A French hero and Liberty lover


8 août 1775, le duc de Gloucester, frère du roi Georges III d’Angleterre est reçu à Metz et participe à un dîner en son honneur organisé par le gouverneur militaire, le maréchal de Broglie. A cette occasion le duc parle longuement des insurgés américains dont il prend la défense contre la politique du gouvernement de son frère. Parmi les jeunes officiers assistant à ce repas se trouve un jeune capitaine de 18 ans, jeune marié, qui vient d’hériter de son grand père ce qui fait de lui le possesseur d’une des premières fortunes de France : Marie Gilbert Motier, marquis de La Fayette. Dans cette France encore traumatisée par les désastres militaires de la guerre de sept ans (perte du Canada, des comptoirs en Indes, etc.), dans cette France dont l’élite est pleine de la lecture des philosophes, où Diderot vient de commencer à publier l’Encyclopédie, toute une jeunesse est à la recherche de gloire (mais la France est en paix et donc il est impossible de briller aux combats), veut se venger de l’Angleterre et ne supporte plus les carcans d’une société sclérosée qui ne lui donne pas la place qu’elle pense lui être due (à ce niveau, rien de bien original depuis le début de l’humanité).

L’ « aventure américaine » attire les moins timorés. Ils sont nombreux à vouloir partir, mais la France n’’est pas prête à déclarer la guerre à l’Angleterre.

La Fayette n’hésite pas, il finance son voyage et part de Bordeaux alors qu’une lettre de cachet est signée contre lui. Le reste on le connait, son amitié avec Washington, sa bravoure au feu, son retour triomphal en France, son second voyage au bord de l’Hermione avec Rochambeau.

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La guerre finie, en France il est comblé d’honneurs. Il est partout, a son avis sur tout, s’occupe de tout aussi bien de ses intérêts personnels que des intérêts des Américains, car tout au long de sa vie, il se considérera comme le citoyen américain qu’il est, le Congrès l’ayant fait citoyen d’honneur.

Et puis arrive la Révolution pour laquelle il s’enthousiasme. Député pour la noblesse aux Etats Généraux, il ne participera pas au serment du Jeu de paume. Mais dès le 11 juillet 1789 il propose une déclaration des droits de l’homme, inspirée de l’américaine, qui se veut déjà universelle. Commandant de la garde nationale le 15 juillet, il se trouve à la tête de 30 600 hommes. Son rôle dans les journées d’octobre est significatif de sa personnalité : il a trop confiance en lui, en sa popularité et fait confiance en la parole du peuple. Aussi, sûr de lui, il va se coucher au lieu de prévoir la défense du château de Versailles qui est envahi par la foule durant son sommeil. Mais c’est en se présentant au balcon avec la famille royale qu’il fait cesser, par sa seule présence, les massacres.

Durant les débuts de la Révolution, Lafayette se comporte avant tout comme un idéaliste, certain de sa popularité. De fait, la fête de la fédération le 14 juillet 1790 est un vrai triomphe pour lui. Mais il ne perçoit pas qu’il est attaqué de toute part aussi bien par Mirabeau, par les orléanistes que par les jacobins. De plus malgré ses efforts, la famille royale se méfie de lui. Le massacre du champ de mars du 17 juillet 1791 fait de lui un suspect aux yeux des ultras. Il démissionne de sa charge de commandant de la garde nationale le 8 octobre, veut se retirer de la vie politique, mais dès le 14 décembre il est nommé Lieutenant Général de l’armée du centre et se rend dans une garnison qu’il connait bien : Metz. Il prépare la guerre, ainsi, c’est le premier qui introduit l’artillerie à cheval dans son corps d’armée que bientôt Napoléon exploitera dans ses campagnes.

Mais en même temps, il continue à faire de la politique, maladroitement et finit par être mis en accusation le 17 août. Ne se faisant aucune illusion sur le sort qui lui est réservé, il part pour la Hollande le 19 août, mais il est tout de suite arrêté par les Prussiens. Refusant de « collaborer » avec l’ennemi de la France, il va être mis au secret de façon très rigoureuse d’abord en Prusse puis en Autriche dans un cachot du château d’Olmütz, où le rejoint son épouse Adrienne (sauvée de la guillotine par de très fermes interventions des Américains) et ses deux filles. Elles partageront son sort durant 2 ans. Ils ne doivent leur libération qu’aux victoires de Napoléon en 1799. Après un séjour au Danemark, il revient en France à la fin 1799.

Les relations qu’il entretient avec Napoléon sont mauvaises. Il reproche au général de ne penser qu’à son destin et non à la France et à la liberté. Il ira jusqu’à refuser un poste de sénateur, préférant se retirer dans sa propriété de la Grange en Seine et Marne. Il va devenir un véritable agriculteur, innovant (il est le premier à planter de la luzerne en Bis), s’occupent de sélection animale, sans pour autant cesser de continuer de correspondre avec ses amis américains, de justifier son action.

En 1818, il est élu député de la Sarthe et va siéger chez les constitutionnels modérés à gauche de l’assemblée. Il est très critique contre les gouvernements successifs de Louis XVIII, tout en étant un des orateurs les plus écoutés du parlement où il reste toujours sur la même position de défenseur de la liberté, des libertés. Battu lors des élections de 1824, il part faire un voyage triomphal aux Etats Unis pour qui il est le symbole vivant de la liberté (Washington étant mort en 1799).

Elu député de 2 voix en 1827, il continue son combat contre la politique réactionnaire de Charles X. Peu surpris par la révolution de 1830, devenu une icône populaire le « héros des deux mondes » contre l’absolutisme, il est nommé à la tête de la garde républicaine le 29 juillet, et c’est lui qui en quelque sorte « sacre » Louis Philippe sur le balcon de l’Hôtel de ville en lui donnant le drapeau tricolore et en l’enlaçant devant la population. Mais très vite, il est déçu de ce dernier, démissionne de la garde républicaine le 25 décembre.

Jusqu’à sa mort en 1834, il continue son combat pour la liberté en soutenant, en outre les insurgés en Belgique et en Pologne.

Il est indéniable que La Fayette aimait et a recherché les honneurs et la gloire. Il était tout sauf modeste, et ce trait de caractère est en quelque sorte son talon d’Achille. Thomas Jefferson en avait totalement conscience quand il écrivait en 1787 : « Son faible est une faim canine pour la popularité et la renommée ».

Lafayette, en politique est l’inventeur en politique du centre, c’est-à-dire le juste milieu qu’il appelait la modération : « la véritable modération consiste, non comme tant de gens ont l’air de le penser, à chercher toujours le milieu entre deux points quelconques et variables au gré des temps, mais à tâcher de reconnaître le point de la vérité et à s’y tenir.  »

Pour comprendre son attitude en 1830, alors qu’il aurait pu avoir le pouvoir, et sa crainte des mouvements populaires, des excès du « populisme »qui a transformé la liberté en terreur. Issu d’une culture aristocratique, il n’a jamais trouvé antithétique un régime monarchique (modéré) avec le concept de république qu’il défendait (Res publica, la chose publique). On lui prête d’ailleurs une phrase qu’il a toujours nié avoir dite : « la monarchie constitutionnelle est la meilleure des républiques ».

Lafayette a des facettes multiples que la postérité, hélas, ne lui reconnait pas comme sa lutte contre la peine de mort ou pour l’abolition progressive de l’esclavage ou tout au moins de la traite des noirs, lui qui était propriétaire d’une exploitation en Guyane. Connue, mais souvent sous-estimée, est son appartenance à la Franc—Maçonnerie et aux carbonari. Pourtant, elle explique en grande partie les liens rapides et étroits qui se sont liés entre lui et Washington, mais aussi toute son action au service de l’amélioration intellectuelle et morale de l’humanité avec les moyens, pour ne pas dire les armes qui étaient en sa possession.

La meilleure définition, la plus lucide de l’homme La Fayette, est sûrement celle donnée par Achille de Chastellet, un de ses contemporains : « Il m’a paru être un homme dévoré du désir de mettre son nom à la tête de la révolution de ce pays-ci (La France), comme Washington a mis le sien à la tête de l’Amérique, mais ne voulant qu’employer que des moyens honnêtes, ayant une grande présence d’esprit, une tête très froide, de l’activité quoiqu’un choix assez médiocre dans son emploi, beaucoup d’adresse à profiter des circonstances quoique manquant du génie qui les crée, au total un homme honnête et de mérité, quoique ce ne soit pas un grand homme. »

Adulé, haï, puis adulé encore, il a laissé en France une image très contrastée, et il est certain que ses maladresses politiques, sa foi absolue en son destin, son goût pour les honneurs et la gloire, en font un personnage complexe qui peut sembler quelque peu versatile, un homme ferme dans ses principes mais flou quand il s’est agi de les mettre en œuvre. Jean-Pierre Bois, dans le portrait sans concession qu’il fait du général, nous montre un homme de son temps, de sa culture qui a mis sa fortune, sa personne, sa santé au service d’une idée qu’il n’a jamais trahie : la liberté. Châteaubriant qui ne l’aimait pas lui a sûrement rendu le plus bel hommage : « Aucune souillure n’est attachée à sa vie ». Peu d’homme à son époque et encore moins à la nôtre se sont autant investi pour la Liberté. Et peuvent recevoir ce jugement comme épitaphe.

Félix Delmas


La Fayette


Jean-Pierre Bois

éditions Perrin. 24€


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