Soviet propaganda short animation movie
La chronique de Pierre-Alain LÉVY.
Le film d’animation du samedi.
Ce film d’Ivanov Vano clôt la série que nous venons de consacrer à ce grand créateur russe qui fut le maître de Youri Norstein. Intitulé «Ave Maria» reprenant ainsi le nom d’une des oeuvres les plus jouées de Charles Gounod et qui sert d’ailleurs non seulement de fil idéologique au scénario mais aussi d’accompagnement musical. S’il rend hommage à la figure de la Vierge et si l’on reconnait des oeuvres de Raphael, de Giotto ou d’autres grands peintres, il bifurque rapidement vers le film de propagande contre la guerre du Vietnam et contre la politique américaine.
Ce film faut-il le souligner a été réalisé en 1972, la guerre fait alors rage dans la péninsule indochinoise, des bombes par centaines de milliers de tonnes sont déversées chaque jour par les B52 sur la jungle, dans les rizières et le long de la piste Ho Chi Minh, et le napalm est utilisé massivement.
Cette même année, une photographie d’une fillette vietnamienne quasiment nue brûlée par des bombes au napalm va faire le tour du monde. Elle a été prise par le photographe Nick Ut qui obtiendra pour ce cliché le prix Pullitzer. C’est ce visage, cette fillette qui a pour nom Phan Thị Kim Phúc qui incarne le martyr christique dans ce film.
Dans ce film, après le visionnement de peintures italiennes de la Renaissance, sublimées par l’Ave Maria de Gounod, on découvre des dessins à charge représentant le retour en Amérique des garçons morts à la guerre avec des commentaires sur la souffrance des mères, puis brutalement survient, rompant ainsi avec l’aspect graphique et artistique, toute une série d’images d’actualité et d’informations en noir et blanc montrant des manifestants américains ou européens malmenés par des policiers. Le contraste entre les oeuvres d’art d’inspiration religieuse, la musique et les reportages d’actualité est très violent.
Bien au delà de l’opinion que tout un chacun peut avoir sur l’Histoire contemporaine, il est intéressant de remarquer qu’Ivanov Vano, développe dans son film une orientation religieuse et cela est d’autant plus piquant que ce film alors est réalisé en URSS et que les cultes y étaient brimés. On avait d’ailleurs pu remarquer le même phénomène dans le film précédent présenté dans WUKALI, La Bataille de Kerjenets. Sans entrer dans des analyses psychanalytiques, cela en dit long sur la porosité du discours violemment athée communiste en URSS et son échec à transformer et à convaincre.
N’est-ce pas Gramsci, théoricien italien et marxiste de la lutte des classes, qui estimait (et de ce point de vue il avait pleinement raison) que l’utilisation de l’entropie culturelle est un outil efficace de conviction, ce qu’aujourd’hui on appelle en franglais le soft power ou le smart power. Ce film donc «Ave Maria» d’Ivanov Vano constitue une véritable curiosité épistémologique. En effet si l’on peut le classer dans la catégorie des films de propagande ce qu’il est au demeurant, on peut aussi constater en prenant de la hauteur, sur une échelle de durée qu’il a non seulement agi à contre-temps mais aussi à contre-emploi et produit des effets difficilement envisageables au moment de sa réalisation et permis, indirectement bien entendu, le retour du religieux dans la très sainte Russie.
Pierre-Alain Lévy
Rédacteur en chef de www.wukali.com
WUKALI 18/10/2014