French society analyzed by experts

La quatrième édition du forum « VIVRE ENSEMBLE » organisé et piloté par le Conseil économique, social et environnemental s’est déroulé à Paris au Palais d’Iéna jeudi 4 décembre, il s’intitulait « Entre unités et diversités ». Introduit par Jean-Paul Delevoye, présenté et conduit par Roger-Pol Droit, l’enjeu de cette journée était de déterminer dans quelles mesures un vivre-ensemble est possible aujourd’hui, et durablement, à la lumière de la France, telle qu’elle est et telle qu’elle se représente. A travers quatre thématiques, sociale, géographique, environnementale, culturelle, développées par des membres du C.C.E.E, des entrepreneurs, et des intellectuels qui vivent, pensent et analysent l’actualité, ce sont des échanges riches d’expériences et de réflexions, commentés par les internautes qui ont pu suivre cette journée en ligne, qui ont été donnés à entendre.


« Beaucoup de choses dépendent de la prise de conscience et de la volonté des citoyens de vivre mieux, avec une organisation de l’état qui doit être en accord avec cette prise de conscience »Edgar Morin

Des sondages réalisés auprès des Français permettant d’illustrer et d’étayer les questions posées, montrent que les Français, s’ils ont conscience que la diversité est un facteur fondamental au dynamisme d’un pays, sont néanmoins inquiets quant à la possibilité que cette diversité soit source d’épanouissement et d’harmonie, compte-tenu de la fragilité du contexte économique. Ainsi, 61% des Français pensent aujourd’hui que ce qui sépare les Français est plus fort que ce qui les rassemble, 61% des Français pensent que les différences les plus criantes sont les différences de niveaux de vie, et 51% pensent que les religions cohabitent mal en France.

Olécio partenaire de Wukali

« Le chien est un animal philosophique parce qu’il sait défendre son maître et attaquer les ennemis de son maître » Platon – La République

Comme le rappelait Jean-Paul Delevoye dans son introduction, l’avenir appartient à celles et ceux qui savent anticiper pour mieux s’adapter, et qui ont su, en définitive, tirer les conséquences des leçons du passé. Seulement, l’Homme moderne ne voit pas les chaînes invisibles avec lesquelles il s’empêche d’avancer : fragilisé par les croyances identitaires, dont il pense qu’elles sont sources de force, par la multiplication des informations qu’il laisse sur l’espace virtuel, sans savoir de quelle manière elles pourraient être détournées. Lhomme moderne veut à tout prix produire de la richesse, sans avoir recours au principe du travail pour tous, substituant le robot à l’humain. Dans ce contexte, le chemin qui sera emprunté sera-t-il celui qui conçoit l’avenir comme une survie, et se servira de la diversité comme d’une arme, ou plutôt comme une espérance, auquel cas la diversité pourrait alors se développer comme véritable source de richesses ? Comment nourrir des espérances collectives pour que le chemin qui sera emprunté ne fasse pas de nous des responsables des violences les plus abjectes ? Donner aux peuples les moyens de l’intelligence et développer les espaces collaboratifs au service d’une humanité nouvelle, celle du partage, de l’échange, de la créativité, de l’épanouissement, source d’une énergie capable de mobiliser les consciences du monde, voila le véritable enjeu des prochaines décennies, voila sur quel principe l’unité devrait reposer.

« Demandez à un poisson rouge de parler à un arbre, il passera toute sa vie à croire que c’est un imbécile ». Albert Einstein

Il ne s’agit pas hélas de théoriser le vivre-ensemble, mais de réellement trouver ensemble des solutions et de définir des moyens qui le permettent. Car si la question de ce concept se pose, c’est bien parce que le vivre-ensemble est absent. La société d’assimilation a atteint ses limites, et plutôt que d’inclure des individus dans une unité, elle les a exclus d’eux-mêmes, en leur imposant de se conformer à un modèle unique. A partir de nos différences, nous devons être capables d’organiser des complémentarités, car, comme le souligne Christelle Prado, nous sommes tous capables de produire des discours qui donnent de l’élan à cette société. Le problème est que le système éducatif tel qu’il est conçu et appliqué base toute notre éducation sur la connaissance et non sur l’expérience. Les enfants ne sont éduqués à aucune forme d’empathie, car le modèle scolaire ne valorise quasiment pas le travail collaboratif. L’implication des pouvoirs publics est indispensable pour qu’un nouveau modèle de gouvernance puisse être mis en place en étant doté d’une structure cohérente, une structure qui ne serait pas enfermée dans des lois et des règlements empêchant le développement de notre créativité et le partage des expériences, une structure qui ne serait pas issue d’une méconnaissance de la population aujourd’hui réduite à des besoins exprimés en chiffres et en coûts, une structure qui permette à chacun de pouvoir passer dans une logique de coordination, de pouvoir agir et se faire entendre.

« Prolonger en temps de paix la solidarité du temps de guerre »Pierre Laroque

Colette Bec rappelle ces mots avec lesquels Pierre Laroque avait illustré l’idée de la Sécurité Sociale lors de sa mise en place en 1945. En effet, Pierre Laroque défendait l’idée que la liberté individuelle ne peut exister sans un minimum de sécurité, aussi antinomiques ces deux valeurs soient-elles. Contrairement à toutes les lois de protection qui avaient vu le jour depuis 1893 (de l’assistance médicale gratuite à la protection des personnes âgées) qui répondaient une cohérence politique visant à produire des citoyens capables de s’assumer, l’enjeu au moment de la Libération est de protéger les plus faibles en solidarisant l’ensemble des citoyens, c’est-à-dire de construire une interdépendance collective, et participer à l’émancipation des individus. La Sécurité Sociale a véritablement participé à transformer la société française, car l’effort de social de la Nation a rapidement porté ses fruits (hausse de l’espérance de vie, chute de la mortalité infantile, relance de la démographie,…). Aujourd’hui, et ce depuis les années 80, nous constatons que la solidarité n’est plus perçue comme une valeur politique, elle n’apparaît plus comme une valeur de référence, comme un ciment du vivre-ensemble. Aujourd’hui, diverses mesures sociales sont certes appliquées, mais elles sont faites pour éviter que certaines populations ne décrochent, plutôt que pour assumer leur intégration. La voix prise est celle d’une désolidarisation, faisant accroître considérablement le taux de pauvreté. L’éducation à la solidarité qui aurait du compléter et nourrir le système de solidarité, comme l’avait préconisé Pierre Laroque, n’a pas été assurée. Au lieu de ça, le système éducatif incite à la récitation, fabrique des « perroquets diplômés », comme le dit Boris Cyrulnik, et se moque de l’état d’insécurité dans lesquels des élèves se sentent. Edgar Morin ajoute qu’une autre notion, pourtant fondamentale, est totalement absente du système éducatif, c’est celle du « JE « ayant une conscience forte que l’autre est un « TU » vivant dans un « NOUS » : sans cette notion, Edgar Morin dit qu’il est impossible de vivre ensemble. Pierre Laroque, en 1960, prédisait que si l’ éducation à la solidarité ne venait pas compléter système de la Sécurité Sociale, les gens finiraient par se présenter à la Sécurité Sociale comme au guichet d’une banque pour percevoir un retour sur investissement. Force est de constater qu’il avait tristement raison.

« Le monde que nous avons créé avec nos techniques est un monde que nous ne pouvons plus comprendre »- Dominique Bourg

Si la mise en place du dispositif ZFU (zone franche urbaine) a permis le désenclavement social et économique de plusieurs quartiers qui avaient été repérés comme étant très sensibles, il semble aujourd’hui indispensable que ce dispositif, démarré en 1996 et devant prendre fin au 31 décembre 2014, soit prolongé. Une évaluation de ce dispositif par le C.E.S.E a en effet permis de mettre en évidence la réussite des aménagements qui ont pu être réalisés grâce à ce dispositif (disparition du processus de ghettoisation, valorisation et réaménagement des espaces, implantation d’entreprises, développement économique et culturel, ouverture vers l’extérieur,…). A la lumière de ces résultats prometteurs, le Conseil d’Etat a rendu sa décision, en faveur de la poursuite du dispositif. Michel Derclevet précise que cette problématique soulevée par la mise en place des ZFU ne fait pas uniquement référence aux clivages traditionnels banlieues/métropoles. Les zones rurales sont aussi en effet touchées par la précarité due à l’isolement. Les espaces qu’offrent les zones rurales permettent en effet de développer des énergies renouvelables de manière beaucoup plus étendue qu’en métropole, mais le paradoxe est que ce sont les métropoles qui consomment le plus. Il devient donc essentiel de trouver un équilibre entre les zones urbaine et rurale. L’objectif fixé par la loi pour une croissance verte, à 27% d’énergies renouvelables d’ici 2030 ne pourra être atteint qu’à travers la mise en place d’un système d’échanges. Dominique Bourg, sur cette question environnementale, ne mise pas sur la prise de conscience collective. Les problèmes environnementaux n’étant pas visibles, , et notre part de responsabilité en tant qu’individu étant extrêmement infime, notre sens de la responsabilité par rapport aux dommages créés à autrui n’est pas sollicitée, et nous ne réagissons pas. Et ce n’est que pour préserver ses propres intérêts que l’être humain évoluera vers un comportement plus responsable, lorsqu’il aura pris conscience que nous devrons vivre ensemble sur une partie de la terre qui va se resserrer de plus en plus, devenir de plus en plus hostile, avec à notre disposition des moyens d’actions de plus en plus faibles.

« Une politique républicaine doit viser le seul intérêt général commun à tous, et consacrer l’argent public aux seuls services d’intérêt général : l’instruction, la culture, l’accès aux soins, mais pas la religion, ni l’athéisme» – Henri Pena Ruiz

Jean-Louis Bianco explique l’importance de ce choix que nous avons tous, en tant que Citoyens Français, de croire ou de ne pas croire, dans la limite où aucune atteinte n’est portée à l’ordre public, en rappelant que la Laïcité c’est historiquement une conquête de liberté. Si ni la religion, ni l’athéisme, n’ont de place dans l’espace public, et notamment à l’Ecole, chacun est libre de ses croyances religieuses, et il faut faire particulièrement attention à ne pas tomber dans le piège du Front National qui voudrait faire croire que le port du foulard, par exemple, est un acte de revendication anti-laïque. En aucun cas, la défense de la laïcité ne doit permettre un combat pour une laïcité d’interdiction, car la laïcité est avant tout une pédagogie à partir de laquelle la règle doit être l’autorisation, et l’interdiction une exception. Ce n’est pas la laïcité qui pourra régler la question du vivre ensemble, de même qu’il est dommageable de croire que la loi peut régler tous les conflits : il y’a des choses qui doivent précisément se régler au cœur des réalités auxquelles nous devons faire face. Les lois ne sont pas établies pour encourager la peur de l’autre, et ce n’est que par un important travail citoyen que les religions pourront être vécues de manière plus épanouie : ce n’est pas seulement une question de tolérance, mais c’est le fait d’avoir quelque chose en commun : la citoyenneté. Quelle que soient les croyances et les convictions, le but de l’école est de promouvoir la citoyenneté.

La conclusion de cette journée de débats pourrait être trouvée dans cette formulation de Mathieu Ricard : l’aspiration au vivre ensemble implique la réciprocité du respect des modes de vide des uns et des autres . Cette profonde aspiration ne peut émaner que d’une éducation dirigée en ce sens, et il apparaît plus que nécessaire aujourd’hui, de mener une réforme du système éducatif d’une part, et de développer davantage les plateformes numériques de formation et d’accès aux savoirs et connaissances partagés. Si les pouvoirs publics soutiennent cette ambition réaliste et justifiée, alors nous pourrons tous, dans l’intérêt du bien commun, éprouver ce que revendique Boris Cyrulnik, lorsqu’il affirme : «donner du sens à ce qui m’arrive, c’est l’éprouver d’une manière constructive».

Céline Drogoul


Pour aller plus loin :

« Discours de la servitude volontaire » – La Boëtie
« Les évadés du paradis » (Gallimard – 1963) – Maurice Politi
« La France Une et multiculturelle : lettres aux Citoyens de France » (Fayard – 2012) – Edgar morin
« La pensée écologique. Une anthologie » (PUF – 2014) – Dominique Bourg


WUKALI 05/12/2014


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