistes et des techniciens du spectacle : ceux-ci ont des missions de durée plus ou moins courte (création d’une pièce de théâtre, concert, tournage d’un film, etc), auxquelles vont succéder des périodes de chômage.

Or, en 2003, les règles de calcul ont été modifiées : désormais, les 507 heures doivent être effectuées en dix mois (pour les techniciens), ou en dix mois et demi (pour les artistes), et les indemnités sont versées sur une durée de 243 jours. Les intermittents ne savent pas toujours à quelle date leur dossier va être réexaminé, et si toutes les heures travaillées seront utilisées dans le calcul des 507 heures. Jean-Patrick Gille ne dit pas autre chose dans son rapport.

Manuel Valls, lui-même, lors de la conférence de presse, l’a reconnu avec ses propres mots : « A l’insécurité des métiers s’ajoute l’insécurité de l’indemnité chômage, la coupe est pleine ». C’est ce que clament les intermittents depuis onze ans, et leur diagnostic sur le protocole de 2003 est désormais « validé » au plus haut niveau de l’Etat. Reste à savoir si les partenaires sociaux seront prêts à rétablir la date-anniversaire. A moins que l’Etat ne prenne sa part dans le surcoût généré, si surcoût il y a. Cette piste fera évidemment l’objet de chiffrages.

Prise en charge d’une partie du financement du régime des intermittents

Manuel Valls estime que l’assurance-chômage des intermittents du spectacle « est une forme indirecte de soutien à la création artistique ».

Pour comprendre cette phrase, plutôt inédite dans la bouche d’un politique, prenons un exemple : un comédien peut accepter de faire des répétitions non payées (ou seulement en partie) pour une pièce de théâtre, parce qu’il reçoit par ailleurs des indemnités de chômage au titre des heures de travail qu’il a déjà effectuées – les fameuses 507 heures en dix mois et demi. Ces répétitions non payées permettent de réduire le coût d’un spectacle, quand les moyens de création ne sont pas suffisants. Dans ce cas, les indemnités de chômage viennent d’une certaine manière pallier l’insuffisance du budget de la création artistique en France – à cet égard, le premier ministre a annoncé que le budget du spectacle vivant (et non pas le budget global de la culture, qui devrait continuer à diminuer) sera préservé en 2015, 2016 et 2017.

L’Etat, a dit Manuel Valls, doit désormais prendre sa place dans le financement des annexes 8 et 10. Mais il ne s’agit en aucun cas de créer « une caisse autonome », a précisé son entourage. Les intermittents demeurent bien dans la solidarité interprofessionnelle.

Quelle sera l’ampleur de l’engagement financier de l’Etat ?

Le premier ministre n’a donné aucune précision. Tout dépendra des pistes qui sortiront de cette concertation tripartite, a-t-il dit en substance. La promesse d’un nouveau régime, plus juste, plus équitable est belle, et l’annonce concrète sur le « différé » est, certes, une preuve du volontarisme du gouvernement. Mais, pour l’instant, les intermittents n’ont pas grand-chose à se mettre sous la dent. L’accord du 22 mars va s’appliquer, alors que la Coordination et la CGT-spectacle avaient fait du non-agrément un préalable pour la cessation des annulations de spectacles.

Clarisse Fabre


Illustration de l’entête: photo/ Le Monde


Ces articles peuvent aussi vous intéresser