National Youth Orchestra of Iraq (NYOI), music in an ocean of daily dreadful violences.


La chronique de Pierre-Alain LÉVY.


Classifiée par les agences de presse et les médias entre information de politique étrangère et vie culturelle musicale, la dépêche peine à être diffusée auprès du grand public (seulement un entrefilet radiophonique sur France Musique). Ainsi l’orchestre national des jeunes d’Iraq, “National Youth Orchestra of Iraq (NYOI)”, est contraint, vue les événements tragiques du pays, d’annuler la tournée prévue cet été aux USA où il devait notamment s’installer en résidence en Août prochain à Chicago. Certes parler de musique dans un contexte politique pareil pourrait paraître ubuesque ou s’apparenter à une gageure et pourtant …

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Voici la situation actuelle en Irak. Après s’être emparés de Mossoul الموصل au nord, les djihadistes de l’Armée islamique de l’Irak et du Levant, الجيش الإسلامي في العراق (EIIL) et d’Al Qaeda alliés aux Baassistes (ex officiers et soldats de Saddam Hussein) qui combattent le gouvernement irakien, avancent sur Bagdad 450 kms au sud, tandis que les kurdes irakiens s’apprêteraient dit-on à proclamer leur indépendance. C’est une guerre barbare qui fait rage dans les territoires conquis, où les exécutions de masse de soldats irakiens par les jihaddistes est quotidienne. Des image insoutenables d’une exécution par les jihaddistes de soldats irakiens faits prisonniers, entassés dans des bennes de camions, mains liées, puis abattus à la mitraillette sur un chemin de terre en plein champ, diffusées incroyablement par l’EIIL qui s’en glorifie, circulent actuellement sur internet. Toute une série. Nous les avons visionnées. Elles viennent d’être certifiées véridiques par l’AFP qui les a reçues et qui les a soumises à des examens d’investigation numérique sophistiqués attestant de leur authenticité et a décidé de les rendre publiques.

La raffinerie de Baiji, la plus grande raffinerie d’Irak, est en feu. Le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, a demandé aux USA des frappes aériennes contre les djihadistes. Barak Obama a ordonné le déploiement du porte-avions USS George H.W. Bush sur zone dans le Golfe persique et réfléchirait à l’emploi de drones. Selon nos informations, il semblerait que les djihadistes se soient emparés dans un ancien dépôt d’armes, de stocks de gaz chimiques, sarin et gaz moutarde, datant de l’époque de Saddam Hussein et dont on assurait qu’ils étaient rendus inopérants, leurs containers ayant été coulés dans du béton. Les services américains sont peu prolixes pour renseigner à ce sujet.

Les services consulaires et diplomatiques de l’ambassade américaine à Bagdad craquent de toutes parts et les personnels sont répartis dans différents endroits de la capitale. Les services de délivrance de visas ne fonctionnent plus. 300 marines américains des forces spéciales sont attendus pour appuyer l’armée irakienne.

Cette déroute militaire irakienne signe la déculottée de la diplomatie américaine, celle de George Bush comme celle de Barak Obama. L’un, va-t-en guerre, a voulu redessiner dans une vision stratégique et économique impériale l’Irak sous la pression des dirigeants d’ Halliburton et de Dick Cheney, sans connaissance profonde des réalités culturelles du pays et favorisant la minorité chiite au risque d’une confrontation de grande ampleur dans la région (ce qui est d’ailleurs entrain de se produire en Syrie); l’autre s’est inscrit dans un angélisme pacifique digne du plus mauvais Jimmy Carter laissant ainsi les forces de l’Islam radical prospérer en Égypte et les pays de l’Afrique du nord notamment avec les Frères musulmans. De deux choses l’une, il s’agit en l’occurrence soit d’une innocence interprétative ou d’un cynisme politique machiavélique et aberrant permettant ainsi aux islamistes radicaux d’accéder au pouvoir pour mieux chuter ensuite et devenir impopulaires du fait de leur inconsistance économique et politique. Variantes calamiteuses d’un docteur Folamour incarné à la Maison blanche. Inquiétant ! Ce scénario catastrophe se réplique plus loin à l’est, en Afghanistan. Le Proche-Orient avec l’Irak et la Syrie est non seulement devenu un champ de bataille incandescent, brandons pour de nouvelles guerres, mais aussi un champ de manoeuvre et d’entraînement pour des fous de dieu qui éructent des versets assassins et sont prêts à la guerre sainte, au «djihad   ».

En contraste avec ce déferlement de violences, l’orchestre national des jeunes d’Iraq créé en 2009 par la jeune pianiste iraqienne Zuhal Sultan Mohammed, alors âgée de 17 ans, s’est fixé pour objectif de redonner espoir à tous les jeunes musiciens irakiens sans tenir compte des différences, des luttes tribales, des barrières et des haines intestines qui traversent les communautés ( arabes, chiites, kurdes, sunnites). Reconstruire la paix, refaire société, à partir de la musique en partage. L’intention est louable, quoique peut-être très utopique eu égard au contexte local… ! Voyager à l’étranger, reprendre goût à la paix, toutes différences acceptées, sereinement, normalement, en sécurité. L’orchestre a ainsi déjà participé à des festivals de musique en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, aux USA.

L’idée (largement inspirée du West-Eastern Divan Orchestra fondé par Daniel Barenboim, pianiste et chef d’orchestre, citoyen israelo argentin et Edward Saïd, aujourd’hui décédé, d’origine chrétienne et palestinienne, et dont nous avons maintes fois parlé dans les colonnes de Wukali, voir les articles au bas du texte) a pour dessein de rassembler chaque été en Irak pendant deux semaines des jeunes musiciens du pays dans des académies musicales, des ateliers de répétition, et sous la houlette de grands interprètes solistes de la scène musicale internationale.

A cette structure il fallait d’évidence un chef et ce fut Paul MacAlindin, jeune chef anglais, qui offrit ses talents. Ce dernier d’ailleurs est familier de cette pédagogie musicale auprès de jeunes musiciens issus de pays en crise, il a dirigé des orchestres de jeunes en Croatie comme en Arménie. Un des premiers concerts de l’orchestre national des jeunes d’Iraq, hors du pays, eut ainsi lieu à Londres en 2013 et connut un grand succès. Près de 40 jeunes musiciens composent à l’heure actuelle cet orchestre, et chacun d’entre eux reçoit en temps réel et à domicile des cours privés donnés par des interprètes et professeurs de musique de renom ou des chefs via internet. C’est ainsi que, grâce aux performances de la technologie et des systèmes de communication et de transmission d’images, de textes et de sons ( et oui il s’agit de musique) tel Skype ou YouTube et autres médias de la toile, la pénurie (pour ne pas dire l’absence) de professeurs de musique en Irak a pu être corrigée.

Dans le communiqué diffusé par l’orchestre national des jeunes d’Iraq pour informer de l’annulation de leur tournée américaine, un salut amical est porté à l’Elgin Youth Symphony Orchestra, avec qui il devait jouer dans l’Illinois aux USA

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les forces armées irakiennes se battent à Ramadi 380 km à l’ouest de Bagdad pour repousser les assaillants djihadistes. Qui disait donc que la musique apaisait les moeurs ?

Pierre-Alain Lévy

WUKALI. 21/06/2014


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Illustration de l’entête: Musiciens de l’orchestre national des jeunes d’Iraq au Festival Beethoven à Bonn. 2011


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