This time seems so far away and this biography is a must

Cette biographie de Sylvain Gouguenheim sur Frédéric II nous plonge dans une Europe, dans un univers qui est loin d’être évident de premier abord pour nos contemporains, tant les structures sociales, les mentalités sont éloignées de celles qu’elles sont devenues.

Frédéric II a vécu aux mêmes temps que Philippe Auguste, Louis VIII et Saint Louis, Richard Cœur de lion et Jean sans Terre, etc., la France ne représentait même pas la moitié du territoire actuel… C’est le temps des croisades, dont celle contre les Albigeois. C’étaient des structures sociales fondées sur les liens vassaliques.

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L’Allemagne était morcelée en divers territoires, plus ou moins grands, plus ou moins importants, dirigés soit par des princes soit par des évêques. L’Italie était elle aussi morcelée, avec, en son centre, les domaines du Pape, le nord dépendait de l’Empire d’où le titre de roi des romains et au sud, se trouvait le royaume de Sicile, le royaume normand unifié par Robert II, qui connut un rayonnement sur toute la Méditerranée durant le XII siècle et qui eut son apogée sous le règne du grand-père maternel de Frédéric : Guillaume II.

A l’inverse de l’Allemagne, le royaume de Sicile connaissait une autorité centrale bien plus prégnante, les évêques étaient si nombreux qu’ils n’avaient pas la même puissance politique qu’en Allemagne. Cette structuration des territoires explique en grande partie les différences notables dans la façon de gouverner que dut employer Frédéric. Il développa une administration importante en Italie, alors qu’en Allemagne, il du composer continuellement avec les princes, avec les groupes d’intérêts qui se formaient au gré des circonstances pour affermir son pouvoir.

Ces conflits perpétuels entre les princes explique en grande partie les conflits qu’il eut avec son fils Henri VII, roi des Romains qu’il finit par détrôner et jeter en prison en 1235, ce dernier finissant par se suicider.

Frédéric a eu à l’égard des villes des attitudes essentiellement de méfiance. Sauf exceptions, il a combattu toutes leurs volontés d’autonomies surtout quand elles risquaient de porter atteinte à la puissance des princes. Le paroxysme fut atteint à la fin de son règne dans sa lutte contre la Ligue lombarde.

Mais surtout ce qui marqua son règne sa lutte contre la papauté, comme au temps de son père et de son grand-père Frédéric Barberousse : Innocent III, Honorius III, Grégoire IX, Innocent IV ont entretenu des relations souvent très conflictuelles avec l’empereur. Il fut non seulement excommunié, mais aussi déposé de son titre impérial et a vu même en 1246 une croisade prêchée contre lui. Au delà de la problématique des investitures des évêques en Sicile, il y avait la peur des souverains pontifes de se voir pris en tenaille par les possession de Frédéric, mais surtout la problématique des rapports entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel depuis la réforme grégorienne. L’humiliation de l’empereur Henri IV à Canossa était encore très présente dans les esprits. Elle connaîtra encore bien des développement quelque temps après le décès de Frédéric avec « l ’attentat d’Agnani » contre Boniface VIII, péripétie de sa lutte contre Philippe le Bel. On est encore bien loin du gallicanisme.

Bien sûr, par rapport à son voisin, Louis IX, Frédéric n’était pas ce que l’on appelle un dévot. Pour autant, il était chrétien, mais rétif à l’autorité que les papes voulaient se donner. Il pourchassa les hérétiques et surtout il s’ »autocouronna » roi de Jérusalem à Jérusalem (alors qu’il était excommunié) qu’il avait recouvré par traité en 1229 et non par les armes, ce qui lui fut reproché.

Auteur d’un volumineux traité de fauconnerie : « L’art de chasser les oiseaux  » , héritier du royaume normand de Sicile, Frédéric s’est entouré d’une cour de savant et de poètes comme Jacques de Lentini, l’inventeur supposé du sonnet, considéré par Dante comme le père de la littérature italienne. Il développe l’université de Naples pour former des administrateurs valable pour son royaume. Avant de partir pour la Sorbonne, Thomas d’Aquin y étudia. Mais ce fut aussi un homme de son temps, il gouvernait aussi par la terreur et n’hésitait pas à condamner à de terribles supplices ses ennemis où ceux qui l’avaient trahi comme Pierre de la Vigne qui avait tant contribué dans l’œuvre juridique de Frédéric.

L’empereur fut un grand bâtisseur mais surtout un législateur, en Allemagne mais avant tout dans le royaume de Sicile où il promulgua le Liber Augustalis en 1231 au nom des principes de paix et de justice. Pour autant, il avait une vision du pouvoir que l’on nommerait, en faisant un bel anachronisme, de conservatrice voire réactionaire.

Ce livre n’est pas une biographie bâti par rapport à la chronologie mais une étude en trois parties de son exercice du pouvoir, des images qu’il a volontairement laissées et des représentations, des légendes que ses contemporains et la postérité ont forgées.

Il s’achève par de nombreuse notes, une immense bibliographie et un index particulièrement précis. Tout au plus, il manque une chronologie pour ceux qui maîtrisent mal cette époque

Le Frédéric II de Sylvain Gouguenheim nous amène à une période de l’histoire de l’Europe bien éloignée de ce qu’elle est devenue. Les mentalités, les cultures, la place dominante de l’Église, l’absence de ce qui deviendra les états sont parfois difficiles à comprendre, l’auteur a su les rendre accessibles aux lecteurs.

Félix Delmas


Frédéric II

Sylvain Gouguenheim

éditions Perrin. 24€


WUKALI 09/10/2015
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