Avignon Theatre Festival, as usual a gleeful theatre celebration !


La chronique théâtrale et festivalière de Marie-Claude BUSSO.


Depuis des semaines, les intermittents du spectacle sont en grève… La presse nous informe quotidiennement des causes de leur mécontentement et des menaces qui pèsent sur tous les festivals. Montpellier supprimé…

Olécio partenaire de Wukali

Ah ! Mais c’est donc grave ?…

Qu’adviendra-t-il d’Aix, Arles, Uzès, Marseille, Avignon ?…

Tant d’investissement humain et financier durant toute une année peuvent-ils être réduits à néant en quelques heures ? Les intermittents ne risquent-ils pas de couper la branche sur laquelle ils sont assis ? Branche fragile, certes, mais qui a le mérite d’exister. Les festivaliers, dans le doute, ne vont-ils pas se détourner et chercher leur plaisir ailleurs ?
Catastrophe annoncée… Cassandre est parmi nous.

« La guerre de Troie n’aura pas lieu ! »
« Elle a eu lieu !
» (Dernière réplique de Giraudoux).

Au Festival d’Avignon, 80 % des intermittents se prononcent pour le maintien de l’événement. Mais les grévistes passent à l’acte. Le Directeur Olivier Py, compréhensif, cependant la mort dans l’âme, annule les deux premiers spectacles du « In », le 4 juillet, pour cause de grève.

« Le ballet Coup fatal » ne sera pas donné. Désolant. Désolés.

« Le Prince de Hombourg », dans une mise en scène de l’Italien Giorgio Barberio Corsetti, avec Anthony Devaux, devait se jouer dans La Cour d’Honneur. Annulé.
La Cour d’Honneur du Palais des Papes sera sans vie le jour de l’ouverture du Festival d’Avignon. Incroyable. Sacrilège.

Qu’en pense l’ombre de Jean Vilar qui plane en ces lieux prestigieux où il a monté la pièce de Heinrich Von Kleist, en 1951 ? Et l’âme de Gérard Philippe, éblouissant dans ce rôle qu’il a marqué à jamais ? Attristés ? Dubitatifs ? D’accord ?…

Malaise au Palais des Papes

L’ouverture du Festival « In » 2014 ne se fait que le lendemain, 5 juillet, à 18h, avec l’étrange particularité de n’être pas dans la Cour d’Honneur. « Orlando ou l’impatience », comédie écrite et mise en scène par Olivier Py, se joue à la FabricA, nouveau théâtre installé dans un quartier sensible du côté de Monclar. Le Festival d’Avignon n’est pas avare de surprises !

« Le Prince de Hombourg » est joué le 6, dans la Cour d’Honneur. Un orage d’une violence inouïe oblige le directeur à interrompre la représentation une demi-heure avant la fin et à évacuer les spectateurs. Malchance ou malédiction sur cette oeuvre …
Un journaliste écrit : « Désarroi et confusion sont de plus en plus palpables chez les artistes et chez les spectateurs ».

Une journée de grève est prévue pour le « In » le samedi 12 juillet où 13 spectacles sont prévus. 46% des intermittents votent. 65 % d’entre eux se prononcent pour la grève. Le directeur annonce à la mi-journée quels spectacles sont maintenus. Selon Olivier Py, le coût des annulations s’élève à 138 500€. Il affirme : « Je ne pense pas que la grève soit une bonne stratégie, c’est plutôt une tragédie. Le public a tenu bon, c’est une immense fierté ». 82% des places sont vendues.

Oui, désarroi et confusion règnent.

Les étrangers se montrent quelque peu surpris. L’Italien, metteur en scène du « Prince de Hombourg », établit une comparaison entre la France et son pays : «Jouer est la meilleure forme de lutte. En Italie, les théâtres ferment ! ».

Les interprètes japonais du Mahabharata de Satoshi Miyagi considèrent que jouer est un acte sacré. Faisant fi de l’absence de techniciens, ils choisissent de donner gratuitement des extraits de leur spectacle, avec costumes et accessoires, sur la place devant le Palais des Papes. Les simples passants et promeneurs forment vite un public admiratif et enthousiaste.

Comme d’habitude, on ne parle pas du « Off ». Pourtant, 1083 compagnies doivent jouer 1307 spectacles.

Qu’en est-il des menaces de grève dans le « Off » ?

Pour la petite troupe de province, qui boucle difficilement son budget avec l’aide de sa commune ou de son Conseil Général, aller jouer en Avignon est une folie qu’elle s’offre. Par envie, par passion. Si elle vient de payer (très cher) sa location de salle pour 1h30 chaque jour, si elle sait que son séjour en Avignon lui coûtera entre 20 000€ et 30 000€, elle ne peut compter que sur sa billetterie pour équilibrer ses comptes. Et encore !!!… Il serait suicidaire pour elle de ne pas jouer. Pourtant elle éprouve les mêmes craintes que les autres pour son assurance chômage et son avenir. Mais a-t-elle le choix ?
Alors les intermittents du « Off » organisent dans l’après-midi du 5 une marche silencieuse en habits sombres. Tristesse, deuil, mal être… Loin, très loin de l’extravagante fête débridée, joyeuse et bruyante, de la grande parade d’ouverture habituelle.

Un comédien participant à ce défilé, Jean-Pierre Dupin, résume la situation : « Je suis intermittent, certes, mais j’ai loué une salle, je ne vais pas me faire la grève !!! »
Cependant, un préavis de grève dans le « Off » est déposé pour le lundi 7 juillet. Et c’est justement ce jour-là que j’ai la possibilité de m’y rendre !!!

Le hall de la gare d’Avignon est plein de monde. Les gens, tournés vers la rue, sont comme bloqués là. Que se passe-t-il ? Y aurait-il une manifestation des intermittents grévistes ?

En réalité, il tombe des hallebardes sur les remparts ! Encore un orage monumental. Etrange ambiance : les terrasses sont désertes, les passants prudents sur les pavés glissants. Les affiches arrachées par le vent occupent les rues.


Mais où sont donc les festivaliers ?

A l’Office de tourisme, je me procure ma carte du Off et l’indispensable, et remarquable, catalogue. Après quelques coups de fils, le garçon de l’accueil m’affirme que les théâtres que j’ai sélectionnés « jouent normalement ».

Comme d’habitude, le choix s’avère difficile tant les propositions sont variées, originales, alléchantes. En attendant le précieux bouche à oreille, qui semble s’abstenir aujourd’hui, je décide de me fier aux textes, aux artistes et aux lieux que je connais.

Je m’aperçois d’abord, avec soulagement, que les festivaliers sont, tout naturellement, dans les théâtres, aussi nombreux que les années passées, aussi avides de découvertes, aussi bavards sur ce qu’ils ont vu ou vont voir. Personne ne parle de grève. Tout au plus, d’un parapluie volé dans l’entrée d’un théâtre, retrouvé dans la rue, abritant un jeune homme qui avait trouvé naturel de le prendre puisqu’il pleuvait et qui le rend en souriant…

Me voici donc à la recherche d’un beau texte

« L’homme qui tua Don Quichotte », au Théâtre du Petit Chien , me vaut une heure délicieuse en compagnie d’une actrice, Déborah Lamy, d’un livre ancien et d’une guitare. Le texte de Cervantès, magnifiquement servi par une voix modulée et tendre, une gestuelle minimale s’appuyant essentiellement sur l’objet-livre, réveille en nous une sympathie réelle pour ce fantasque chevalier et pour son écuyer, Sancho Pança, généreux serviteur, respectueux des projets fous de son maître et ami. Une humanité qu’un public lettré est venu chercher et qu’il retrouve avec émotion.

J’avais entendu parler de la pièce de Jacques Rampal, « Célimène et le Cardinal », lors de sa sortie à Paris il y a plus de 10 ans. Elle est à l’affiche de « La Luna ». Je n’hésite pas. Une suite au « Misanthrope », audacieux défi… Des alexandrins offerts en pâture à des oreilles actuelles déstructurées, folie d’un amoureux de notre langue… Alceste, retiré du monde, est maintenant un prélat au pouvoir considérable. Pierre Azéma, très grand, la voix forte, le verbe haut, l’incarne à merveille. Il paraît démesuré sous son immense chapeau et dans sa longue soutane rouge de cardinal mais il n’impressionne pas Célimène, la belle Gaëlle Billaut-Danno, parée d’une robe magnifique et seyante. Elle est mariée à un bourgeois (en cela elle a dérogé puisqu’elle était de noble condition), mère de 4 enfants, heureuse. Libre et libertine. Cette jeune femme qui refuse la soumission annonce déjà le 18° siècle et ses « Lumières ». Elle répond avec finesse et ironie à la violence du radicalisme religieux de son amant (amant, au sens 17° siècle) qui veut la sauver du péché et de l’enfer. Certes, ils s’aiment toujours… mais, entre eux, resurgissent les mêmes impossibilités qu’autrefois. Une pièce magnifique aux dialogues ciselés. Du vrai bon théâtre que le public applaudit avec enthousiasme. Je suis persuadée que Molière ne renierait pas cette suite impertinente à son « Misanthrope » !

La grande figure du « Off » qu’est Pierrette Dupoyet se produit, comme chaque année, dans trois théâtres différents. « Côté Rimbaud », à L’Albatros. « Jaurès assassiné deux fois », au Buffon, grand succès 2013. « Tchaïkovski, mon fol amour », à La Luna. Dans cette dernière création, elle rétablit une vérité méconnue sur ce génial compositeur : son homosexualité, gardée secrète dans la Russie des Tsars où c’est un délit, cachée derrière les liens sacrés du mariage. Pierrette incarne l’épouse, jamais honorée, bafouée, méprisée. Cette Antonina, éperdue d’amour, clame sa souffrance et sa folie. Le décor est très russe grâce aux objets qui contribuent à la mise en scène. La musique, particulièrement « La symphonie pathétique », accompagne les paroles et leur confère une sensibilité plus affinée, une charge émotionnelle plus lourde. Antonina porte sa robe de mariée, énorme, gonflée de plumes de cygne, volumineuse et encombrante, à la mesure de sa douloureuse démence. Le spectateur est d’abord surpris par ce costume disproportionné. Puis il se laisse porter par le texte, le propos, l’actrice… Silencieux, tendu, ému, il vibre à l’éclatement d’une passion éperdue, à l’extériorisation violente d’une douleur féminine intime, aigüe, insupportable. Une fois encore, le talent de Pierrette Dupoyet, le choix des causes qu’elle défend, remportent l’adhésion du public dont l’émotion palpable se prolonge dans l’absolu d’un silence protecteur, avant d’éclater en applaudissements reconnaissants.

Ce lundi 7 juillet 2014, le festival « Off » m’apporte autant de découvertes originales que les années précédentes, sans l’ombre d’une contestation visible, malgré le préavis de grève.

Quelques jours plus tard, je décide d’y emmener mes petites-filles, 11 ans, 9 ans. Elles gardent le souvenir ébloui de « Kid Manoir » 2012, comédie musicale de haute qualité destinée à un public jeune. Le CD qu’elles en ont rapporté a quelque peu lassé les oreilles de leurs parents mais elles peuvent en chanter tous les morceaux. Cette année, l’équipe de ce grand succès ne joue pas « Kid Manoir 2 », qui tournera en France à partir d’octobre, mais « Hansel et Gretel ». Bien qu’on puisse en attendre beaucoup sur le plan artistique, cette histoire allemande de « Petit Poucet » ne me paraît pas correspondre à la maturité de mes petites-filles, maturité qui m’étonne chaque jour. Si je pouvais leur faire découvrir Molière ?

Nous voici au premier rang (car elles se faufilent) sur les bancs du « Théâtre de l’Observance » où nous attendons « Les Précieuses Ridicules ». Une version classique, en costumes d’époque. Une mise en scène joyeuse et burlesque, sur un rythme effréné. Des artistes confirmés, en osmose avec le public. Un jeu jubilatoire, outré mais pas inconvenant pour cette pièce. Mes petites rient beaucoup, prises par l’histoire qui pourrait être contemporaine et qu’elles comprennent fort bien. Et lorsque les « Précieuses », robes somptueuses et talons hauts, descendent de scène et s’assoient près d’elles, sur notre banc, tout en continuant leurs répliques et leurs gestes maniérés, elles se sentent projetées dans l’action et vivent un moment d’une intensité rare. L’affiche est en vente pour 1€. Une actrice la signe, en indiquant le prénom de chacune et en ajoutant une grosse bise. « Je la mettrai dans ma chambre ». « Moi aussi ». Ainsi, Molière a déjà une place dans leur vie, j’en suis enchantée. Certes, à côté de leurs Nintendo DS et autres tablettes… On n’échappe pas à son époque… L’essentiel est que Molière y soit entré par plaisir et non par obligation scolaire. La Compagnie « BENOIT and Co » fait du bon travail !

L’après-midi se passe à flâner dans les rues surpeuplées, déguster une glace, s’arrêter pour admirer des groupes costumés, une démonstration sportive, musicale, artistique, parler avec les acteurs qui distribuent leurs « flyers » et vous expliquent leur spectacle… L’ambiance d’Avignon ! Cette ambiance inégalable qui donne envie d’y revenir.
Nous finissons la journée par un excellent spectacle de magie pour enfants, avec la belle et gentille sorcière Yogane. Mais mes filles sont déjà trop grandes et ne se sentent pas à leur place au milieu de tous ces jeunes enfants. Elles ont préféré être parmi les adultes, avec Molière.

Mon programme de vacancière sétoise m’accorde l’opportunité de retourner en Avignon le 19 juillet, lorsque le festival bat son plein, pour y rejoindre mes cousins, aussi passionnés que moi par le « Off ». Ils logent à l’hôtel (retenu un an à l’avance et payé trois fois plus cher qu’habituellement !) et vivent, pendant presque une semaine, de et pour le théâtre. 6 spectacles le premier jour ! Léger fléchissement du score dès le lendemain… Je note ce qu’ils ont préféré (spectacles qui pourraient être les premiers que je verrai l’an prochain s’ils sont rejoués !…). « Jeanne et Marguerite », « De quoi parlez-vous ? », « Le baiser de la veuve », « L’affaire Dussaert » (critique acerbe du monde de l’art), « L’Odyssée », « Etre ou paraître »… Et, en première place, « Camille Claudel » ou, pour la qualité musicale, « Les bons becs en voyage de notes ».
Les théâtres sont pleins. Il faut réserver plusieurs jours à l’avance les spectacles portés par une rumeur favorable. Ainsi, nous n’aurons pas de places pour « Noce chez les petits bourgeois », comédie de Bertold Brecht, ni pour « Ruy Blas et les moutons noirs », Victor Hugo revisité et actualisé par de diables de comédiens. Dommage !!! L’an prochain, peut-être…

Nous nous retrouvons à 12h, au Théâtre des Corps Saints , pour « La Palatine ». Charlotte-Elisabeth, Princesse Palatine, belle-sœur du Roi Soleil et épouse de Monsieur, écrit de longues lettres à sa famille allemande dont son mariage l’a séparée. Elle raconte Versailles, les intrigues, les dessous des événements, l’ambigüité des personnages, sa vie, ses sentiments… Comme elle ne mâche pas ses mots, ne craignant pas le langage grivois, voire scatologique, elle nous livre un tableau irrévérencieux, véridique et croqué sur le vif, de cette Cour Royale très différente des images d’Epinal que nous sert l’histoire officielle. Le texte est donc particulièrement intéressant et savoureux. Amusant aussi. Marie Grudzinski fait vivre La Palatine d’une façon magistrale. Extraordinaire présence d’une actrice, pétillante et malicieuse. Elle se transforme grâce à l’ajout de vêtements et vieillit inexorablement sous nos yeux admiratifs. Un échange, une connivence s’établissent entre elle et son public qu’elle entraîne à sa guise vers la tristesse, la joie, l’humour, l’ironie. Un petit bijou théâtral. Un vrai moment de bonheur.
La file d’attente s’allonge, depuis la porte du Théâtre du Roi René jusqu’au bout de la rue Grivolas. Le ciel est chargé, des coups de tonnerre claquent, le vent s’engouffre, arrache cartons et affiches publicitaires, ne tolère aucun chapeau de soleil sur les têtes. On nous fait enfin entrer alors que les premières gouttes orageuses s’abattent sur nous. Il ne reste pas une place libre dans « La Salle du Roi » qui en contient 132. Nous connaissons la Compagnie Bacchus pour avoir apprécié « Proudhon modèle Courbet » en 2013 et bavardé avec Jean Pétrement qui nous avait annoncé qu’il travaillait sur le célèbre ouvrage de Marguerite Yourcenar, « Les mémoires d’Hadrien ». Il EST l’Empereur Hadrien qui, à l’approche de sa mort, dresse un bilan de ses réussites et de ses échecs. Son amour de la liberté, son engagement humaniste ont marqué profondément son siècle, il le sait, il le dit. Le texte est difficile car philosophique et historique mais il est limpide grâce à quatre extraordinaires interprètes, une mise en scène sobre et précise. Un spectacle moderne, vivant, efficace, accompagné, d’une manière inattendue, par le bruit d’un gros orage extérieur qui s’intègre parfaitement au sujet de la pièce et participe à la mort d’Hadrien. Le public, cultivé, certainement lecteur de Yourcenar, se délecte.

Qui osera encore dire que le « Off » est un ramassis de n’importe quoi ??

Nous nous dirigeons vers le Théâtre de l’Etincelle, en nous réjouissant que la pluie soit tombée quand nous étions à l’abri. L’entrée de ce petit théâtre est décorée à l’ancienne : un fauteuil Voltaire, un téléphone antique, des objets hétéroclites et désuets, une certaine chaleur amicale, tant par l’accueil du régisseur et de son chien (habitué à vivre dans l’effervescence des coulisses) que par les tons rouges de la décoration. Là, on bavarde, on plaisante et… on se sèche.


« L’émule du Pape » ou « Du rififi chez les Borgia ».

Le rideau s’ouvre sur Tazzio, endormi devant l’imposant trône papal. Nous sommes au Vatican. Le sol est couvert des résidus d’une fête qu’on imagine gaie, bien arrosée, plutôt débridée que dévergondée. Le garçon est jeune, mignon, légèrement efféminé, fort bien vêtu (« C’est ce jeune styliste, vous savez, Michel Ange » – prononcer « che », pas « que »), pas très futé (il est jaloux de Florence car il ne perçoit pas qu’il s’agit de la ville)… Il jouit d’une situation qui lui permet d’arrondir son pécule : amant et émule du Pape. Parlant de ce dernier, Alexandre VI, il s’applique à employer le féminin et dit, avec le plus grand sérieux : « Elle ». L’effet comique, amplifié par la répétition, est certain.

« Monseigneur, j’ai bien peur qu’Elle soit devenue folle,
Dans son délire, elle dit : j’aurai Savonarole ».
« Mais qui ? », lui demandent Lucrèce et César, les enfants du Pape…
« Mais Sa Sainteté ! »
« Seigneur, le protocole est formel sur ce point :
Nous devons appeler le Pape : Sa Sainteté.
C’est une appellation d’origine contrôlée ».
Le ton est donné et le spectateur rit sans pouvoir reprendre son souffle tant le rythme des facéties est rapide.
De plus, le texte est truffé de clins d’œil littéraires :
« En ce temps-là, mon frère, Rodrigue avait du cœur ».
« Relisez vos classiques, c’est dans Victor Hugo ».

D’autres remarques rappellent des problèmes du monde actuel :

« Pas coupable, responsable »…

« Je te le dis, Lucrèce, il perd la boule le vieux ! Bientôt Savonarole et tous les fous de Dieu Vont faire la loi à Rome si nous n’agissons pas ». « Il va nous imposer l’abstinence et le voile ».

Remarquez les alexandrins ! Ils affirment un certain classicisme mais Michel Heim n’est pas formaliste. Il les traite avec légèreté. Dans un « Avertissement aux acteurs », il leur laisse, non sans humour, la liberté de « choisir quels « e » doivent être prononcés, lesquels peuvent rester muets, afin d’atteindre les douze pieds indispensables au rythme ».
« Adieu Saint Emilion, Saint Estèphe, Saint Amour,
Adieu ! Le p’tit Jésus n’a plus d’culott’ de v’lours ».

Le texte, porté par 4 excellents acteurs, une mise en scène éblouissante, de très beaux costumes, est désopilant. Non conformiste. Pas vraiment politiquement correct. « Une comédie pas très catholique », écrit Michel Heim. On rit aux larmes du début à la fin. Et le public se surprend à trouver bien plus sympathiques les turpitudes des horribles Borgia (assassinats, empoisonnements, inceste, débauche…) que l’intégrisme violent de Savonarole. Car, malgré tout, le sujet est sérieux.

Les spectateurs sortent réjouis, hilares, se répétant les bons jeux de mots qu’ils ont retenus. Cette joie, quelque peu explosive, et tellement rare en pleine rue, attire des questions : « Qu’est-ce que vous avez vu ? C’était bien ? – Oh oui ! Allez-y ! Allez-y ! Vous ne le regretterez pas ».

Ce dernier spectacle de mon festival 2014 m’a apporté beaucoup de plaisir, j’en ris encore. Peut-être irai-je le revoir à Paris cet hiver puisqu’il sera de nouveau à l’affiche ? Cette géniale équipe de trublions a créé « L’émule du Pape » à « La Folie Théâtre » en mai 2013. Grand succès Avignon 2014. A suivre absolument.

Le « Off » se porte bien. Toujours vigoureux, inventif, varié, vivant, vivifiant. Le public du « Off » aussi. Il est enchanté. Il suit. Il soutient. Il s’amuse. Il aime. L’air de rien, il se cultive…

Bien sûr, il reviendra l’an prochain pour retrouver « LE THEATRE » et son cortège de petits bonheurs : émotion, rire, partage, connivence, réflexion, évasion…

Le « Off », c’est comme le Châteuneuf du Pape, quand on y a goûté, on en redemande !

Marie-Claude Busso

24 juillet 2014


Illustration de l’entête: Pierrette DUPOYET. Tchaïkovski, mon fol amour , photo Pierrette Dupoyet ( ainsi qu’une photo dans le corps de l’article)

Illustrations annexes : Photos Marie-Claude Busso


WUKALI 25/07/2014

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