Threats to Press Freedom in Times of Terror, experts and journalists meet in Berlin, Wukali invited


«Blasphème et liberté d’expression» tel fut le thème particulièrement d’actualité qui a été traité à Berlin, mardi 14 avril, dans un colloque initié par la Fondation Friedrich Naumann, le journal Die Welt et Reporter ohne Grenzen (Reporters sans frontières).

C’est dans le cadre particulièrement impressionnant de la tour Axel Springer, à deux pas de ce qui fut le mur de Berlin et Check Point Charlie que s’est déroulé cet événement. Devant un parterre de 150 journalistes, cinq intervenants pour traiter de ce sujet aujourd’hui sensible plus que jamais et qui a nécessité des mesures de sécurité renforcées pour l’accès au siège du groupe de presse où se tenait cette réunion.

Parmi les intervenants, un éventail de personnalités venant d’horizons différents: le Dr. Joachim Gartner de l’université de Postdam , membre du conseil exécutif de l’Institut pour le droit de l’église évangélique, Emir Kovačević avocat bosniaque de Sarajevo, membre du mouvement pour le dialogue entre l’Islam et les autres religions, Sezin Öney journaliste pour le quotidien turc Taraf à Istambul et également chroniqueuse à la radio, spécialiste des relations européennes, Klaus Stuttmann caricaturiste célèbre et dont les dessins sont relayés dans de nombreux journaux allemands et Pierre-Alain Lévy fondateur de Wukali, magazine d’art et culture, historien d’art et homme de communication.

Olécio partenaire de Wukali

Le débat en allemand ou en anglais selon les intervenants s’est déroulé en deux phases, d’abord cinq tables rondes animées par chacun des orateurs, puis le grand débat orchestré par le journaliste de Die WELT, Sascha Lehnartz qui questionnait à tour de rôle les personnalités invitées

La journaliste Sezin Öney, développa sur les difficultés que la presse rencontre en Turquie pour rendre compte de la situation sur les libertés qui se dégradent. De nombreux artistes sont condamnés, contraints à l’exil, le pianiste et compositeur Fazil Say est dans la ligne de mire des juges d’Erdogan et fait l’objet de menaces.

Bien entendu le sujet sur Charlie Hebdo et la situation en France focalisa une attention soutenue et Pierre-Alain Lévy présenta sans langue de bois les faits: un groupe de joyeux lurons massacrés pour des dessins par des assassins se réclamant d’un fantasme islamique identitaire. L’histoire du titre de Charlie-Hebdo fut notamment rappelé quand en 1970 le journal satirique de l’époque Hara-Kiri fut interdit de publication pour avoir titré au lendemain de la mort du général de Gaulle et une semaine après l’incendie d’une discothèque, le Cinq Sept, qui avait fait près de 140 morts : «Bal tragique à Colombey, 1 mort !». Immédiatement interdit de publication par le ministre de l’intérieur de l’époque Raymond Marcellin, le journal de Cavana et aussi de Wolinski et Cabu renaissait juste après sous un nouveau titre de presse: «Charlie-Hebdo» ! Charlie-Hebdo un journal satirique, pour s’amuser et se distraire et certes à ne pas confondre au demeurant avec la bibliothèque de La Sorbonne !

La spécificité du droit français fut notamment soulignée, celle de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’état ( à l’exception cependant des départements d’Alsace et de la Moselle à l’époque sous occupation allemande et du système concordataire pour ceux ci datant de Napoléon). L’intervenant français souligna tout particulièrement l’inexistence de facto du délit de blasphème dans le droit de la République. Sascha Lehnartz ne manqua pas de l’interroger sur ces jeunes lycéens et collégiens qui en France au lendemain de l’attentat de Charlie-Hebdo ou du Supermarché Casher refusèrent d’honorer par une minute de silence la mémoire de toutes les victimes. Dans ses interventions le rédacteur en chef de Wukali ne manqua pas de souligner le role des intellectuels dans la société, de leurs carences parfois et tout particulièrement de celui précisément des intellectuels musulmans dont la voix a été assez peu audible. Il rappela le rôle de l’art, de la culture et de l’enseignement, de la mémoire qui sont les socles de ce qui fait la civilisation.

Pierre-Alain Lévy évoqua ensuite dans ses réponses aux questions des journalistes la spécificité allemande, la période nazi depuis 1933 puis le communisme, deux totalitarismes infâmes. Il continua en rappelant cette période de l’histoire de l’Europe qui de la fin du XIXème siècle jusqu’à 1933, avait laissé se développer en Allemagne bien sûr mais en France également les plus abjectes théories antisémites qui conduisirent à la tragédie de l’Holocauste. La liberté d’expression, symbole même de la démocratie, fruit d’une histoire se développant sur plusieurs siècles depuis la Grèce antique en passant par la Renaissance et Rabelais, le théâtre de Molière, la morale kantienne et bien entendu le siècle des Lumières et Voltaire qui n’eut de cesse de combattre contre l’infâme. Cette même démocratie enviée et combattue, s’installant ainsi dans une épure chère à Samuel Huntington renvoyant au choc des civilisations.

Seize étages en dessous Berlin fourmillait d’agitation, la journée était magnifique, estivale ou presque. La jeunesse allemande et du monde se pressait pour regarder l’exposition photographique permanente relatant le nazisme et ses horreurs, à quelques centaines de mètres de là une autre exposition photographique sur l’histoire du mur à Check Point Charlie, ses victimes qui tentaient de s’enfuir, les vopos, Erich Honecker, Nikita Khrouchtchev, Willy Brandt et J.F Kennedy. Mémoire. Les marchands du temple vendant comme des dépouilles sur des étales de fortune des képis de l’Armée Rouge ou des médailles à la gloire des anciens maîtres du Kremlin à des touristes en mal d’histoire. Entretenir la mémoire, policer l’esprit et éduquer, c’est la première de nos responsabilités, le chemin vers la liberté d’expression. Ce colloque à Berlin fut un grand moment et Wukali a été particulièrement sensible d’y avoir été invité.

Pierre-Alain Lévy


WUKALI 17/04/2015

Courrier des lecteurs: redaction@wukali.com

Illustration de l’entête: de gauche à droite sur la tribune: Emir Kovačević, Klauss Stuttmann, Pierre-Alain Lévy, Sascha Lehnartz, Sezin Özey, Dr. Joachim Gaertner. Photo: pro/Schramm


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