What will be the reactions in New-York at the MET performance of John Adams’s opera ?


Voici un événement qui bien au delà de son aspect musical bouleversera la scène new-yorkaise lors de sa première au MET qui aura lieu dans quatre jours, le 20 octobre et il ne faut pas être grand devin pour le présager ! Il s’agit en effet de l’opéra de John Adams La mort de Klinghoffer créé en 1991 à Bruxelles au théâtre de la Monnaie et qui sera joué pour la première fois sur la scène du MET à New-York en ce mois d’octobre 2014.

L’oeuvre dès l’origine avait suscité la controverse. En effet commandé à John Adams par la Brooklyn Academy of Music de New York, puis montée au théâtre de la Monnaie de Bruxelles avec la participation de l’Opéra de Lyon, son livret écrit par Alice Goodman est en effet établi sur un des tragiques événements qui avaient fait l’actualité en 1985: l’assassinat d’un américain paraplégique, Léon Klinghoffer, alors en croisière avec son épouse en Méditerranée sur l’Achille Lauro et qui avait été tué et jeté à la mer parce que juif, par des terroristes palestiniens du FPLP qui avaient pris l’équipage et les passagers du navire en otages.

John Adams a souvent nourri son imaginaire créatif en ayant recours à des événements de notre temps qui se sont inscrits à un titre ou à un autre dans l’Histoire. Il avait notamment déjà écrit un Nixon In China en 1984-1985 suivi donc de La mort de Klinghoffer en 1990-1991 au moment même de la Guerre du Golfe suite à l’invasion du Koweit par Saddam Hussein, puis en 2005 Doctor Atomic, qui raconte l’histoire de la mise au point de la bombe atomique par Julius Oppenheimer, metteur en oeuvre du projet Manhattan. Cette même oeuvre a d’ailleurs été montée à l’Opéra du Rhin à Strasbourg en mai dernier. John Adams a obtenu en 2003 le Prix Pulitzer en musique pour “On the Transmigration of Souls” œuvre commandée par le New York Philharmonic pour commémorer l’Attentat du 11 septembre 2001.

Olécio partenaire de Wukali

Faire le choix pour un artiste d’un sujet au coeur de l’actualité du moment est une constante de l’histoire des arts et de la pensée. Depuis Eschyle qui écrivit Les Perses, jusqu’à Goya, Delacroix, Picasso bien entendu l’on pourrait multiplier les noms et les titres des oeuvres, et la littérature tout particulièrement, tant la liste serait longue.

L’opéra au demeurant s’est très souvent nourri, à défaut de mythologies, de sujets historiques et politiques. Sous la couverture d’Aïda, Verdi parle plus de la lutte pour la liberté du peuple italien que des esclaves soumis dans l’Egypte ancienne à Radamès

La musique de John Adams «réactivant le thématisme et l’harmonie issus du post-romantisme, s’appropriant le rythme des musiques traditionnelles ou l’énergie euphorisante du jazz et du rock, sa musique, tout autant imprégnée de l’esprit expérimental californien des seventies, cherche à rassembler les influences multiples traversant la culture américaine, sous une signature identifiable et en renouvellant constamment les voies d’un langage de synthèse.»(Ircam-Georges Pompidou) . On ne peut mieux dire !

Dans cette histoire de New-York, dans cette controverse qui a mis aux prises au printemps dernier la famille de la victime qui n’accepte pas que l’oeuvre puisse être diffusée en direct en multivision dans le monde entier au risque d’alimenter la haine antisémite et la direction du Met ,ce n’est pas de musique qu’il est question, mais d’un manichéisme de façade qui met à parité la victime et le bourreau et font des terroristes des parangons de vertu. Les poètes ne sont pas toujours les plus inspirés pour parler de politique ou de diplomatie et nous ne parlerons même pas de ces histrions ou de ces demi-sels de pacotille qui accaparent tant aux USA qu’en France les plateaux des émissions de variété à la télévision tous bouffis d’une prétention ridicule.


Les« lyricophiles» comme certains se nomment, ne pourront donc pas s’installer dans une salle sombre d’un cinéma ou d’un multiplex ici ou là dans le monde pour écouter et voir en direct la diffusion depuis le Met à New-York de l’Opéra d’Adams. Avouons que c’est un peu dommage pour eux et pour ce qui nous concerne, nous n’estimons pas que le motif invoqué de caisse de résonance, si l’opéra d’Adams était ainsi diffusé en multivision, donnerait à l’activisme de la haine antisémite un nouvel élan dans le monde soit vraiment à retenir.

Le seul fait d’imaginer ces tarés de la haine, barbus improbables et enturbannés ou petits caïds ou paumés de banlieue ivres d’un djihad psalmodié, installés dans un moelleux fauteuil de cinéma pendant près de deux heures pour assister à un concert d’un opéra de musique contemporaine de surcroît et qu’ensuite ils se répandent dans les rues éructant leurs slogans barbares auprès de masses abruties, a quelque chose de tellement incongru et ridicule que l’idée nous en semble parfaitement loufoque et absurde.

Au-delà de l’anecdote au demeurant très «lyrique» du petit monde de l’opéra qui aime se battre bien souvent contre des moulins à vent, nous comprenons profondément la souffrance d’une famille, celle de Léon Klinghoffer, qui n’a jamais pu faire son deuil.

L’approche dramatique inscrite dans ce livret est-elle de la plus fine eau, de la plus fine psychologie, rien n’est moins sûr ? Mettre au même niveau, établir une parité entre l’assassinat abominable d’un vieil homme de 69ans malade, paralysé, qui sera abattu puis jeté à la mer dans son fauteuil médical, et le conflit entre israéliens et palestiniens, procède en effet au mieux de la sclérose intellectuelle, au pire de la plus parfaite mauvaise foi et d’une volonté de manipulation et de pure désinformation. Vouloir renverser les rôles et faire des criminels des agneaux en souffrance, c’est ne plus rien comprendre à la psychanalyse et considérer le syndrome de Stockholm comme le doigt du Jugement dernier !

Il n’est nullement question de parler d’antisémitisme à travers cet opéra, mais la focale utilisée contribue à faire perdre le sens aux choses et aux mots, dérationalise. Vouloir par un livret d’opéra remplacer l’inextricable débat diplomatique qui oppose deux camps et bien plus encore, depuis plus d’un demi siècle par le seul effet magique d’un souffle fut-il lyrique, procède quelque peu de la plus grande naïveté et loin d’apaiser et d’apporter des solutions contribue à son tour à exciter les passions, fussent-elle de scènes.

Mais parlons de musique et soyons rassurés comme le furent tous ceux qui on eu la chance ici ou là d’assister à une de ces représentations de La Mort de Klinghoffer, la beauté de la musique est intacte, la pureté minimaliste de sa forme, la puissance émotionnelle de ses choeurs touchent. Pas sûr au demeurant qu’à New-York depuis les événements tragiques du 9/11 comme on dit en anglais, et dans les échos des combats effrayants qui martyrisent en ce moment même les peuples du Proche-Orient, des terrifiantes menaces qui planent et des éclairs de haine qui fusent, on soit en mesure d’accepter une création artistique qui prétend à la morale au prétexte de l’indignation orchestrée. On ne saurait mieux dire !

Pierre-Alain Lévy
Rédacteur en chef de www.wukali.com


Direction et distribution

Direction musicale : David Robertson
avec Paulo Szot / le capitaine de l’Achille Lauro, Alan Opie/ Léon Klinghoffer, Michaela Martens/ Marylin l’épouse de Klinghoffer, Sean Pannikar: Molqui, Aubrey Allicock/Mamoud, Ryan Speedo Green/ Rambo

Représentations: 20 octobre 19h30, 24 octobre 19h30, 29 octobre 19h30, 1er novembre 20h, 5 novembre 19h30, 8 novembre 20h, 11 novembre 19h30, 15 novembre 13h.


Illustration de l’entête: manifestants à New-York lors de l’ouverture de la nouvelle saison d’opéra le 22/09/2014 contre la présentation de l’opéra de John Adams « La mort de Klinghoffer »(Photo by Evan Agostini/Invision/Vos iz Neias)


WUKALI 16/10/2014


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