23 ans, étudiante en philosophie, Frederika Amalia Finkelstein nous livre un premier roman étonnant, « L’oubli ». Une nuit d’insomnie à déambuler dans les rues de Paris, à écouter ses musiques préférées, Daft Punk, Glenn Gould. Un monologue intérieur. Nostalgie de Robert Pinget peut-être, même si elle n’a pu le connaître… comme elle n’a pu connaître le sujet de son roman.
Un monologue où la narratrice, Alma Dorethea, ne se raconte pas elle-même, non, elle parle et c’est tout. Et ça tourne en rond, c’est qu’elle est obsessionnelle. Obsessionnelle des chiffres, obsessionnelle de son frère, son chien, la plage de Deauville. Obsédée par son grand-père mort à Auschwitz, ou à Buchenwald, en fait rescapé et émigré à Buenos Aires. Ou de sa rue déserte dans la nuit, des jeux vidéo, du goût du Coca-Cola, … Obsédée par les juifs, les déportés, les nazis, le suicide d’Hitler et aussi pour que cela veut dire pour nous – pour notre monde – toutes ces pensées sempiternelles.
Alma dont l’extravagance n’est qu’intérieure compte. Elle compte les heures, les jours, les morts, les morts de la Shoah. Une pensée circulaire ou plutôt des « tropismes » pour reprendre Nathalie Sarraute. Une pensée qui ne s’arrête jamais. Impossible d’oublier alors qu’elle le « veut » tellement, mais pourquoi oublier ? Pourquoi devoir se souvenir ? Pourquoi savoir ? Pourquoi tant de mémoire ? Et cette pensée, au travers de la nuit, finit par percer le jour, à prendre forme, à s’écrire.
Une parole authentique, sans amour, sans émotion. Froide, rigide, cynique. Elle nous prend, nous emporte et ne nous lâche plus. Talentueux ? Je ne sais pas, étonnant en tout cas. JM Le Clézio a qualifié ce roman : « un cri ».
Alors faut-il oublier ? Peut-on oublier ? Et si l’énergie que nous consacrons à oublier n’est en fait pas pour nous le seul chemin vers la mémoire ? Après tout, n’avons-nous pas imposé à Google un droit à l’oubli ?
Pierre Roth
L’Oubli
Frederika Amalia Finkelstein
édition Gallimard. Collection L’Arpenteur. 16€90