C’était aux Chorégies d’Orange le 8 Juillet 2015. 0h45. Fin de la première représentation de Carmen, premier spectacle du Festival de cette année.

Après une très belle soirée d’Opéra, malgré un Mistral violent et capricieux, débutent les saluts : une belle ovation est réservée aux artistes, dont la Mezzo Soprano Kate Aldrich et le ténor Jonas Kauffmann. Pourtant, à l’instant où viennent saluer les Maitres d’oeuvres que sont le chef d’Orchestre puis le metteur en scène et son équipe, la clameur se transforme peu a peu en une bouillie nauséabonde mêlée de huées, de cris, de noms d’oiseaux qui volent plus vite que le mistral ne souffle, à tel point que les quelques milliers de personnes qui continuent à applaudir sont totalement couvertes par ce bruit, pour laisser place a une bronca de première classe.


Et voila toute notre joie et tout le plaisir que nous avions accumulés durant cette représentation qui s’envolent, la tristesse de voir nos collègues conspués de la sorte nous tord le ventre, et nous pousse à faire face d’un bloc pour revenir saluer tous ensemble. Car, oui, cela nous rend triste quand quelqu’un de notre équipe se fait huer ou siffler, cette personne est une des pierres qui a servi à construire l’édifice que nous tenons tous a bout de bras. Qui se réjouit de ce genre de situation, ne peut être que sans coeur et par extension, sans aucune sensibilité artistique.

Olécio partenaire de Wukali

Qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes? On peut se poser la question, oui, qui vient a l’Opéra pour salir le travail d’un artiste qui, même s’il n’a pas forcément été à la hauteur du rôle qu’on lui a confié, y aura mis toute son énergie, tout son coeur, tout son plaisir de chanter et d’être en scène.

Car finalement qu’est ce qu’un artiste (je pense qu’il est toujours nécessaire de le rappeler)? C’est un être humain, avec sa sensibilité, ce n’est pas une machine qui débite de l’art quand on appuie sur un bouton. Mieux vaut rester chez soi a écouter la version de tel ou tel opéra sur sa platine CD.

Messieurs les siffleurs, il vous arrive d’être malade? Celui que vous sifflez aussi. Messieurs les siffleurs, vous avez une famille qui vous procure beaucoup de bonheur, mais aussi beaucoup de soucis? Celui que vous sifflez aussi. Messieurs les siffleurs, vous avez des problèmes professionnels, financiers ou autres, bref quelques fois vous n’avez pas tout a fait la tête à ce que vous faîtes? Celui que vous sifflez aussi.

En fait, vous ne manifestez pas votre mécontentement, en sifflant comme de perfides serpents, vous ne montrez pas que ce que vous venez de voir ne vous a pas plu, vous faites simplement très mal a quelqu’un qui a fait de son mieux pour vous plaire malgré, peut être, des difficultés traversées. Pensez vous une seule seconde dans votre égoïste mécontentement que dans la salle, près de vous, il puisse y avoir le fils, les parents ou l’épouse de celui que vous êtes en train d’humilier? Non évidemment car l’argument est : « Nous avons payé ». C’est respectable et honorable, mais sachez en toute honnêteté que lorsqu’un artiste entrant en scène pour saluer, sent son coeur exploser sous vos sifflets et les larmes de tristesse, de rage et de douleur lui monter aux yeux, vos quelques misérables euros dépensés pour votre place d’Opéra, il s’en fout et contrefout à un point que cela pourrait vous donner une idée de l’infini. A ce moment, il a mal, il est blessé au coeur. Finalement, cet artiste, même s’il n’a pas été au meilleur de sa forme, vous ne le méritez pas, et s’il était fort au point de se moquer de votre méchanceté, il vous mépriserait… mais il est bien trop humain et intelligent pour cela, il vous pardonnerait presque votre moment de faiblesse, j’ai bien dit presque.

Pardonnez ce coup de gueule, mais il fut salutaire, et a permis d’apaiser une petite fêlure qui, comme un caillou dans une chaussure, était gênante.

Florian Laconi


WUKALI 08/09/2015
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